Pratique d’écriture de L’autre Parole.

Pratique d’écriture de L’autre Parole.

Réécriture féministe de la Bible

Par Léona Deschamps et Monique Dumais, Houlda

Aujourd’hui, L’autre Parole s’avère une collective de femmes chrétiennes et féministes formée de divers groupes de réflexion ou d’action sur la condition des femmes dans l’Église et dans la société. Les groupes sont répartis dans diverses villes de la province québécoise : Rimouski, Québec, Montréal, Sherbrooke  et Gatineau.

L’autre Parole est née d’une simple invitation adressée par Monique Dumais le 14 avril 1976, à une quinzaine de Québécoises travaillant dans le domaine de la théologie ou des sciences religieuses, invitation suggérant un éventuel regroupement dont les objectifs seraient de désexiser  les pratiques et le discours religieux, puis d’assurer l’affirmation d’une présence et d’une parole de femme dans cet univers sexiste qu’est l’Église. C’est ainsi que le 14 août de la même année, Monique accueillait dans sa résidence à Rimouski, Louise Melançon, professeure de théologie à l’Université de Sherbrooke, Bibianne Beauregard, candidate à la maîtrise en théologie au même endroit et Marie-Andrée Roy, bachelière en théologie de l’Université de Montréal.

Après six heures d’échange et de convivialité, il fut décidé que l’on s’impliquerait au niveau de la recherche (reprise des discours théologiques en tenant compte des femmes) et au  plan de l’action (démarches concrètes pour une participation entière des femmes dans l’Église).

Ce même jour, naissait un modeste feuillet d’informations, de stimulation d’idées et de réactions qui  paraîtrait, par la suite, au début de l’automne, de l’hiver et du printemps. Dès septembre 1976, un exemplaire de quatre pages était adressé à 125 femmes susceptibles de s’y intéresser. La dénomination du groupe L’autre Parole, semble avoir  été inspirée de Parole de femme, d’Annie Leclerc (Grasset, 1974) « pour que notre parole éclate avec force dans l’enceinte de la théologie québécoise » (L’autre Parole ,no 1, 1976)

Dès l’origine de la Collective, trois théologiennes, prennent la liberté de penser, d’écrire et d’agir en faveur de la promotion des femmes et du message libérateur de l’Évangile : « Ce qui nous tient à cœur , c’est l’égalité et la justice […] c’est que l’on partage les pouvoirs, que l’on s’autogère, et que dans l’Église, les femmes côtoient des frères plutôt que des pères. » (L’autre Parole, no 4, 1977).

Rapidement, des femmes se joignent aux trois fondatrices pour partager leur réflexion. Ainsi naît un comité de coordination qui faciliterait  la circulation des réflexions féministes entre les sous-groupes de Rimouski, Sherbrooke et Montréal.

Au cours des décennies, le bulletin, d’abord feuillet de liaison, est devenu une revue publiée au rythme des saisons.  Habituellement, la parution estivale propose des divertissements féministes, celle de l’hiver relate les contenus du colloque de l’année, puis celles de l’automne et du printemps offrent des analyses féministes pertinentes.  Avec son 105e numéro paru au printemps dernier, la revue L’autre Parole s’avère la plus ancienne publication féministe non subventionnée présentant une théologie québécoise où se déconstruisent peu à peu les structures patriarcales et se tissent les libertés des femmes en vue de créer une ekklèsia de type féminin. Bientôt, sur les branches mères de la collective L’autre Parole sont apparus d’autres groupes : Vasthi, Bonne Nouv’ailes, Myriam, Houlda, Phoébé, Marie Guyart et Déborah.

Plusieurs thèmes de réflexion ont retenu l’attention des groupes. Selon les traces laissées par les revues, on peut classer les études menées et les actions poursuivies selon trois foliations : dossiers chauds,  dossiers reliés au changement social et dossiers  démontrant une nouvelle manière de vivre en Église.

Comme exemple, voici certains titres évocateurs des revues de la première foliation : Pornographie (18), Dossier « Pape » (25), L’avortement (33), Violence (47), De l’appropriation à la libération (57), La prostitution (93 et 96), Les femmes, la guerre et la paix (101) À propos de la mort (103).

