Lettres synodales en direct de Rome,
octobre 2024
Marie-Andrée Roy, Groupe Vasthi de L’autre Parole
NDLR : En octobre 2024, Marie-Andrée Roy s’est rendue à Rome pour assister aux événements publics tenus à l’occasion de la deuxième année de discussions du Synode sur la synodalité. Au cours du mois, elle a publié des comptes rendus de ses observations et de ses rencontres. Ces lettres sont intégralement publiées sur le site de L’autre Parole[1]. Nous en présentons ici quelques extraits.
Lettre synodale no 2 (5 octobre 2024)
Ouverture de la 2e session du Synode sur la synodalité
La grande question qui anime les travaux du synode : comment être une Église synodale, c’est-à-dire une Église qui articule communion, participation et mission ? En 2023, les délégué·es ont été invité·es à se mettre à l’écoute de la pluralité des perspectives et de la diversité des points de vue dans l’Église ; en 2024, les délégué·es sont appelé·es à identifier des pistes de réflexion et d’action qui sont à même de générer de l’harmonie dans une Église diversifiée, mais unie[2]. Le Pape insiste : le synode « n’est pas une assemblée parlementaire, mais un lieu d’écoute en communion ».
Cérémonie pénitentielle
Avant de commencer ses travaux, l’assemblée synodale a été conviée, la veille (2 octobre), à une cérémonie pénitentielle en la basilique Saint-Pierre, présidée par le pape François. Cette cérémonie a comporté des temps forts ; en plus des témoignages de personnes victimes de diverses formes de violence et d’abus, sept cardinaux ont présenté des demandes de pardon pour différentes fautes commises dans l’Église. Ces demandes de pardon, rédigées par le pape François, traduisent sans doute la posture d’écoute et d’humilité que le Pape cherche à induire chez les délégué·es.
Séance d’ouverture
Dès la séance d’ouverture mercredi après-midi (3 octobre), le pape François a expliqué que le processus synodal est « un processus d’apprentissage au cours duquel l’Église apprend à mieux se connaître elle-même et à identifier les formes d’action pastorale les plus adaptées à la mission que le Seigneur lui confie[3] ». C’est pourquoi, soutient-il, la présence de laïcs, de personnes consacrées, de prêtres et de diacres au sein de cette assemblée d’évêques est cohérente. Il insiste : la composition de cette assemblée « exprime une manière d’exercer le ministère épiscopal conforme à la Tradition vivante de l’Église et à l’enseignement du concile Vatican II : jamais l’évêque, comme tout autre chrétien, ne peut se penser “sans l’autre” ».
S’esquisse ici une volonté assez claire pour que l’exercice de l’autorité épiscopale soit plus relationnel, plus synodal et en harmonie avec les différents contextes ecclésiaux où il prend forme.
Mais pourquoi cette insistance du Pape sur la légitimité de la présence de personnes non-évêques ? C’est que cette présence, minoritaire, faut-il le rappeler (26 %), indispose des cardinaux et des évêques conservateurs qui promeuvent une autre ecclésiologie et voient dans le projet du pape François un démantèlement de l’autorité épiscopale.
On conviendra donc qu’il existe de réelles tensions au sein de cette assemblée, mais le Pape persiste à faire le pari du dialogue.
Toujours lors de la séance d’ouverture, de nombreux discours ont été prononcés, notamment pour faire le rapport de l’état d’avancement des travaux des différents groupes de travail mis en place pour étudier des questions particulières, dont celle du diaconat féminin. Le cardinal Victor Manuel Fernández, préfet du Dicastère pour la doctrine de la foi et responsable de ce dossier, a déclaré à propos du diaconat féminin : « Le moment n’est pas encore venu […] et il est bon que le sujet soit approfondi, dans un parcours ecclésial vécu ensemble. » En entendant ces propos, je n’ai pas pu m’empêcher de penser que ce cardinal, qui avait la veille demandé pardon pour les endoctrinements et pour les justifications doctrinales à des traitements inhumains, ne manifestait pas un « ferme propos » très convaincant et qu’il risquait fort, un jour, de devoir demander pardon pour toutes ces doctrines sexistes et misogynes énoncées à l’endroit des femmes, qui ont pour effet de les empêcher de vivre leur pleine humanité et de leur fermer la porte à l’exercice de différents ministères !
