MES RÊVES SONT GRANDS.

MES RÊVES SONT GRANDS.

Mon nom est Manon Dubé, je suis âgée de trente-cinq ans. À la fois mère et étudiante, je mène un éternel combat pour ne pas m’enfoncer dans l’étiquette sociale qui me revient, c’est-à-dire « femme seule avec deux enfants, vivant au seuil de la pauvreté ». Il y a environ cinq ans, après avoir été mis à pied par la Chambre de Commerce de ma région, où j’occupais, depuis quelques années, le poste de secrétaire administrative, je me suis mise à penser sérieusement au rêve que je caressais depuis fort longtemps, c’est-à-dire « aller à l’université ». Toutefois, les étapes à franchir avant même de pouvoir y déposer ma candidature me semblaient gigantesques. L’obstacle numéro un n’était pas de tout repos ; je n’avais pas confiance en moi, d’autant plus que je venais d’apprendre que j’allais donner naissance à mon petit dernier, j’avais donc en ma possession mille et une excuses pour reculer devant mon projet.

Pourtant, dès le mois de septembre suivant, avec l’aide exceptionnelle de mon conjoint, malheureusement décédé depuis deux ans, j’ai entrepris, au Cégep Lionel Groulx, un programme spécialement conçu pour les femmes désirant retourner aux études. Encore incertaine de l’avenir, ce programme m’a toutefois servi de tremplin pour accéder à ma première session universitaire. Plusieurs champs d’études me fascinaient et j’avais l’impression qu’un nouveau monde, rempli de toutes les possibilités inimaginables, s’ouvrait à moi. Je me suis gavée de tout ce qui me semblait intéressant. J’ai pris des cours en criminologie, en psychologie, en philosophie et même en sexologie. Aujourd’hui je suis inscrite au majeur en théologie pratique et au certificat en pastorale de la santé. Je m’intéresse au soutien à apporter aux mourants et aux endeuillés et je vise une approche basée sur l’écoute active, mais aussi inspirée de l’expérience personnelle.

Par rapport à mes valeurs religieuses, je me qualifierais de catholique non pratiquante. L’Église institution m’apparaît comme un professeur autoritaire qui ne rate aucune occasion pour me réprimander. Par l’intermédiaire de cette Église, je comprends que le Salut de Dieu n’a rien de gratuit puisqu’il semble être conditionnel. Or, au coeur de mes prières je n’ai pas de rituels exigés pour me rendre à Dieu. Je me sens aimée telle que je suis, au même titre que les autres, ni plus, ni moins. Je sens que je porte en moi l’amour inconditionnel du Christ. L’institution et toute sa hiérarchie me troublent et me refoulent derrière ses portes. Je n’ai jamais ressenti y avoir ma place puisque je ne me sens pas rejointe comme individu par l’Église et son clergé. La plupart des ordonnés sont, selon moi, trop ancrés dans leur rôle vocationnel, et laissent rarement transparaître leur personnalité.

Selon moi, le problème se situe, entre autres, au niveau de l’approche utilisée pour me ‘séduire’. Je ne vais pas à la messe dominicale, tout simplement parce que je n’y retrouve pas de partage. La communication est à sens unique. Je reçois sans jamais donner. Je regarde sans jamais m’exprimer. Je suis laïque et assise derrière. Dans cette Église, j’ai froid, malgré la beauté du décor et j’ai faim, malgré toute cette nourriture, déjà préparée, que l’on m’offre. Dans cette Église, j’ai de la difficulté à me recueillir et à me sentir chez moi.

Entre moi et cette Église, il existe une éternelle rupture et une éternelle réconciliation. Je la quitte et j’y retourne assoiffée d’amour, tel un enfant au sein de sa mère. Et pourtant, quoi que j’en pense, elle est toujours là à m’accueillir, non pas comme je le voudrais, mais, tout de même, je reconnais qu’elle est toujours là… assidue pour m’offrir les sacrements que je lui demande.

Ce qui m’apparaît fascinant chez l’autre, c’est la capacité de croire toujours au but ou à l’objectif à atteindre et ce, peu importe le choix qui a été fait. La réussite des femmes dans le monde des affaires, des arts et autres est un élément toujours grandissant chez nous, au Québec. Les femmes d’aujourd’hui sont plus visibles dans leur bataille, dans leur persévérance et dans leur aspect combatif. Mais il y eut aussi toutes celles qui se sont battues dans l’ombre et en silence. Il y eut celles qui, par choix, ont sacrifié leur vie pour celle de leurs enfants, parce que socialement parlant c’était la tradition. En ce sens, je me réfère à celle qui fut le plus près de moi : ma mère. Rassurée qu’elle nous a aimés plus que sa vie, je puise aujourd’hui ma force et mon courage dans tous les rêves et toutes les ambitions inaccomplis qu’elle a choisi de taire pour nous.

En tant que femme, je sais pertinemment que pour avoir ma place, je dois me battre plus fort et plus longtemps que l’homme. Je dois vendre ce que je suis et je dois toujours faire la preuve que je suis capable. Nous voulons l’égalité, nous voulons être reconnues comme des individus à part égale et je crois que dans ce sens, la femme a réussi à franchir quelques étapes. Pourtant, il suffit de peu de chose pour nous ramener socialement au second rang de la race humaine. L’Église en est un bel exemple avec son empire rempli spécifiquement de ‘mâles’. Non seulement elle refuse d’intégrer la femme comme clerc dans son institution, elle exige aussi de l’homme qu’il en fasse autant, en reniant sa sexualité, donc, en n’ayant aucune relation intime avec nous, les femmes. Somme toute, je comprends qu’elle nous exclut du revers de la main, parce que, dit-elle, nous ne sommes que des femmes…

Mes rêves sont grands, plus grands que toutes les raisons rationnelles. J’aspire à un monde sans jugement et sans prétention. Je rêve que nous redevenions enfin des individus personnalisés, sans aucun numéro sur notre dossard. Je rêve que notre gouvernement, que notre planète soient gérés uniquement en fonction de notre bien-être, et que les seuls objectifs à atteindre tendent à nous rendre des êtres toujours plus épanouis. Ainsi, à chaque levée du soleil, je m’éveille sur ces rêves un peu fous en réalisant que la lutte est difficile, parce que nous sommes des pions dans cette société et pire encore, parce que nous sommes femmes. Trop de portes nous restent encore fermées. Les femmes ont transmis, depuis le début de la création, leur force et leur apport à la communauté, elles ont créé, bercé et façonné tout homme présent sur cette planète. La non-reconnaissance de ce que nous valons réellement est peut-être le miroir de ce qu’ils pensent d’eux-mêmes. Il n’est pas toujours évident de prendre notre place dans ce grand théâtre de la vie. C’est souvent seules et désarmées, que les femmes se laissent prendre dans le grand tourbillon de la vie et qu’elles oublient quelquefois, voire même souvent, que cette société aux couleurs de l’an 2000, n’est pas celle qui nous convient. Pour ma part, elle ne ressemble aucunement à celle que je côtoie chaque nuit, lorsque je m’envole sur mon nuage.