LA FEMME ET LA PAUVRETE

LA FEMME ET LA PAUVRETE

Au début de mai, la Fédération des Femmes du Québec (FFQ) tenait son congrès annuel à Mont Gabriel dans les Laurentides, sur le thème de la femme et la pauvreté. A cette occasion, la FFQ a demandé à « L’Autre parole » de diriger un atelier sur la femme et l’Eglise dans son rapport à la pauvreté. Réjeanne Martin et Judith Vaillancourt ont accepté l’invitation.

Dans un premier temps, on a parlé du rôle de l’Eglise dans la formation des attitudes par rapport à l’argent et aux biens matériels. Les participantes se sont rappelé le rôle important qu’a joué l’Eglise, jusqu’à une période récente, dans la fabrication des valeurs et des attitudes par sa présence permanente et massive dans les institutions d’enseignement et les média d’information et/ou de formation : prédication, confessionnal, tournée paroissiale, journaux, revues, et par la censure, la littérature et les activités culturelles.

L’idée de la primauté des biens spirituels sur les biens matériels était bien installée dans l’esprit de tout le monde. Elle menait même à croire que la réussite matérielle pouvait peut-être nuire à la réussite spirituelle ! Qui ne se souvient pas de la fameuse sentence « à quoi sert de gagner l’univers si on perd son âme » ? Cette idée était partagée par les hommes et les femmes . Cependant, les valeurs de soumission, de don de soi, de sacrifice, de dévouement, traditionnellement reconnues comme féminines ne sont guère propices au développement des qualités requises pour réussir économiquement dans un système de libre concurrence. Ainsi les femmes étaient-elles doublement conditionnées à la résignation devant la pauvreté.

Toujours est-il qu’ainsi armées les femmes de chez nous, sacrées « REINES DU FOYER » devenaient, par le fait même, « GERANTES DE LA DEPENSE » Gérantes de la dépense sans prises sur ce qui alimentait la cassette familiale : le salaire du mari, sans prises non plus sur les prévisions essentielles à tout bon fonctionnement budgétaire, puisque l’Eglise en n’autorisant pas l’emploi de méthodes contraceptives efficaces, les empêchait de savoir, année après année, sur combien de bouches elles auraient à  répartir ces dépenses.

Quel cul-de-sac ! et quelles belles occasions de culpabiliser. En effet, si le budget familial n’arrive pas a nourrir, vêtir, loger toute la marmaille ce n’est pas parce que le patron paie mal ses employés, ce n’est pas non plus parce que les enfants sont trop nombreux mais parce que la reine du foyer gérante de la dépense est trop gaspilleuse, dépensière et sans desseins. N’arrête­t-elle pas de coudre, astiquer ou tricoter trop tôt dans la soirée ? ou pire, peut-être ne coud-elle même pas ? …

Cette analyse des difficultés économiques des familles était si répandue que durant les années de la grande crise de ’29, la rumeur publique voulait voir dans le gaspillage des Canadiens français, la cause du cataclysme. Or comme c’était la femme, au Québec, qui gérait la dépense, il est facile de conclure qu’elle était un acteur non négligeable parmi les porteurs de responsabilités. On saura plus tard, que le monde capitaliste était tout simplement aux prises avec une crise structurelle de son système économique ……

Vous me direz que ce que je vous raconte est caricatural ! Celles qui seraient intéressées, allez voir dans les journaux et revues du temps : Action catholique,

Action nationale, Droit, etc., dans les discours des évêques et des curés, et vous m’en direz quelque chose.

Les femmes aux prises avec le quotidien et ses dures réalités avaient sans doute des vues plus réalistes de leurs situations économiques, mais ce n’était pas elles qui « géraient » le discours officiel, encore moins celui de l’Eglise ! et cela n’a guère changé ……

Dans un second temps, on a parlé de la femme et de l’Eglise-institution.

Quand l’Eglise est employeur, elle ne semble pas, du moins dans ses politiques salariales et d’embauche, pratiquer une discrimination sexiste. Cependant, on y trouve trois fois plus d’hommes que de femmes qui occupent des fonctions de directeur au niveau des diocèses canadiens ; on sait que la participation des hommes est plus grande que celle des femmes au niveau de presque toutes les commissions consultatives tandis que les femmes occupent presque la plupart des postes en ce qui a trait aux ministères non ordonnés, à y faire du bénévolat. On s’aperçoit aussi que des fonctions en pastorale, exercées par des femmes, sont peu ou pas rémunérées et se situent à la frontière du marché du travail et du bénévolat. Parmi les femmes embauchées par l’Eglise, les religieuses sont en plus grand nombre. Cependant, religieuses et femmes-laïques se retrouvent sur un pied d’égalité quant à leur exclusion des postes décisionnels de l’Eglise elle-même et on va jusqu’à se demander si les ministères particuliers qu’on leur concède actuellement, ne sont pas le résultat de la diminution des prêtres plutôt qu’une reconnaissance véritable des capacités des femmes.

Les communautés de femmes ont endossé le modèle de conduites promu par une Eglise mâle et axée sur le sacrifice, le dévouement et la soumission sans le soumettre à une analyse féministe. Ainsi on sera sensible à la question féministe dans la mesure où celle-ci implique des engagements apostoliques de types caritatifs. Or sous la poussée des mouvements féministes, certaines religieuses se sentent en solidarité avec leurs soeurs-laïques et se laissent interpellées par cette analyse dans leur vie communautaire et sur leur terrain de travail, là où elles oeuvrent souvent avec des religieux, dans le cadre ou dans le rayonnement de l’institution ecclésial.

Quelques-unes d’entre elles ont d’ailleurs lancé l’idée intéressante de s’adonner à une petite recherche sur les pratiques différentes des religieux et des religieuses par rapport à la pauvreté. Par exemple, si on s’amusait à faire des statistiques sur : le genre d’études et les lieux de ces études ; les genres de voyages et les endroits de loisirs, etc. ce serait sans doute fort amusant. Comme le dit Réjeanne, peu de religieuses se retrouvent sur le terrain de golf et il est plutôt rare, dans les communautés religieuses, de parler de l’Europe ou d’ailleurs pour simplement aller explorer ou réfléchir durant une année sabbatique.

A la fin de cette journée, les participantes ont présenté des recommandations à la Fédération des Femmes du Québec afin que celle-ci les achemine auprès de l’Assemblée des évêques du Québec, soit :

1 – Considérant que diverses catégories de femmes sont, pour l’Eglise, des employées sous-rémunérées, les autorités en place devraient voir à corriger cette situation.

2- Pour faire changer la situation de silence de l’Eglise sur la question féminine, que les évêques réagissent publiquement aux documents issus des tables rondes tenues à Montréal et à Québec sur la condition féminine à l’occasion de la sortie du rapport Pour les québécoises, égalité et indépendance.

Une troisième proposition, dirigée vers l’Assemblée des supérieurs majeurs des églises diocésaines recommande que les communautés religieuses de femmes investissent davantage en solidarités humaines, financières et autres dans des projets qui faciliteront la promotion des femmes.

La journée fut agréable, les participantes, la plupart laïques, ont aussi beaucoup aimé leur rencontre et ce sont elles qui me l’ont dit !

Montréal    Judith Dufour Vaillancourt