Lettre synodale no 3 (12 octobre 2024)
À l’étude, cette semaine : le partage des responsabilités entre clercs et laïcs et la question qui retrousse toujours, les femmes et les ministères ordonnés !
Les ministères institués
Les pères et les mères synodaux ont étudié les paragraphes de l’Instrumentum laboris qui traitent des « ministères », c’est-à-dire des services institués dans l’Église, étant entendu que certains de ces ministères peuvent être assumés par des laïcs[4].
Est-il possible d’identifier tous les ministères dont les Églises locales ou nationales ont besoin ? Les ministères ont évolué depuis deux mille ans et se sont transformés en fonction des contextes culturels, historiques et géographiques, afin de mieux répondre aux besoins en constante évolution des communautés. Sans cette capacité d’adaptation, d’inculturation, l’Église n’existerait plus aujourd’hui. Le défi qui se pose actuellement dans l’Église, est-ce celui de repérer et de « stabiliser » la diversité des pratiques ou celui d’apprendre à faire confiance aux capacités de discernement des communautés locales[5] ?
Femmes et diaconat
Le 1er octobre, le journal La Croix titrait : « À Rome, le synode le plus féminin de l’histoire entame son deuxième “round”. » Avec un effectif féminin de 14,4 %, ce synode inclut certes plus de femmes qu’à l’habitude, mais, soyez sans crainte, la parité ne se pointe pas à l’horizon. Par ailleurs, les questions reliées au statut et au rôle des femmes dans l’Église, comme l’accès des femmes aux ministères ordonnés (diaconat), occupent une place paradoxale : à la fois occultée et omniprésente. Je m’explique. Occultée, parce qu’elle a été exclue de l’Instrumentum laboris, ce document qui guide les travaux de la deuxième session du synode, et ce, même si elle faisait partie des propositions retenues (II 9 n) dans le Rapport de synthèse des travaux synodaux de l’année dernière[6]. En fait, le Pape a confié, en février 2024, à 10 groupes de travail l’étude de diverses questions[7], dont celle du diaconat pour les femmes ; ces groupes ont pour mandat de faire rapport d’ici octobre 2025.
Bien des membres de l’assemblée synodale ne sont pas satisfaits de cette déclaration et, du coup, la question est devenue omniprésente. De plus, lors des conférences de presse quotidiennes, cette question a été relayée de manière récurrente par les journalistes.
Ordination de diacres permanents mariés ?
La résolution de la question de l’ordination presbytérale d’hommes diacres permanents mariés est-elle préalable à l’ordination de femmes au diaconat et au presbytérat ? Peut-être bien que oui. Le sujet de l’ordination presbytérale d’hommes diacres avait été traité lors du Synode sur l’Amazonie en 2019, mais sans parvenir à convaincre les autorités. Il refait surface au Synode sur la synodalité. Un dossier à suivre, parce qu’il pourrait éventuellement favoriser une transformation des représentations des sujets sexués masculins et féminins actuellement véhiculées par le magistère, représentations qui plombent toutes les questions qui touchent les femmes.
Œcuménisme
Ce synode affirme aussi son ouverture à l’œcuménisme. Il y a 16 représentant·es des autres Églises chrétiennes à ce synode qui, sans avoir le droit de vote, détiennent cependant le même droit d’intervention orale et écrite que les autres délégué·es dans l’assemblée.
