Le Vatican ne s’en tire-t-il pas trop bien avec sa pratique d’apartheid des femmes ?

 

Le patriarcat catholique romain reçoit une publicité extraordinaire à la suite de la renonciation du pape Benoît XVI. Comment expliquer que le Vatican affiche une image publique aussi positive, alors qu’il pratique un apartheid des femmes ? Pour la théologienne étatsunienne Mary Hunt, la fumée du conclave brûle les yeux des femmes. Si le Vatican adoptait une politique explicite de ségrégation raciale, les critiques fuseraient de toutes parts. On l’isolerait, il perdrait son prestige. La ségrégation sexuelle n’a cependant pas le même effet. Pourquoi ?

Un patriarcat explicite

En réaction au féminisme, le Vatican a développé une théologie de la femme. Il n’existe pas une théologie de l’homme, car celui-ci occupe la position normative.

Cette théologie énonce que la femme est créée comme une autre pour l’homme, qu’en elle, est inscrit le principe d’aide. Sa nature immuable, voulue par Dieu, consisterait à être épouse et mère, physique ou spirituelle. Ses rôles sociaux comporteraient en conséquence les actions de prendre soin, d’écouter, de soigner, d’éduquer. Dans cette logique, la femme demeure une aide à l’homme pour la procréation. La relation sexuelle dans le mariage doit demeurer ouverte à la conception, d’où l’interdiction de la contraception et de l’avortement.

Certes, le Vatican nous dit et nous répète dans le même souffle que l’homme et la femme sont égaux. Ils le sont en dignité humaine. Cela veut dire que les deux sont humains dans la différence de leur nature et de leurs fonctions. Les femmes sont distanciées des hommes. Elles leur sont subordonnées. On leur assigne des rôles de service. La théologie vaticane expose une pensée patriarcale explicite et exemplaire.

Un apartheid des femmes et une crise du catholicisme romain

Le Vatican pratique un apartheid des femmes. Il exclut les femmes de l’élaboration de ses politiques de tous ordres, de la production théologique vaticane ainsi que des prestations rituelles et symboliques. Il s’agit d’une forme extrême et obsolète de discrimination des femmes qui est contestée partout dans le monde.

 Il importe de distinguer le Vatican des personnes croyantes qui composent l’Église catholique romaine. Le Vatican, c’est l’église de Rome constituée en État. Il comprend environ 830 citoyens, dont 96 % d’hommes, tandis que l’Église catholique romaine, c’est nous ! Ce sont les personnes qui s’identifient comme catholiques, environ 1,2 milliard de personnes réparties sur tous les continents, dont les cultures, les conditions de vie et les pratiques spirituelles sont immensément diversifiées.

 Nous vivons présentement une crise profonde du catholicisme romain qui s’exprime par une scission entre les autorités vaticanes et les aspirations d’une grande proportion de fidèles. Un large mouvement interne à l’Église remet en question la pensée unique et la vision sexiste que le Vatican tente d’imposer. La plupart des catholiques d’aujourd’hui ne croient pas à la discrimination envers les femmes comme élément constitutif du catholicisme.

Nous ne sommes plus habitués à une politique qui justifie explicitement la ségrégation et l’oppression des femmes et qui cherche à l’implanter de manière forcée. C’est pourtant ce que fait le Vatican. 

Toute la société est concernée par la ségrégation des femmes exercée par le Vatican

Le racisme explicite nous apparaît désormais insoutenable. Il ne saurait plus être accepté que le Vatican développe une pensée qui en donnerait un fondement théologique. La ségrégation qu’il exerce à l’endroit des femmes et la justification qu’il en donne sont pareillement intolérables. Cette situation concerne tout le monde. Ses effets n’épargnent personne. La séparation entre l’Église et l’État n’empêche pas le Vatican d’influencer les débats publics, notamment en ce qui concerne les droits génésiques des femmes et les droits légaux des conjoints de même sexe.

De plus, la non discrimination représente un droit fondamental des femmes. L’adhésion à un groupe religieux ne doit pas entraîner la renonciation à ce droit. Les femmes catholiques n’ont pas à se voir contraintes de quitter leur appartenance religieuse parce qu’elles refusent d’adhérer aux discours sexistes des autorités vaticanes. Laisse-t-on les femmes dans d’autres groupes dans cette seule alternative ? N’ont-elles pour seul choix que de quitter leur groupe ou de consentir à être discriminées ? Non. Nous demandons plutôt aux groupes de cesser leurs pratiques discriminatoires. Tel serait le cas si le Vatican pratiquait un apartheid racial. Tel devrait être le cas avec sa ségrégation des femmes. Les femmes catholiques n’ont pas à renoncer à leur appartenance ecclésiale. C’est la société tout entière qui doit se solidariser avec elles.

Il faut que le Vatican cesse de s’en tirer si bien 

Ce ne serait pas la première fois dans l’histoire que l’autorité vaticane se verrait forcée de changer des pratiques. Comment expliquer qu’aujourd’hui l’autorité vaticane se trouve si peu confrontée à l’ensemble de la société en ce qui concerne ses positions anti-femmes ? Est-ce parce que sa politique patriarcale trouve encore suffisamment de résonances dans les cultures occidentales ? L’ensemble de la société cautionne ainsi les discours justificateurs du Vatican, sans tenir compte de la critique interne faite à celui-ci. La reconnaissance dont jouit le Vatican devient le creuset qui rend possible la discrimination envers les femmes. Ceci rend de plus en plus difficile la lutte des femmes à l’intérieur de l’Église. Il est temps de « ne plus laisser le ‘‘micro’’ à la seule hiérarchie », comme l’invite l’association Femmes et hommes, égalité, droits et libertés dans les Églises et la société.  Il faut que l’État et les acteurs sociaux reconnaissent que le Vatican ne parle pas au nom de toutes les personnes catholiques. Il faut que le Vatican cesse de s’en tirer si bien.


 

Denise Couture, professeure titulaire, et

Johanne Philipps, doctorante Faculté de théologie et de sciences des religions Université de Montréal

Les auteures sont membres de la collective L’autre Parole.

 

10 mars 2013