Il lui restait à croire en lui…

Il lui restait à croire en lui…

Lucie Hervieux

Diplômée de la Faculté de théologie et de sciences des religions, Université de Montréal

… « quiconque veut réaligner son avenir
ne peut faire l’économie de son passé. » (p.157)

De l’universitaire enseignante et chercheuse à une faculté de théologie québécoise, Odette Mainville[1] ressasse sans détour ni compromis le parcours de Jérôme où l’engouement, depuis sa tendre enfance de se consacrer à la prêtrise, se révèle un discernement des plus déchirants pour celui qui devra apprendre à se connaître pour mieux se choisir. Cette voie voluptueuse de la prêtrise, nourrie par des parents et professeurs soucieux de l’avenir de Jérôme, côtoyait le nouvel horizon de l’après d’une Révolution dite « tranquille ». Le pavé sans fissure d’une destinée prenait forme… pour un temps seulement.

Le grand cahier de Jérôme entremêle une relecture d’un chemin parcouru, exhibant à la fois les conditionnements sociaux parentaux et où, pourtant et sans relâche, l’homme singulier qu’est Jérôme tente de tracer sa propre voie, les remises en question ne tardant pas à faire surgir la tourmente.

Jérôme, intellectuel reconnu par ses pairs, l’enseignement animant ses aspirations profondes, se voit reléguer par son évêque aux responsabilités de tâches paroissiales. Il se confronte alors au renouveau pastoral d’une génération de femmes qui ont fréquenté les universités et qui, pourtant, tout comme Jérôme, partagent l’envie profonde de faire partager la Bonne Nouvelle. Mais le Grand Séminaire avait formé Jérôme à la tradition et au cursus romains du Magistère. Quelque chose d’une rupture s’éveillait alors en lui : non seulement remettre en question une formation reçue, mais reconnaître fébrilement qu’il avait consacré vie et jeunesse à un engagement qui ne parvenait plus ni à le nourrir intérieurement, pis encore, que sa vie d’être humain, d’homme sexué, où l’amour humain trouvait toute sa dimension, répondait au voile du refoulement et ne pouvait plus se soutenir ainsi. Le désarroi et le désenchantement de Jérôme délogeront le délice caché de sa propre ambition sacerdotale devenue imposture. Cet impromptu prenait de plus en plus de place dans son questionnement, dans ses prières. L’engagement de son sacerdoce versus l’engagement envers lui-même reformulaient sans cesse la question : Quelle est ma voie ? Comment savoir ? La voix de l’aumônier guidant ses tout débuts dans son sacerdoce retentissait en filigrane : à la question du comment savoir ? l’aumônier de répondre : « La première condition, c’est d’être à l’écoute. »(p.37)

La réponse de Jérôme, aux prises avec sa propre Révélation, où les privilèges de son statut de prêtre basculaient en langoureuses réflexions sur ce qu’il est profondément en tant qu’être humain et sur ses possibilités de s’ouvrir au meilleur de lui-même sans avoir à se nier. Humilité, authenticité, dépouillement, recueillement seront son habitacle désormais pour l’écriture du grand cahier de Jérôme. Un moment d’authenticité prenait forme : « C’est un peu comme si notre état de vie nous était davantage un cadre utilitaire à l’achèvement de nos ambitions qu’une vocation. »(p.213) Telle était la découverte déconcertante de Jérôme. Il avait cru aux dogmes romains, il lui restait à croire en lui…

Odette Mainville, exégète, féministe, spécialiste du Jésus historique, et pourtant, l’écrivaine n’a jamais cessé de l’habiter ; retraitée aujourd’hui, l’autrice en donne libre cours, un geste libre et libérateur où parcours professionnel et quête intérieure se conjuguent. Le grand cahier de Jérôme, où celui-ci côtoie ces femmes d’avant-garde, engagées, libres de bâtir, et de soutenir ce à quoi elles croient et d’oser une autre parole. Leur quête devenait tout autant la sienne.

Odette Mainville nous invite par une écriture tout intime à cet élan créateur de la relecture de notre propre cahier : « un soubresaut inopiné[…] allait lui infuser un souffle nouveau. »(p.94)

[1]Odette MAINVILLE. Le grand cahier de Jérôme, Éditions Fides, 2020, 244 pages.