Depuis la fondation de L’autre Parole en 1976, nous les femmes du Collectif, avons toujours porté la question du droit d’accès à l’ordination des femmes. Nous avons constamment poursuivi comme objectif le changement de l’ensemble de l’institution ecclésiale vue comme cléricale, autoritaire et patriarcale. Nous avons fait valoir notre option pour une Église communautaire, démocratique, prophétique où les femmes pourraient avoir une pleine implication à tous les paliers de cette institution. Par notre pratique, nous avons modestement essayé de signifier cette Église. Si dans un premier temps, nous avons mis l’accent sur la prise de parole des femmes dans l’Église, à l’heure actuelle, notre réflexion nous amène à nous prononcer sur la question de l’ordination des femmes. C’est là l’objet de notre éditorial.
Les femmes doivent avoir accès à tous les ministères, ordonnés et non ordonnés. Nous refusons toute exclusion fondée sur le sexe des personnes. Le temps de la réflexion, des commissions spéciales, des études approfondies est révolu. L’heure de l’action a sonné. Les femmes doivent entrer dans le champ du sacré.
La question de l’ordination des femmes a été mise de l’avant depuis fort longtemps par divers groupes de chrétiennes et de chrétiens engagés dans l’Église. Que l’on se rappelle seulement les revendications suivantes :
En 1971, un groupe de canadiennes-françaises présentait à la Conférence des évêques catholiques du Canada une demande explicite :
Que soit rendu possible pour la femme l’accès à des ministères (incluant le diaconat et le sacerdoce) qui peuvent s’exprimer
- Dans des vocations personnelles
- et à partir des besoins des communautés diocésaines particulières.
- Qu’à cet effet les évêques encouragent la révision de certaines lois ecclésiastiques désuètes mais encore contraignantes qui ne sont pas fondées sur la Révélation ni sur une anthropologie sexuelle adéquate.« Mémoire des femmes canadiennes-françaises, » La femme dans l’Église et la société » L’Église canadienne, vol. 4, no 6, juin-juillet 1971, pp. 184-186.
Il est peut-être important de souligner que parmi les signataires de cette demande on retrouvait : Mesdames Anita Caron, Lorraine Caza, Simonne Monet-Chartrand, Denise Gauthier, Élisabeth Lacelle, Lucie Leboeuf, Hélène Pelletier-Baillargeon et la regrettée Madeleine Ryan.
En 1980, les Chrétiens pour une église populaire de Québec, dans leur manifeste sur la place de la femme dans l’Église, affirmaient :
Nous croyons qu’il est temps que l’Église revoie sa vision actuelle du sacerdoce (le célibat obligatoire, le type de formation, les lieux d’engagement du clergé, ainsi que la nécessité d’être prêtre pour participer au pouvoir dans l’Église) afin qu’il soit un ministère accessible aux femmes et aux hommes et qu’il corresponde davantage aux réalités de notre époque et de notre Église.
De plus, au cours des vingt dernières années, divers groupes de femmes dans l’Église, même s’ils étaient désireux de voir les femmes accéder à tous les ministères, ont volontairement limité leurs demandes. Ils ont par exemple réclamé l’accès à des ministères non ordonnés ou encore au diaconat ou bien ont demandé que soient réalisées de nouvelles études sur la question. Il s’agissait de ne pas bousculer les autorités ecclésiales, de ne pas les indisposer afin de permettre des avancées sur d’autres questions importantes concernant les femmes. Aujourd’hui les femmes ont à peu près fait la tour des « possibles » institutionnels : chancelières, animatrices de paroisses, responsables d’offices diocésains, etc. Il est plus que temps de s’attaquer au noyau du problème, au centre de la résistance, le sacerdoce.
Il est intéressant de rappeler que quelque 70 % des femmes qui occupent une fonction pastorale et qui ont participé à l’étude LES SOUTANES ROSES sont favorables au sacerdoce des femmes.
Comme on peut le voir, si la question de l’ordination des femmes n’a pas fait l’objet d’un débat public dans l’Église catholique, ce n’est nullement parce que les femmes ne s’intéressaient pas à la question.
De plus, l’accès des femmes au sacerdoce nous apparaît inséparable de la question de leur égalité dans la société. Elles ont dû conquérir le droit de vote, l’accès au savoir, le droit à leur salaire, le droit d’accéder à toutes les professions, à un salaire égal pour un travail équivalent, et aujourd’hui, il nous apparaît normal que les femmes puissent travailler, avoir un compte de banque etc. La société reconnaissant aux femmes une égalité de droit et de plus en plus de fait, la pratique de l’Église apparaît aujourd’hui dépassée, anachronique. Pourtant cette institution s’est voulue première défenderesse des sans-droit, des plus petits. Elle aurait tant à gagner en ayant, à l’égard des femmes, une pratique fidèle à ses principes.
