Naissance d’une vocation à la théologie

Naissance d’une vocation à la théologie

Marie Gratton

NDLR – Publication posthume du témoignage de Marie Gratton, le 23 mars 2013, pour souligner le 50e anniversaire de la Faculté de théologie et d’études religieuses de l’Université de Sherbrooke.

Bien des personnes se sont autrefois interrogées sur la naissance de ma « vocation » à la théologie. Deux hommes m’y ont « appelée » et ni l’un ni l’autre n’en ont jamais rien su. Je tairai le nom du premier par charité chrétienne. Nous étions en 1962. Lors d’une conférence publique, portant sur le concile annoncé, j’avais candidement demandé si la question de la place de la femme dans l’Église, et sa possible accession aux ministères ordonnés seraient étudiées. Il m’a répondu : « Non, il ne saurait en être question, parce qu’il serait inconvenant qu’une femme tînt dans ses mains le corps du Christ ». J’en ai eu le souffle coupé, mais pas les ailes… Ma vocation est ainsi entrée en gestation. Quelques mois plus tard, une réflexion de Jean Le Moyne, tirée de son beau livre Convergences, allait lui permettre de naître. « La foi sera à moitié pensée, écrivait-il, aussi longtemps qu’elle ne sera pas pensée par les femmes ». C’était chez moi une conviction secrète, née de mon expérience de femme laïque, d’épouse et de mère. Sous la plume d’un homme, cette conclusion ne pouvait être que désintéressée. D’où son poids, évidemment !

Le reste, c’est ma longue, exigeante, stimulante, libérante et très heureuse histoire à notre Faculté. Quelle joie de lui redire mon attachement ! Je voue à monsieur Lucien Vachon une reconnaissance qui ne s’est jamais démentie. Il m’y a accueillie avec une sobre cordialité, qu’aucune condescendance ne venait entacher. Ce dernier trait, je l’ai senti toutefois chez un seul professeur, à mon premier cours, et chez certains jeunes collègues d’études. Cela n’a pas duré. Je me suis vite activée à faire mes preuves, comme on dit. Je ne garde de mes années d’étudiante que de bons souvenirs. J’ai profité à la Faculté des immenses compétences professionnelles, des dons pédagogiques et des attachantes qualités humaines des professeurs qui m’ont formée. Je renonce à les nommer ici, la liste serait trop longue. Certains sont décédés, d’autres sont encore parmi nous. Ils ont et auront toujours droit à ma gratitude. J’ai eu le privilège d’étudier dans un climat de rigueur, d’ouverture d’esprit et de liberté intellectuelle qui m’ont toujours inspirée. J’ai parfois fait des vagues, remis en cause certaines décisions, plus soucieuse de mes convictions profondes que des impératifs des politiques ecclésiales. On m’a, je pense, depuis longtemps pardonné.

Quand, à la fin de mes études de maîtrise, on m’a proposé une tâche de chargée de cours, j’ai, après un moment d’incrédulité, accepté avec une joie mêlée de crainte et de tremblements. Allais-je être à la hauteur ? Cela, seule la clientèle étudiante pourrait le dire. Mais je peux me rendre le témoignage de m’y être employée avec constance et ferveur. Entre l’enseignement et moi, il y a eu un mariage d’amour. Assez rapidement, j’ai obtenu un poste à mi-temps. Il s’est parfois transformé en plein temps. Vous savez les réunions, les comités, les Conseils de ceci ou de cela et toute la paperasse à étudier qui s’en suit, cela dévore le temps. Mais partout, j’ai tellement appris. Comme au temps de mes études, j’ai fait quelques vagues. Je me suis intéressée à des sujets dont, le moins qu’on puisse dire est, qu’ils ne faisaient pas l’unanimité. J’ai défendu mon point de vue dans les médias. On m’a toujours laissé aller la bride sur le cou. J’espère n’avoir jamais créé l’épouvante…

Quand, en 1986, la Faculté a été menacée de mort par la direction de l’Université, j’ai usé d’un humour peu protocolaire pour la défendre dans une lettre au journal La Tribune. Comme dit un de mes amis qui lui pratique l’humour absurde : « Les bornes ont des limites ». Je les avais franchies. On me l’a fait savoir. Je ne regrette rien. Non seulement nous avons survécu à mon insolence. Mieux encore, je vous regarde et constate que nous avons rajeuni.

En 2001, on m’a proposé de devenir ambassadrice de notre Faculté. J’ai beaucoup hésité à accepter cet honneur et cette responsabilité. Si j’ai consenti, c’est à cause du thème : « Oser ». La Faculté n’a jamais cessé d’oser. J’étais entrée dans une faculté où l’on nous apprenait ce que les grands théologiens actuels et du passé avaient pensé, écrit et enseigné, mais où on nous incitait aussi à penser par nous-mêmes. J’ai retenu le conseil de Saint-Augustin qui disait qu’il fallait s’employer à chercher Dieu, comme si l’on devait le trouver. Mais si l’on croyait l’avoir trouvé, on se devait de le chercher encore.

Tout au long de son histoire, la Faculté a osé, a innové. Je pense qu’elle doit à cela sa survie et son rayonnement. J’ai bénéficié de cet état d’esprit fait d’audace, de courage, de créativité et d’espérance. Je m’en suis nourrie, j’espère aussi avoir contribué, si modestement que ce soit, à le transmettre, suivant en cela le programme de Lanza delVasto : « Dans des sentiers que nul n’aura foulés, risque tes pas. Dans des pensées que nul n’aura pensées, risque ta tête ».

Longue et fructueuse vie à la Faculté qui a nourri mon esprit, et restera à jamais chère à mon cœur.