Françoise Faucher

Françoise Faucher

D’après Anne-Marie Villeneuve et Jean Faucher, Co-auteurs de sa biographie1

« J e viens de faire la connaissance d’une artiste absolument passionnante » s’écrie Anne-Marie Villeneuve, étudiante en art dramatique, à la suite d’une conférence donnée par Françoise Faucher qu’elle rencontre pour la première fois. Cette exclamation a éveillé en moi le goût d’en savoir davantage sur cette artiste de chez nous afin de vous faire partager mes découvertes.

Après avoir lu sa biographie, j’étais convaincue, à mon tour, d’être en présence d’une grande personnalité. Pour moi, Françoise est une artiste passionnante parce qu’elle est une comédienne de classe, passionnée pour le théâtre et passionnée pour la vie. Dans les pages qui suivent, je m’en tiendrai — sans être exhaustive — à ces trois aspects de la vie de Françoise à partir des informations fournies par ses deux biographes.

Une passionnée pour le théâtre

Le premier grand choc artistique de sa vie s’est produit [paraît-il] quand elle a vu la Dame aux camélias avec Greta Barbo. « Il y avait tellement d’âme dans ce film, il y avait une telle beauté, une telle grâce et une telle douleur aussi quand l’héroïne mourait. J’ai été absolument éblouie et je crois bien que ce fut le dédie » (46). Ce déclic qui semble spontané chez Françoise, s’enracine pourtant dans la passion qui l’habite depuis qu’elle est petite.

La première personne à l’avoir influencée c’est sa mère « une femme forte qui savait mener sa barque avec autorité mais aussi une femme sensible, artiste, aimant les arts » (32). Elle lui parlait beaucoup des pièces qu’elle avait elle-même jouées et quand elle avait l’occasion d’aller au théâtre, à Paris, elle s’empressait de raconter à sa fille, dans le détail, tout ce qu’elle avait vu et vécu.

Mais c’est en compagnie de sa grand mère, elle aussi passionnée des arts, que se produisit le déclic qui orientera la jeune Françoise vers le théâtre. À partir de là, faire du théâtre pour elle, c’était donner une nouvelle dimension à sa vie.

Elle commence à jouer en décembre 1951. Qu’elle soit engagée comme comédienne ou comme animatrice ou les deux à la fois, elle se donne tout entière à ce qu’elle fait. Elle aime toucher à tous les aspects du métier : radio, spots publicitaires, télé-roman, interviews, rédaction de textes… et trouve cette diversité très instructive mais c’est au théâtre qu’elle peut s’exprimer plus à fond.

Le théâtre est le lieu de ses fantaisies, de ses audaces (320). Elle peut trépigner au théâtre alors que dans la vie, elle trouve que s’énerver et se mettre en colère constituent un gaspillage d’énergie considérable. Ainsi Françoise n’a jamais eu besoin de se confier à un psychologue quelconque parce que ses folies, c’est au théâtre qu’elle les fait, c’est là que ça sort, que le vase déborde (193).

À la télé, elle a joué des rôles pleins de sensibilité, en demi-teintes, toutes choses qui correspondaient à la Françoise qu’elle a été et qu’elle est encore (192), mais cela n’était pas suffisant pour assouvir sa passion du théâtre. Un comédien, pour elle, c’est quelqu’un qui a une passion, qui a une ambition dans la vie, qui est ouvert, qui est porteur de lumière. Passionnée, ambitieuse, ouverte et porteuse de lumière, Françoise le devenait de plus en plus.

À 27 ans, elle se trouvait à mener de front une carrière de comédienne déjà très pleine et une autre également très riche en communication (147). Mais Françoise est une immigrante, et nous savons que tout immigrant doit passer par une période d’adaptation où il se sent pour ainsi dire assis entre deux chaises. Françoise n’a pas échappé à cette réalité. Elle avoue ne s’être sentie vraiment québécoise qu’après avoir fait une tournée à travers la province (107) dans les années 60-70. C’est en parcourant la province en tous sens, en côtoyant les gens des petites villes, des gens chaleureux, enthousiastes, généreux, qu’elle s’est sentie devenir profondément attachée à ce Québec qu’elle ne connaissait que par Montréal (222). Ces tournées lui ont vraiment permis de s’incorporer, de s’enraciner à ce pays nouveau pour elle. Par la suite, sillonner le Québec, avec une équipe attachante, tout en interprétant des rôles à sa mesure, a été une expérience qui l’a toujours passionnée (227).