Au niveau du droit, les pratiques de discrimination sont illégales dans la société. Il est vrai que l’Église ne peut être contrainte, par les lois civiles en matière d’égalité, de procéder à l’ordination des femmes. Si à l’intérieur de son propre code de droit canonique, l’Église accepte de reconnaître aux femmes une égale dignité, elle continue cependant de s’objecter à leur égalité en ce qui a trait à leur rôle et à leur fonction. Nous pensons, à L’autre Parole, que la demande des femmes d’accéder à l’ordination détient sa pleine légitimité des valeurs mêmes promues par le christianisme.
Au Québec, depuis une trentaine d’années, les femmes ont accès au savoir théologique. Depuis le milieu des années soixante-dix, l’institution fait de plus en plus appel à leurs compétences pour l’enseignement de la foi, l’initiation sacramentelle et diverses tâches pastorales et liturgiques, autrefois accomplies par les membres du clergé. Cependant, l’institution refuse aux femmes une reconnaissance en droit de ce qu’elles font de fait. Elle leur refuse d’aller jusqu’au bout de leur ministère dans la communauté en leur interdisant l’accès au sacré.
Le refus de reconnaître publiquement le rôle et l’apport des femmes dans l’Église consacre leur invisibilité et continue de faire apparaître cette situation comme découlant d’un ordre naturel des choses.
Les hommes, eux, peuvent choisir entre le laïcat et le sacerdoce, les femmes, elles, n’ont pas la choix… En agissant ainsi, l’Église enseigne et illustre d’une façon très réelle et très concrète que les femmes ne sont pas des personnes à part entière et elle risque de faire croire que cette situation est irrémédiable.
On a trop longtemps mésestimé l’impact de cet interdit sur la représentation qu’ont les femmes d’elles-mêmes. Leur refuser l’accès au sacré, c’est leur projeter, individuellement et collectivement, une image diminuée et dévalorisante d’elles-
mêmes ; c’est leur ravir la plénitude de leur statut de femme créée à l’image de Dieu ; c’est assurer la pérennité des vieilles anthropologies sexistes qui ravalent les femmes à des figures de tentatrices, de pécheresses, d’impures. Les femmes ne sont pas dupes. L’entêtement clérical à les reléguer au profane confirme bien qu’on les associe toujours à la souillure.
Aujourd’hui, notre intervention ne veut pas entrer sur le terrain théologique. Nous tenons pour acquis qu’il n’y a pas d’objection d’ordre théologique pour l’accession des femmes au sacerdoce. De nombreuses études ont été faites sur le sujet et ont clairement démontré que le refus de l’ordination des femmes est un refus d’ordre culturel enraciné dans une longue tradition historique patriarcale. En aucun cas il ne s’agit d’une expression de la volonté de Dieu.
En se prononçant pour l’ordination des femmes, le collectif pense que les déterminismes biologiques ne peuvent pas jouer dans la façon de concevoir le sacerdoce des femmes, comme en conviennent d’ailleurs tant de théologiennes et de théologiens.
Nous ne voulons pas promouvoir un sacerdoce proprement féminin à partir de qualités qui seraient intrinsèquement féminines. Nous ne croyons ni à un sacerdoce masculin, ni à un sacerdoce féminin. Pour nous, il ne devrait y avoir qu’un ministère ecclésial accompli par des femmes ou des hommes qui sont des sujets sexués dans l’histoire.
La demande d’accès à l’ordination des femmes ne signifie pas que l’on cautionne et approuve le ministère sacerdotal tel qu’il est conçu et pratiqué aujourd’hui, ni que nous sommes en faveur d’une Église hiérarchique où le pouvoir est concentré entre les mains des clercs. Si ce type d’Église ordonnait les femmes, nous ne cesserions pas pour autant nos revendications à son endroit. Cependant, nous ne voulons pas mettre notre revendication d’accès à l’égalité des femmes à la remorque de l’avènement éventuel d’une Église communautaire, démocratique. Si les femmes dans la société avaient attendu pour faire leur entrée en politique que celle-ci soit non sexiste, non macho, non élitiste, etc… elles attendraient encore… dans leur cuisine. Même si l’avènement de l’ordination des femmes n’offre pas de garantie absolue du renouvellement ecclésial, nous pensons qu’il favoriserait, à tout le moins, la réalisation de l’Église de notre espérance.
Nous faisons du droit d’accès des femmes au sacerdoce une question de principe. Les femmes dans l’Église doivent être reconnues comme des sujets pleinement égaux, tant dans les écrits que dans la pratique. L’égalité implique le droit d’accès à tous les paliers de l’institution ; toute restriction fondée sur le sexe constitue une discrimination intolérable, injustifiable et que nous dénonçons vigoureusement. En matière d’égalité il n’existe pas de demi-mesure, de compromis ; on ne peut pas être « un petit peu égal » ou « pas trop égal ». On est égal ou on ne l’est pas. Si on n’est pas égal c’est que l’on est inégal, subordonné.
De plus, il importe pour nous qu’éclate le modèle unique, clérical, centralisateur de sacerdoce et que s’affirme une pluralité de modèles sacerdotaux à travers les diverses vocations des femmes et des hommes d’ici et selon les besoins et les attentes des différents types de communauté chrétienne.
