Lettre de Marie-Andrée Roy

Lettre de Marie-Andrée Roy
Montréal,
18 avril 1976

Bonjour

Monique, Monique

Quel plaisir de recevoir ta lettre ! Je trouve ton idée vraiment formidable. Je suis évidemment intéressée à participer au feuillet d’information.

Je vais me permettre de t’envoyer en vrac quelques idées qui me sontvenues à la suite de la lecture de ta lettre.

Il me semble important de préciser la ligne politique qu’entend tenir le feuillet d’information. Personnellement je le vois comme un outil de conscientisation, de dénonciation de toutes les formes d’aliénation que connaissent les femmes et les théologiennes en particulier, un instrument privilégié pour briser la solitude des femmes théologiennes et pour favoriser notre solidarité. Il est grand temps, je crois, que des femmes prennent la parole dans l’Église et dans la société. Il faut que soit enfin dénoncée la situation des femmes dans ce Bastion exclusivement masculin qu’est l’Église. Déjà l’aliénation a fait beaucoup de ravage : combien de femmes se disent satisfaites de leur place dans l’Église ? combien de femmes acceptent de jouer le rôle qu’on leur demande ?

Je souhaite voir s’élaborer au Québec une théologie produite par des femmes ; sur ce plan, il y a bien du travail à faire, la théologie étant accessible à l’université depuis fort peu de temps pour les femmes. D’ailleurs la théologie enseignée dans les facultés de théologie est bien loin des prétentions féministes, au contraire ! Tout se fait au masculin(ou presque) : professeurs mâles pour la très grande majorité, livres de théologiens et d’exégètes de sexe masculin, et un programme de théologie qui porte le sceau du pouvoir traditionnellement masculin. Et les femmes dans tout ça ? Elles se situent comme elles le peuvent, l’enseignement théologique n’ayant pas été transformé malgré l’arrivée d’une clientèle féminine fort importante dans les centres de théologie.

Un risque nous guette dans la production d’un nouveau discours théologique : si nous ne prenons pas soin d’identifier dès le départ nos solidarités, de dire pour qui nous sommes, nous risquons de tomber dans le panneau des théologies traditionnelles, souvent reproductrices des structures en place et justificatrices du système. Nous n’aurions fait alors que donner un son de cloche féminin, vite récupéré par le carillon assourdissant des hommes de toute l’Église.

Je pense que nous avons carrément à opter pour une théologie de la libération spécifiquement féminine. Je veux dire par là une théologie solidaire de la condition des femmes et de l’ensemble des exploités, une théologie qui se sert de la grille d’analyse marxiste pour sa « lecture » de l’histoire, une théologie qui se laisse interpeller par la radicalité de l’Évangile, une théologie qui croit en la nécessité d’une libération historique pour que prenne sens la libération annoncée par Jésus de Nazareth.

Je crois opportun aussi de se pencher sur la place du discours des femmes théologiennes dans l’ensemble du discours que tiennent actuellement les femmes. Une parole féministe prend de plus en plus forme et il me semble important de nous y situer. Les théologiennes ne doivent pas se sentir « à part » des autres femmes, elles doivent rendre compte au contraire que leur condition de femmes les lie à l’ensemble des femmes.

En ce sens nous aurions tout intérêt à faire connaître le journal des féministes québécoises « Les têtes de pioche ». Je t’envoie d’ailleurs le premier numéro de ce journal au cas où tu ne le connaîtrais pas encore..Dans un autre ordre d’idée, je me demande comment tu prévois financer la publication et l’envoi du feuillet d’information.

Je voudrais maintenant te faire une suggestion : pourquoi ne pas organiser pour la fin mai ou en juin, une rencontre (une fin de semaine par exemple) des femmes intéressées à travailler à la publication du feuillet d’information. Je suis personnellement intéressée à savoir dans quelle ligne les autres femmes se situent. Je crois important qu’une telle rencontre se fasse pour favoriser une « parole cohérente » au sein du feuillet, donner des assises solides au feuillet et développer nos solidarités.  Qu’en dis-tu ?

Bon, je te laisse sur ces propos en attendant de tes nouvelles.

Marie-Andrée Roy

N.B. Quand je descendrai dans le Bas du Fleuve, j’essaierai de te contacter. Mon numéro de téléphone au cas où cela serait utile:514-521-7716 J’espère pouvoir te faire parvenir d’ici quelque temps les noms de filles intéressées au Feuillet.