À 43 ans, Françoise se sent capable d’assumer des rôles plus difficiles. « Je veux maintenant que l’on m’offre des rôles énormes, des personnages difficiles à défendre où le comédien sort de scène exténué (242). Cependant vouloir aborder de nouveaux rôles, plus exigeants, plus surprenants n’était pas sans risque. Aussi l’aventure s’est-elle avérée plus difficile que prévu pour Françoise à qui tout semblait avoir souri jusque-là avec presque trop d’aisance (245). Le rôle proposé alors était celui de madame de Montreuil dans madame de Sade, une femme très différente de celles que Françoise avait interprétées précédemment. En 30 ans de métier, elle n’avait jamais encore joué un personnage aussi violent. Malgré sa peur, elle a foncé et elle a réussi… ce qui a fait dire à un journaliste : « Françoise Faucher s’impose plus que les autres. Son incarnation d’une femme noble, altière, au verbe autoritaire et sec est un numéro de grande qualité… Son personnage nous éblouit » (245).

Malgré la peur qui la tenaille parfois d’une façon insupportable, elle conserve le goût du risque. L’âge, loin de la rendre craintive, la pousse à rechercher les expériences susceptibles de la bousculer (315). Elle ne semble pas ressentir le poids des ans, ni vouloir ralentir le rythme de ses activités. Les fondements de sa carrière sont si solides qu’ils lui permettent d’accepter de vieillir avec sérénité. Elle souhaite continuer longtemps encore sa carrière de comédienne pleine de surprises et de nouveaux défis à relever (321). Françoise se classe aujourd’hui parmi les comédiennes actives les plus âgées au Québec. Mais son expérience de la vie et du métier ne lui a rien fait perdre de son enthousiasme, de sa curiosité, de son esprit d’aventure (316).

Une passionnée pour la vie

Cette artiste passionnée pour son métier, le théâtre, est d’abord et avant tout amoureuse de la vie, de tout ce qui bouge sur la terre et qui engendre de la beauté (324). Le souvenir le plus lointain qui lui reste en mémoire remonte à son enfance : « Au temps où j’étais dans mon landau de bébé (2 ans), je me rappelle la lumière qui jouait dans les feuilles de tilleuls au-dessus de moi. Ce frémissement de lumière était très, très beau ; c’était un enchantement » (42). Ce souvenir qui l’a marquée si profondément ne présage-t-il pas « les feux de la rampe » où elle évoluera plus tard avec passion ?

Adolescente, elle se remémore avec ravissement les arbres, les fleurs, les oiseaux, les parfums, les odeurs de feuillages, les guêpes qui bourdonnaient tout autour, les petits sentiers où elle pouvait faire de la bicyclette, les copains et les copines avec lesquels elle se baignait dans de grands baquets d’eau chauffée au soleil (40). Que demander de plus à la vie que le ravissement qu’elle nous prodigue en toute gratuité ? Françoise vivait alors à Eaubonne, dans la banlieue nord de Paris.

Quand plus tard — Françoise avait 21 ans quand elle a quitté la France — loin de sa famille, elle se remémore cette époque, elle ne peut s’empêcher d’éprouver une certaine nostalgie : « .. .je voyais une fleur qui me rappelait mon jardin et un flot de larmes de désespoir me montait à la gorge. Avec le recul, je réalise que j’étais quand même solide parce que je ne me suis jamais effondrée » (97). Une fois ces moments nostalgiques dépassés, nous retrouvons en Françoise « une personne discrète qui aime l’équilibre, l’harmonie » (192) ce qui ne l’empêche pas de chercher une autre dimension à sa vie et c’est au théâtre qu’elle va la trouver. Là, elle se découvre autre avec toutes les facettes possibles et imaginables (192). À travers certains personnages fantaisistes, par exemple, elle se rend compte qu’elle peut très bien faire rire, ce qui lui donne davantage confiance en elle-même et l’ouvre sur le monde (200).