Il nous apparaît scandaleux que les femmes qui se sentent appelées à oeuvrer dans l’Église ne puissent le faire jusqu’au bout. Leur communauté en a un urgent besoin et l’Église de Jésus-Christ ne pourra se réaliser sans elles. Il faut donc que cette institution ecclésiale, dans laquelle s’inscrivent les féministes chrétiennes, cesse toute discrimination systémique à l’égard des femmes. Maintenant que le problème est clairement énoncé, la continuation de cet état de fait constituerait une caution institutionnelle au péché de sexisme à l’égard des femmes.
Afin que la situation change nous lançons un appel :
- À toutes les femmes en Église afin qu’elles se solidarisent dans la lutte pour la reconnaissance d’une pleine égalité, et cela indépendamment du fait qu’elles désirent ou pas le sacerdoce pour elles-mêmes.
- À toutes les femmes dans la société nous demandons de nous épauler dans cette conquête pour la reconnaissance de notre dignité.
- À tous les hommes dans l’Église, qu’ils soient clercs ou laïcs, s’ils souscrivent aux valeurs de justice et d’égalité, qu’ils témoignent de manière tangible de leur solidarité sur cette question.
Des pistes d’action ? Voici quelques suggestions.
- Pour les femmes désireuses d’accéder au sacerdoce, il devient important à ce moment-ci, qu’elles fassent connaître publiquement leur désir de servir la communauté comme personne ordonnée. Les communautés chrétiennes où elles travaillent n’ont-elles pas, pour leur part, la responsabilité de déposer une demande officielle en ce sens, auprès de l’évêque ?
- Pour les évêques qui se disent sincèrement solidaires de la quête d’égalité des femmes, pourquoi n’accepteraient-ils pas d’ordonner ces femmes qui sont présentées par leur communauté chrétienne ? Elles sont nombreuses à posséder les capacités personnelles, intellectuelles et spirituelles qui les rendent aptes à servir comme ministres ordonnées . Craignent-ils de poser un geste de rupture ? Au contraire, nous croyons qu’ils poseraient là un geste prophétique qui permettrait la réconciliation des femmes et des hommes et l’affirmation d’une Église beaucoup plus évangélique. Faut-il aveuglément obéir à la loi canonique quand celle-ci est porteuse de discrimination à l’égard de la moitié des membres et quand elle leur cause un préjudice extrêmement grave ?
- On peut aussi imaginer que des communautés, aux prises avec un jeûne sacramentel de plus en plus difficile à supporter et qui jugent intolérable l’interdit qui pèse sur les femmes, se résolvent à choisir parmi leurs membres une personne chargée de rompre le pain, afin de célébrer l’eucharistie comme disciples égaux. Une telle pratique a-t-elle déjà cours ? Certaines communautés songent-elles à la mettre en place ? Il est clair que l’intransigeance institutionnelle incite les communutés engagées à se « débrouiller » dans l’ombre, à développer des pratiques « alternatives » afin de vivre en fidélité avec leur compréhension de l’Évangile.
Notre revendication s’appuie sur l’attitude libre, interpellante, dérangeante de Jésus. Dans son Évangile, Il nous a enseigné que si notre justice ne surpassait celle des faiseurs de loi, nous n’entrerions pas dans le Royaume des Cieux. Les femmes demandent justice. Seront-elles entendues ?
L’Église a permis l’esclavage pendant cinq siècles croyant que c’était là la volonté de Dieu. Pendant plus de 10 siècles, elle a admis la torture pour corriger les hérétiques ou les punir. Pendant 20 siècles, elle a enseigné la subordination des femmes et, conformément à la pensée d’un Thomas d’Aquin, elle voyait là, un obstacle à leur ordination. « La femme est en état de sujétion. Elle ne peut donc recevoir le sacrement de l’ordre. », (St. Thomas. supp., q. 39 , art. 1). Par contre, l’Église a aussi été capable, à certains moments de son histoire, de leur faire une place. Des abbesses ont dirigé pendant des siècles des monastères d’hommes et de femmes. L’Église s’est objectée aux mariages arrangés qui forçaient des femmes à épouser des hommes contre leur gré. Elle a pris parti pour les plus pauvres, en mettant sur pied, par le biais des communautés religieuses, des services de santé, d’éducation. L’Église est aujourd’hui conviée à faire un pas de plus sur la voie de la justice, de l’équité, à se dépouiller de son « vieil homme » sexiste qui fait ombrage à sa capacité de réfléter l’Espérance de Jésus-Christ.
Les femmes ont toujours été une force vive dans l’Église. Leur accès au ministère ordonné impulserait, à l’aube du troisième millénaire, un nouveau Souffle à l’Église de Jésus-Christ.
Monique Hamelin et Marie-Andrée Roy
pour la Collective L’autre Parole.
L’autre Parole no 43, septembre 1989.