FEMMES ET ÂGÉES, LES RELIGIEUSES SE RETROUVENT AU BANC DES ACCUSÉES

FEMMES ET ÂGÉES, LES RELIGIEUSES SE RETROUVENT AU BANC DES ACCUSÉES

Depuis l’été 1992, les religieuses du Québec servent de boucs émissaires à des personnes qu’elles ont accueillies et soignées durant leur enfance et qui se réclament maintenant d’un « déni » de justice.

Durant des décennies, à la demande de l’Église et de l’État, ces religieuses ont soigné les malades et les personnes âgées, pris en charge les démunis, formé et éduqué bien des jeunes. À travers le Québec, dans 62 institutions elles ont aussi accueilli et soigné des milliers d’enfants qui n’avaient pas de place dans la société. Cette société patriarcale considérait les naissances hors mariage comme une honte. Pour freiner l’infanticide et pour permettre la survie de milliers d’enfants abandonnés, des religieuses ont fondé des crèches et ouvert des maternités destinées à celles qu’on désignait, avec mépris, comme des « filles-mères ». Comment survivaient ces maisons ? Très souvent grâce à des quêtes faites de porte en porte par des religieuses et surtout par leur travail acharné, non rémunéré, pour compenser la faiblesse des allocations reçues de l’Assistance publique.

Profondément ébranlées par le nombre des allégations et par l’invraisemblance de certains faits relatés dans les médias à l’été 1992, les religieuses ont voulu que les événements soient replacés dans une perspective historique. Une équipe d’historiens et de sociologues a réalisé des recherches, en toute indépendance, dont l’objectif était de reconstituer le contexte social et politique des années quarante à soixante, en particulier le système éducatif et les pratiques médicales de l’époque. Dirigée par Marie-Paule Malouin, docteure en sociologie (1991) et détentrice d’une maîtrise en histoire de l’Université de Montréal, cette étude a été suivie systématiquement par des spécialistes en santé, en service social et en éducation. Laurette Champigny-Robillard, maintenant retraitée, première présidente du Conseil du Statut de la femme et de l’Office des personnes handicapées du Québec, a assumé la présidence du groupe pendant les 18 mois qu’a duré la recherche.

Cette étude situe la question des enfants en difficulté à la jonction de trois domaines : l’assistance publique, l’éducation et le droit. L’assistance publique, parce que l’État assume souvent les coûts de la prise en charge de ces enfants. L’éducation, parce que plusieurs de ces enfants sont en âge d’être instruits et formés. Enfin, la législation, puisque te placement des jeunes et des moins jeunes s’effectue en conformité avec les lois en vigueur à l’époque ; de plus certains enfants sont internés pour avoir contrevenu à la loi. Publié par les éditions Bellarmin sous le titre : L’Univers des enfants en difficulté au Québec entre 1940 et 1960, cet ouvrage étudie la question des enfants esseulés en fonction de quatre axes d’analyse principaux : les relations entre l’Église et l’État, l’influence de l’origine sociale, la condition féminine et l’évolution des connaissances.

L’ouvrage fait ressortir l’importance du travail accompli pendant plus de cent ans, par un millier de femmes religieuses auprès des enfants abandonnés par des mères nécessiteuses incapables financièrement de subvenir à leurs besoins parce qu’elles n’avaient pas ou plus de mari.

Lors d’une conférence de presse en décembre 1995, le « Protecteur du Citoyen » annonçait son intention d’étudier la question des « orphelins de Duplessis ». L’Univers des enfants en difficulté au Québec, entre 1940 et 1960 représentait une source de renseignements indispensables pour lui, s’il voulait rédiger un rapport cohérent et pertinent. Le livre lui a été remis en personne par Laurette Champigny-Robillard et Marie-Paule Malouin.

Le « Protecteur du Citoyen » a abondamment puisé dans L’Univers des enfants en difficulté au Québec… Dans son rapport publié en janvier 1997, sous le titre Les enfants de Duplessis : à l’heure de la solidarité, il a cependant évacué l’analyse en termes de rapports sociaux, en termes de l’évolution des connaissances de même que la réalité vécue par les femmes de cette époque. Il n’a retenu qu’une seule perspective analytique : les relations entre l’Église et l’État. Pourquoi ne retenir que cette perspective ? Parce qu’elle offre des coupables potentiels : le gouvernement et les communautés religieuses ? Sans doute.

De plus, « le rapport Jacoby » associe la situation des « orphelins de Duplessis » aux événements qu’ont vécus les enfants dans les institutions des autres provinces, comme au Mont Cashel, à Terre-Neuve et à Alfred, en Ontario. Or, le rapport ne mentionne pas qu’il s’agit d’endroits où régnaient des pratiques généralisées de sévices et d’abus sexuels.

À partir de ces analogies non fondées et abusives, Me Jacoby recommande au gouvernement, aux congrégations religieuses et au corps médical de présenter des excuses aux personnes qui se disent victimes et de les indemniser sans égard à la faute et en référant à la loi sur l’aide aux victimes d’actes criminels.

Le rapport du « Protecteur du Citoyen » ; le battage publicitaire fait autour de la télésérie « les orphelins de Duplessis » présentée sous le signe d’un mélodrame digne de la célèbre histoire d’Aurore, l’enfant martyre ; le grand nombre d’articles de journaux et autres interventions médiatiques et politiques des représentants du « Comité des orphelins de Duplessis » dénaturent les faits. Tous ces événements auront entre autre conséquence injuste de « revisionner » à tout jamais notre histoire, de discréditer pour toujours les religieuses qui, en suppléant aux carences de l’État, ont consacré toute leur vie pour venir en aide aux milliers d’enfants dont les parents ne pouvaient assurer la subsistance.

Les leaders de cette campagne de dénigrement se gardent bien de révéler tout le support que leur ont apporté ces femmes religieuses après leur sortie de l’institution et jusqu’à ce jour : financement des études jusqu’au niveau universitaire, dépannage dans les situations de crises, accompagnement dans leur insertion sociale et bien d’autres moyens.

Comment pourrait-on justifier que des femmes qui ont consacré leur vie au soutien des plus vulnérables de la société, que des femmes qui ont donné le meilleur d’elles-mêmes soient appelées à présenter des excuses ? Cette démarche n’équivaudrait-elle pas à un verdict de culpabilité qu’auraient à supporter ces femmes âgées avec le sentiment que la société d’aujourd’hui a décrété à tout jamais que leur vie a été inutile et répréhensible ?

Est-ce ainsi que l’on doit rendre justice ? Qu’est-ce que nous voulons démontrer à notre société d’aujourd’hui, à nos jeunes ? La réécriture de l’histoire effacera-t-elle dans le coeur des adultes d’aujourd’hui la blessure d’avoir été abandonnés dans leur petite enfance ?

CLAIRE SYLVESTRE