Cependant même si elle avoue que le théâtre l’a faite, Françoise reste convaincue que toutes les valeurs importantes de la vie se bâtissent au sein de la famille (183). Si les personnages qu’elle a incarnés sur scène l’ont enrichie, elle a aussi nourri ses personnages de ce qu’elle a vécu. Pour elle, l’art c’est la vie. Elle apprécie énormément qu’à Femmes d’aujourd’hui, où elle était intervieweuse, on prenne en considération les idées qu’elle proposait (148). Ce métier d’animatrice n’a jamais été pour elle un simple amusement de comédienne. Quand elle travaille ses dossiers elle est tout entière à ce qu’elle fait… Sa capacité de travail est grande, son sens de l’organisation aussi (153). Françoise prend à coeur toutes les entreprises dans lesquelles elle se lance. Les expositions, les lancements de livres, les spectacles qu’elle avait à présenter à Féminin singulier n’étaient pas sans passionner cette touche à tout : « J’ai pris beaucoup de plaisir à ce métier de journalisme parlé, de poseuse de questions (161). Recevoir des gens qui ont un grand coeur, qui ont une façon d’aborder la vie avec sérénité, voilà ce qui me fascinait » (163).

Mère de quatre enfants, Françoise est heureuse de constater qu’elle a pu mener de front carrière et vie de famille. « Les enfants c’est important… il ne faut pas les oublier… Si j’ai des regrets à formuler c’est que je n’ai pas toujours été là. Mais je ne me suis jamais sentie coupable d’avoir un métier, de le faire et de le bien faire » (178-79). C’est avec fierté qu’elle affirme que jamais les enfants ne sont partis à l’école sans qu’elle ait pris le petit déjeuner avec eux, sans qu’elle les ait embrassés pour leur souhaiter une bonne journée (180). « Aller voir vos enfants endormis alors que vous entrez du théâtre, ou bien entrer dans une maison qui est harmonieusement organisée, décorée, c’est votre havre, c’est l’ancrage. Moi j’ai besoin de racines profondes et la famille, c’est les racines, c’est le point d’ancrage, c’est la vraie vie. Je pense qu’il n’y a rien au monde pour la remplacer. C’est ça la grande aventure, je pense » (180). Aussi de voir sa fille, Sophie, embrasser la carrière de comédienne l’a grandement réjouie (185).

Mais sa passion de la vie ne se confine pas à la famille ni au théâtre. Lors des tournées, Andrée Lachapelle la découvre comme une collégienne extraordinaire qui chante à tue-tête, qui raconte des histoires un peu folles, qui aime magasiner, qui est capable de danser jusqu’à quatre heures du matin, une vraie petite fille fantastique qui a une sensibilité rare pour ses camarades (Extrait de l’hommage rendu à Françoise à l’Espace Go, en 1997) (227). Ces tournées à travers le Québec, c’était le plaisir de partager la vie d’amies qu’elle aimait depuis longtemps, comme un désir de vacances, une envie de découvrir de belles choses aux quatre coins du Québec, de fréquenter les bons restaurants… et de rire abondamment sans retenue (229). On peut dire que, chez elle, la passion ne s’éteint jamais. Elle peut s’amenuiser, par moments, entre autres, quand la fatigue est trop grande, mais elle renaît à la moindre proposition de quelque intérêt (311).

Une comédienne de classe

« Pour moi le théâtre n’est rien d’autre qu’un comédien qui dit un grand texte » (259). Dans l’esprit de Françoise, le qualificatif grand accolé au texte prend toute son importance. Pour elle, c’est le texte qui importe avant tout, l’intelligence et la sensibilité du texte, la façon de le dire. Tout le travail de décryptage du texte la passionne. Sa méthode, fondamentalement basée sur l’intuition, repose sur une rigoureuse analyse du texte. Ce qui est primordial, c’est d’avoir l’impression que lorsqu’on travaille un personnage, il lui rentre dedans… petit à petit, longuement (255). Quand le comédien a bien senti pourquoi le personnage éprouve tel ou tel sentiment, la note juste, le geste juste sortent aussi. Le rythme est là (257).

Choisir le théâtre était pour elle une espèce de rentrée en religion pour grandir à travers les textes, pour faire partager cette chose extraordinaire à d’autres gens, pour vivre une sorte de communion (60). Comment ne pas lire dans ces lignes une espèce d’idéalisme, de soif de transcendance ? n n’est donc pas étonnant qu’il lui arrive parfois de ruer dans les brancards. Elle aime les rôles intenses, difficiles, qui dépassent un peu la mesure (192). Elle n’est donc pas prête à tout accepter par exemple les rôles qu’elle qualifiait de plates c’est à dire semblables à l’eau tiède (196). Sur scène, comme sur les ondes, — en parlant de l’émission Féminin singulier qu’elle anime depuis trois ans — elle reste fidèle à elle même. « Nous ne faisons pas d’à peu près. Nous pensons que nous n’avons pas le droit de nous servir des ondes pour du petit bla bla qui n’apporte rien » (160). Elle éprouve aussi une certaine répulsion envers la création collective. « Dans ces créations ça allait à vau-l’eau. On ouvrait le robinet et le flot d’émotion sortait. Au théâtre, il ne faut pas seulement des tripes, il faut une pensée, un squelette pour maintenir toute cette émotion » (215).

