LA THÉOLOGIE FÉMINISTE AVEC UN ACCENT CANADIEN !
Mary Ann Beavis, Elaine Guillemin, Barbara Pell, éditeures.Feminist Theology with a Canadian Accent. Canadian Perspectives on contex-tual Feminist Theology, Ottawa, Novalis, 2008, 447 p.
Monique Dumais, Houlda
La théologie féministe qui se fait au Canada, voilà un ouvrage qui ne peut manquer de nous captiver.
Ellen Leonard, professeure émérite de la Faculté de théologie du Collège S. Michael de Toronto, ouvre le livre par une présentation exhaustive de la théologie féministe produite au Canada anglais, tout en mentionnant L’autre Parole et Femmes et Ministères, deux groupes du Québec.
Je retiens de cet ouvrage imposant deux chapitres en particulier, écrits par deux femmes de L’autre Parole. Il s’agit tout d’abord, de Denise Couture, professeure à la Faculté de théologie de l’Université de Montréal, qui se charge de faire connaître les théologies féministes au Québec en lien avec l’interspiritiualité et Dieue (p. 58-77). En se servant d’une approche contextuelle, elle met en évidence « l’(hypo)thèse de trois contributions en relation avec trois lieux d’ambiguïté » : premièrement, l’ambiguïté d’appartenir à deux cultures tout à fait antagonistes : le féminisme et le catholicisme ; deuxièmement, dans un temps de mondialisation, notre négation des peuples des Premières Nations en même temps que le processus de libération de la colonisation du pouvoir des Anglais et de la participation avec les relations coloniales occidentales des première, deuxième et troisième générations d’immigrants ; troisièmement la mise en forme de la féminisation grammaticale paradoxale de Dieue qui énonce une posture féministe néocoloniale. Ces trois contributions participent chacune à leur façon à l’émergence d’une théologie féministe typique pour le Québec.
Le passage sur l’instauration de la Dieue chrétienne est tout à fait captivant ; il montre la difficulté de parler de Dieu au féminin. Denise Couture mentionne que la Dieue n’est pas le produit de l’imagination des théologiens du milieu académique, mais de la base, l’ecclesia des femmes, lors du colloque annuel de L’autre Parole en 1988. Cette désignation avec un « e » muet est une très forte transgression dans la langue française. La féminisation de Dieu n’est pas sans soulever différentes objections, par exemple celle de la critique postcolonialiste de la féminisation de Dieu par les femmes blanches, par Kwok Pui-lan. Elle est fondée sur « un matricide linguistique et symbolique. » (p. 71) Toutefois, la Dieue n’a pas de réception en France ni en Europe francophone. L’étude des différentes positions des théologiennes telles Rosemary Radford Ruether, Marsha Hewitt, montre qu’il n’y a pas de réponse simple et satisfaisante.
Pour sa part, Denise Nadeau, directrice par interim de l’Interfaith Summer Institute for Justice, Peace and Social Movements à l‘Université Simon Fraser de Vancouver et chercheuse associée à l’Institut Simone de Beauvoir de l’Université Concordia de Montréal, traite de « la relation de restauration, une théologie de réparation comme un cadeau » (p. 220-234).
Elle salue d’abord les peuples de la Côte Salish, les nations Musqueam, Squamish et Tsleil-Waututh, où elle vit comme invitée sur leur territoire. Elle inscrit le lien qu’elle vit personnellement dans sa propre généalogie avec les femmes Mi’kmaq de la péninsule de Gaspé. Son chapitre vise directement le devoir de restauration que les Blancs ont envers les autochtones ; il démontre comment le don s’inscrit dans la justice réparatrice. La réparation signifie de resituer la victime dans son état original avant l’arrivée du mal. Pour les autochtones, la restitution de leurs territoires est une alternative à la réconciliation.
Denise Nadeau nous démontre la tradition des réparations collectives, la logique du don dans les philosophies autochtones, le sens du don chez Marcel Mauss, les théories féministes où le don des mères est orienté vers le bien de l’autre, ainsi que d’autres réflexions sur le don, celles de Jacques Derrida et Jean-Luc Marion, de Mary Jane Rubenstein sur les relations, de Geneviève Vaugh sur la réciprocité, de Kathryn Tanner sur une « économie de la grâce ». Dans le christianisme existe une tradition du don qui est à la fois anticapitaliste et antiimpériale, mais elle a été cachée et déniée par la tradition chrétienne européenne. En effet, les Européens ont donné des cadeaux pour solidifier leurs relations, mais ils en ont abusé. L’auteure est formelle : « La plupart des peuples autochtones ont vu les traités comme des pactes de paix, non comme des cessions de terre — une opposition (clash) fondamentale de cosmologies. » (p. 232).
Comment les réparations peuvent-elles intervenir dans ce contexte ? Ce n’est pas l’argent qui est en tête de liste. Ce qui importe, c’est de reconnaître les droits des autochtones à leur terre et à leur souveraineté. L’argumentation centrale de Denise Nadeau est qu’il est essentiel de comprendre les cosmologies des autochtones pour résoudre la question des droits de la terre en Amérique du Nord et « que c’est en recourant aux cosmologies écoféministes et à la tradition radicale du don dans le christianisme » (p. 233) que nous pourrons nous engager d’une façon respectueuse avec les traditions des autochtones sans se les approprier. Il s’agit d’une opération de décolonisation en même temps que de respect et de don mutuel, selon « la radicale générosité » de la tradition chrétienne afin de devenir des partenaires égaux. Que cette prière soit entendue !