MANGE, PRIE, AIME

MANGE, PRIE, AIME1

Christine Lemaire, Bonne Nouv’aile

Je vous le dis d’emblée : j’ai adoré ce livre, ouvrage à succès des deux dernières années. Je l’ai trouvé réjouissant même si l’auteure y raconte sa souffrance, exubérant même si elle y parle d’intériorité. Avec un regard jamais exempt d’autodérision, de l’humour plein les pages, Elizabeth Gilbert nous livre un témoignage vivant et bien de notre temps. Ce livre est un véritable « remonte moral ».

L’auteure est une journaliste new-yorkaise. Elle a écrit des livres, fait paraître des articles dans GQ et Spin. On ne peut plus jet-set. Et on ne peut plus éloigné de ces mouvements de droite chrétienne américains. Elle serait plutôt d’un milieu agnostique, où l’on considère avec une certaine méfiance ses « efforts pour atteindre la sainteté » (p. 320), nous dit-elle avec une pointe d’ironie.

Après un divorce extraordinairement difficile et une relation amoureuse catastrophique, l’auteure se retrouve dans un passage à vide. Son premier réflexe : prier. « Vous savez, comme dans prier Dieu », nous confie-t-elle (p. 26). Pas pour se sortir d’elle-même, mais pour se trouver. Car une connaissance lui avait un jour avoué qu’elle adoptait à ce point la personnalité de chacun de ses amoureux que lorsqu’elle en changeait, on ne la reconnaissait plus !

Notre héroïne décide donc de prendre une année sabbatique et de se lancer dans un périple qui l’amènera dans trois pays : l’Italie, l’Inde et l’Indonésie. Elle passera quatre mois dans chacun d’eux.

En Italie, mange

Après les années pénibles qu’elle vient de passer, Rome est la première étape de sa remise à neuf. L’auteure a une passion pour l’italien ; c’est, à son oreille, la langue la plus belle et la plus sensuelle du monde. Le premier objectif de cette période de quatre mois est donc d’apprendre à le parler. Le second est de manger. Nous la suivons donc, l’eau à la bouche, dans tous les restaurants de Rome. Elle y prend du poids et de la santé ; s’y fait des ami-e-s.

En Inde, prie

La deuxième étape de son périple est un ashram indien. L’auteure avait déjà fait la connaissance à New York, d’une gourou dont elle avait fréquenté l’ashram dans un état de l’Est américain. Elle choisit donc d’aller aux sources de cette relation spirituelle et prévoit visiter ensuite des temples et autres lieux sacrés du pays. Or, sa soif et sa démarche rigoureuse la confineront tout au long de son séjour dans le petit ashram. Pour elle : « Une intro-spection spirituelle sincère requiert, et ce, depuis toujours, des efforts de discipline et de méthode. La quête de la vérité n’a rien d’une discussion à bâtons rompus à propos de tout et de rien, pas même à notre époque, âge d’or de la discussion à bâtons rompus à propos de tout et de rien. » (p. 12)

L’auteure nous livre aussi sa vision de ce que d’autres nomment la « spiritualité à la carte ». Pour elle, toutes les religions peuvent offrir un soutien à notre quête spirituelle, sans que nous ayons pour autant le besoin de nous « convertir ». Les enseignements religieux nous proposent des métaphores expliquant le monde et la façon d’atteindre le divin ; libre à nous de nous en inspirer. Selon elle, cette approche « interspirituelle » est la condition pour garder les religions vivantes et les faire évoluer.

En Indonésie, aime

Voici l’auteure rendue à la dernière étape de son périple. Lors d’un voyage antérieur, elle avait rencontré un vieux sorcier balinais qui lui avait offert un dessin « magique » : un être à quatre jambes – pour être bien ancré à la terre, une plante à la place de la tête, les yeux au niveau du cœur. Elle retrouve ce vieil homme qui lui enseignera sa façon de voir le monde ainsi que d’autres techniques de méditation.

Ayant résolu de ne pas avoir d’aventure amoureuse tout au long de cette année de réhabilitation, Elizabeth résistera beaucoup à un Sud-Américain qui s’éprend d’elle. Mais ce n’est pas seulement d’amour romantique et sensuel dont il sera question dans cette partie, mais aussi d’amitié, de charité, de respect et de compassion.

Mange, prie, aime

Lors d’une chirurgie d’un jour, couchée sur un lit d’hôpital, à jeun et prise d’une migraine atroce, j’ai pu méditer sur la sagesse des conseils donnés par le titre de ce livre : Mange, prie, aime. Dans l’ordre ! Il m’apparaissait clairement que la prière et l’amour ne peuvent atteindre leur qualité qu’à la condition qu’on ait d’abord pris soin de son corps… Du moins, pour des néophytes de la sainteté, dont je suis ! C’est d’ailleurs ce que tous les yogis mettent en pratique. Et c’est une motivation supplémentaire pour combattre l’injustice et la pauvreté.

En terminant, je voudrais citer cette phrase très représentative du ton de l’ouvrage. L’auteure, réagissant à l’atmosphère très sceptique de son milieu, s’écrie avec candeur : « Je suis fatiguée d’être une sceptique, je suis agacée par la prudence spirituelle et je suis lassée et desséchée par le débat empirique. Je ne veux plus l’entendre. Je ne pourrais pas me ficher davantage de l’évidence, de la preuve et des promesses. Je veux juste Dieu. Je veux Dieu à l’intérieur de moi. Je veux que Dieu joue avec mon flux sanguin comme la lumière du soleil s’amuse sur les flots. » (p. 273)

On pourrait en penser que l’auteure se lance tête baissée dans une nouvelle aventure amoureuse. Mais, à ce stade de son récit, nous réalisons plutôt qu’avec l’intensité qui la caractérise, cette femme ose sa couleur, qu’elle assume enfin sa soif, qu’elle a trouvé le véritable objet de sa quête. Étant donné le grand succès qu’a rencontré son histoire, nous pouvons penser que son expérience rencontre un écho dans la vie de bien des lectrices.

1. GILBERT, Elizabeth. Mange, prie, aime, Paris, Calmann-Lévy, traduction française 2008.