Les grands textes dramatiques et la spiritualité sont deux pans importants de sa vie de femme comme de sa carrière de comédienne. La seule évocation de l’Annonce faite à Marie, par exemple, la fait exulter : « J’ai beaucoup aimé travailler cette oeuvre de Claudel sous la direction de Jean Paul Fugère. Je tenais le rôle de Violaine, un rôle très exigeant. Il fallait parvenir à trouver la dimension spirituelle du personnage. Il ne s’agissait pas simplement de trouver une intonation juste mais un souffle » (139). Pour Françoise théâtre et spiritualité sont intimement liés. « J’ai la certitude de faire oeuvre d’officiant et de répondre véritablement à une vocation » (338 ) « Oui, pour moi, le théâtre est d’ordre spirituel absolument. L’art est spirituel. Toute oeuvre d’art est à la fois spiritualité et savoir-faire. La beauté me paraissant être le signe reconnaissable, évident, d’une Présence » (339). « Quand on est sur scène, avance-t-elle, il arrive parfois que l’on se sente aspiré vers le haut comme dans la prière ou la méditation » (339). Le théâtre se fait à la verticale. On peut déduire de ces considérations qu’en Françoise l’art et la spiritualité se rejoignent jusqu’à se confondre.

Tout au long des 50 dernières années, on a pu apprécier le talent de Françoise sous tous ces aspects dans de nombreuses productions télévisuelles, théâtrales et radiophoniques. Son image de comédienne accomplie s’est profondément enracinée dans l’imaginaire collectif québécois de sorte que l’on puisse conclure : Dans sa vie sociale comme au théâtre, Françoise Faucher est synonyme de classe (241).

Femme de théâtre passionnée, amoureuse de la vie, Françoise ne s’est pas contentée d’incarner des personnages. Elle a voulu faire de la mise en scène. Pour elle, un metteur en scène est là pour mettre en valeur l’oeuvre et l’auteur (278). Nous retrouvons dans cet aveu sa passion à considérer le texte comme élément central de l’acte théâtral. Aussi, quand on lui a confié la direction du Dialogue des carmélites de Bernanos, elle n’a pas hésité une seconde avant d’accepter de faire la mise en scène de ce drame mystique (288). Le commentaire du journaliste Jean Louis Tremblay sur cette mise en scène, paru dans les Cahiers Jeu de juin 1990, rend bien l’esprit du travail de Françoise Faucher qui, en choisissant de mettre en lumière la dimension mystique et spirituelle de l’oeuvre, prenait le parti de la sobriété et du dépouillement (288). Le spectacle aura montré que les valeurs spirituelles, mystiques ou chrétiennes savent encore émouvoir et que, transcendant l’anecdote à laquelle elles réfèrent, elles peuvent rejoindre nos préoccupations existentielles contemporaines (289).

En préparant cet article, j’ai eu le bonheur d’assister à la pièce de théâtre, Le Visiteur, dont Françoise Faucher a réalisé la mise en scène. J’ai reconnu, avec bonheur, les qualités qu’exigé Françoise d’une véritable mise en scène : des comédiens puissants : Jean Louis Roux, dans la personne de Freud et Emmanuel Bilodeau, Le Visiteur (l’inconnu) ; un décor simplifié : le bureau de Freud avec son indispensable divan ; au service d’un grand texte, celui d’Éric- Emmanuel Schmitt dont j’ai extrait le passage suivant : « Jusqu’à ce soir, tu pensais que la vie était absurde. Désormais tu sauras qu’elle est mystérieuse ». Une soirée inoubliable !

En tant qu’artiste de formation européenne, arrivée au Québec au début des années 50 et après une cinquantaine d’années de métier, Françoise Faucher demeure, à mes yeux, une grande Dame passionnée et passionnante non seulement dans les arts de la scène mais aussi dans les aléas de la vie comme l’exprime si bien Pierre Bernard dans sa préface : « Je sais de vous l’inébranlable respect que vous portez à l’humanité.

YVETTE LAPRISE, Phoébé

1 Françoise Faucher, Biographie par Anne-Marie Villeneuve et Jean Faucher, Éditions Québec Amérique, 2000,380 pages.