L’amour est un pouvoir sacré

L’amour est un pouvoir sacré

(Breaking Waves)

Dans ce film, qui s’est mérité le Grand Prix du jury au festival de Cannes, en 1996, et à Paris en 1997, un César pour le meilleur film étranger, le scénariste et réalisateur Lars von Trier a traité le thème de la prostitution dans un contexte à la fois fascinant et troublant.

 L’histoire, qui nous est racontée en huit tableaux, se passe dans un petit village de la côte écossaise. L’auteur nous présente une jeune fille, Bess, au moment où elle se marie avec Yann, un étanger qui travaille à un parc de forage situé en pleine mer. Cette jeune fille, fragile sur le plan psychologique, a dû faire un séjour à l’hôpital à la suite de la mort accidentelle de son frère, survenue au même parc de forage. Dans ce village, la religion chrétienne de foi protestante exerce beaucoup d’emprise. Bess travaille comme sacristine à l’église.  Son rapport à Dieu s’exprime par des dialogues aux allures infantiles, peut-être même de type « schizo », tout empreints de culpabilité.

À la suite de son mariage, Bess fait l’expérience de l’amour, y compris dans sa dimension physique, avec un coeur tout aussi entier que naïf. Après quelques jours de « lune de miel », son amoureux doit retourner au travail : cette séparation perturbe beaucoup la jeune fille. Dans ses dialogues avec Dieu, elle témoigne de la difficulté d’aimer en l’absence de son Yann et supplie le Père céleste de lui ramener son mari. Elle le reverra sur un lit d’hôpital où, à la suite d’un grave accident au travail, il sera maintenu en vie par une kyrielle d’interventions chirurgicales au cerveau. Puis le diagnostic tombera : il sera paraplégique.

Bess pense alors qu’en voulant la présence de son mari, elle est allée contre la volonté de Dieu.  Pour se racheter, elle promet de montrer jusqu’où elle aime Yann, en acceptant de vivre son amour dans la nouvelle situation. Elle passe beaucoup de temps auprès de lui,  heureuse qu’au moins il soit vivant. Mais Yann trouve pénible de la voir sans avoir de contacts sexuels avec elle. Conscient qu’elle est ainsi privée à cause de lui, il lui demande de se trouver un amant, et de venir lui en parler. Bess, troublée, proteste. Mais finalement, elle se prête à ce désir de son mari, par amour. Elle part à la recherche d’un amant, qu’elle croit trouver en la personne de son docteur qui  refuse. Alors, elle pense à se prostituer. Quand elle en parle à Yann, il lui exprime son contentement et lui dit : « L’amour est un pouvoir sacré ». Mais dans son milieu, elle est rejetée de ses parents  et des gens d’Église. L’état de Yann se dégradant, (il sera arraché à la mort par des soins exceptionnels), Bess consent à se prostituer dans une situation qu’elle sait dangereuse même pour sa vie. Auparavant, elle avait demandé à sa belle-soeur, sa grande amie qui, tout en ne l’approuvant pas, lui était restée fidèle, de prier très fort pour la guérison de Yann.

À la scène suivante (le 7e tableau intitulé : le sacrifice de Bess), Bess est transportée toute ensanglantée à la salle d’opération, où elle meurt. Ensuite, on voit Yann marcher avec des béquilles. Les gens d’Église refusent d’accorder des funérailles à la jeune femme. On se prépare donc à l’enterrer. Mais Yann et ses amis ont réussi à subtiliser le corps et à l’amener au parc de forage. Là, Yann ,en pleurs, réalise en embrassant le corps inerte de sa bien-aimée qu’il lui doit la vie et, aidé de ses amis, il abandonne son corps à la mer.

Se prostituer par amour ? Que penser de cela ? Selon une éthique abstraite, il serait facile de dire que c’est immoral. Mais dans le concret d’une situation,  ne peut-il pas y avoir un sens à transgresser un interdit ? Bess ne recevait pas d’argent. Pour elle, c’était à son mari qu’elle donnait son corps. On pourrait penser que Bess encourageait tout simplement les phantasmes de son époux. Mais elle le faisait, avec sa naïveté, par amour. Serait-ce vraiment de la prostitution ? Pas plus, sûrement,  que bien des gestes d’amour posés dans le cadre légal du mariage…

Peut-être Annick de Souzenelle a-t-elle raison d’écrire, en parlant des prostituées bibliques, comme Rahab ou Tamar :  « L’interdit moral de la prostitution chez l’être en exil est l’ombre portée de ce que serait la prostitution d’un corps devenu chair chez l’être éveillé, mais il veut aussi certainement dénoncer en cette objectivation nos prostitutions intérieures laissées à la dérive de l’inconscient. Cet interdit moral ne résiste pas à une plus haute réalisation de l’être, lorsqu’elle exige sa transgression ».   (Le Féminin de l’Etre, p. 159)