Enfin, le 8 octobre, l’assemblée synodale a élu des membres de la Commission pour la rédaction du document final. Cette importante commission comprend 14 personnes. On y remarquera la présence de deux femmes : une élue par l’assemblée, Catherine Clifford, seule personne laïque de cette commission, et une nommée par le Pape, Sr. Leticia Salazar. Félicitations, Catherine Clifford ! Nos meilleurs vœux t’accompagnent pour cette mission exigeante !
Lettre synodale no 5 (26 octobre 2024)
Les femmes dans l’Église : elles parlent, hors les murs !
Cette lettre est consacrée aux femmes et aux groupes qui, en ce mois du Synode sur la synodalité, sont intervenus à Rome, hors des murs du Vatican, uni·es par une foi en un même sacerdoce baptismal, pour signifier leur espérance têtue en une Église où femmes et hommes sont des sujets égaux, y compris dans l’exercice des différents services, charismes et ministères. Créativité et détermination ont été au rendez-vous tout au cours de ce mois !
J’y ai fait des rencontres merveilleuses de femmes et de quelques hommes, issu·es de différents pays, qui m’ont fait part de leur engagement à faire advenir une Église nouvelle. Bien des groupes sont nés dans les années 1970, à peu près en même temps que L’autre Parole en 1976. D’autres groupes sont plus récents et apparaissent très agiles dans l’utilisation des réseaux sociaux. La variété des âges impressionne : des jeunes femmes dans la vingtaine et des sexagénaires se sont joyeusement côtoyées dans des événements souvent modestes, mais toujours empreints de sororité. L’heure est au réseautage international, au partage des expériences, à la formation, à l’écoute des femmes de différents continents capables d’exercer leur discernement, d’innover et de célébrer. Décidément, nous ne sommes pas seules.
[2] Isabelle PIRO, « Coup d’envoi des travaux de la deuxième session du Synode », Vatican News, le 3 octobre 2024. En ligne : https://www.vaticannews.va/fr/vatican/news/2024-10/debut-des-travaux-du-synode.html
[3] Principale source pour ce paragraphe : https://www.vaticannews.va/fr/pape/news/2024-10/pape-francois-:premiere-congregation-synode-synodalite.html (consulté le 5 octobre 2024).
[4] Pour ce faire, les pères et mères synodaux ont disposé de trois périodes de travail en groupes linguistiques et de trois séances plénières.
[5] Ma communauté chrétienne de Saint-Albert-le-Grand, à Montréal, n’a heureusement pas attendu que les pères et les mères synodaux se penchent sur ces questions à Rome pour exercer son discernement et mettre en œuvre les ministères dont elle avait besoin pour vivre et rayonner en tant que communauté chrétienne pleinement responsable. À L’autre Parole, nous n’avons pas non plus attendu les autorisations romaines pour procéder. Si nous l’avions fait, nous aurions certainement souffert d’anémie spirituelle sévère !
[6] Rapport de synthèse. Une Église synodale en mission, XVIe Assemblée générale ordinaire du Synode des évêques, première session, 4-29 octobre 2023, II 9 n, p. 25. Il s’agit d’une proposition qui a été dûment votée à l’effet de poursuivre la recherche théologique et pastorale sur l’accès des femmes au diaconat, en utilisant les résultats des commissions spécialement constituées par le Pape et les recherches théologiques, historiques et exégétiques déjà effectuées : « Si possible, les résultats devront être présentés lors de la prochaine session de l’Assemblée » en 2024 (II 9 n).
[7] Ces dix thèmes sont : 1) les relations avec les Églises orientales ; 2) le cri des pauvres et des marginaux ; 3) la mission à l’ère numérique ; 4) prêtres, formation et relations ; 5) les ministères, y compris la réflexion sur la place et la participation des femmes dans l’Église, et la recherche théologique et pastorale sur l’accès des femmes au diaconat ; 6) la vie consacrée et les mouvements ecclésiaux ; 7) les évêques, figure et fonctions ; 8) le rôle des nonces ; 9) les questions doctrinales, pastorales et éthiques « controversées » afin de mieux clarifier la relation entre pastorale et morale ; 10) le dialogue œcuménique.