Se rangent sous la foliation sociale les titres suivants : Enfanter une société nouvelle (21), La justice (34), Sommes-nous les élues ? (45), Les femmes et l’avenir du Québec (49), Bâtisseuses « debouttes » (53), Un langage sexiste en hautes mer ( 71), L’écoféminisme (74), 2000 raisons d’espérer (85) Relais de résistance (94).

La foliation ecclésiale regroupe des titres tels que : Oui à l’ordination des femmes (43), La théAlogie (51), Prêtresses d’aujourd’hui (65), une Ekklèsia manifeste (72), Christa en devenir (76), Spiritualités féministes en dialogue (88) Arts et spiritualité au féminin (89).

Plus tard, à l’initiative de quelques membres de L’autre Parole, naissait un nouveau groupe la Grappe féministe et interspirituelle qui vint se greffer à l’arbre de la Collective qui illustre son histoire et ses réalisations.

Le processus de réécriture de la Bible

Un processus collectif solidaire

La réécriture dans L’autre Parole n’est pas une activité isolée. Elle se fait en petits groupes..  Elle exige une mise en commun, faite de confiance et de solidarité.

Le mot solidarité renvoie d’abord à une notion juridique qui s’appuie sur le fait biologique de notre appartenance à un groupe auquel nous sommes redevables : ce lien est la base d’une obligation à l’égard de chaque membre du groupe. La solidarité d’abord un fait, du point de vue philosophique, devient un concept éthique. Nous recevons d’un groupe auquel nous appartenons à titre d’être humain vivant, à titre de membre d’une famille, d’une société, d’un pays… [donc d’une culture, d’une spiritualité]. Nous avons alors l’obligation de donner à notre tour au groupe, à ses membres.

La solidarité entre femmes crée la sororité, la mutualité. La sororité nous renvoie à la solidarité entre femmes comme femmes-sœurs . Elle correspond au même lien biologique que la solidarité mais à partir de la spécificité de sexe. La sororité conteste le sens universel de fraternité qui ne fait pas référence à la dualité humaine. Et surtout la sororité fait éclater l’universel qui se fondait sur une exclusion réelle des femmes. C’est une notion qui met en lumière l’injustice et l’inégalité cachées dans le concept de solidarité ; celle-ci pouvait être vécue sur le mode hiérarchique alors que la sororité implique l’horizontalité des rapports entre tous les membres du groupe-femmes.  La sororité de fait est fondée sur la ressemblance due au sexe, mais les femmes sont, par ailleurs, différentes sous bien des rapports. La sororité doit alors se vivre dans la diversité et, à ce titre, elle fait appel à une option ou un parti pris, donc à sa dimension éthique.

Quand on parle de mutualité aujourd’hui on fait référence à des liens de réciprocité entre les personnes. Ce concept central en éthique prend appui sur l’égalité entre les humains. La mutualité met l’accent sur le fait qu’il s’agit d’un rapport double et simultané. On se trouve devant une réalité horizontale et complexe, si on y ajoute les différences. Une réciprocité peut s’appuyer sur une ressemblance, mais elle ne met pas nécessairement en lumière la complexité des liens qui font place à la diversité.

Créativité de tissage

Le concept de tissage est de nos jours utilisé, dans notre vocabulaire scientifique contemporain, pour désigner les processus de mise en place de réseaux, de rassemblements. Les chercheuses féministes, dont les théologiennes, l’utilisent fréquemment. Dans un numéro de la revue internationale de Théologie, Concilium, ayant pour thème Les théologies féministes dans un contexte mondial, un article porte résolument le titre : « Le tissage d’un réseau solide » (Wainright, 1996).

Le tissage s’embellit avec des fils aux couleurs contrastantes. Dans le processus de la théalogisation, les expériences des femmes fournissent une variété de fils. Les différents regroupements qui permettent des échanges entre les femmes donnent une expression à tout ce qui prend naissance, ce qui se développe et évolue dans la condition des femmes. L’exploration des expériences personnelles et collectives permet de dégager des éléments significatifs.

En effet, les expériences des femmes sont reconnues comme une norme de base en théologie féministe. Valerie Saiving (1960) a été l’une des premières théologiennes contemporaines à avoir utilisé le concept expériences des femmes dans des élaborations théologiques. « La théologie féministe commence par une réflexion critique sur l’expérience et une analyse systémique de cette même expérience.  Elle cherche à écrire la théologie à partir de nos expériences et en faisant retour à nos expériences » (Schüssler Fiorenza 1990 : 21). Pamela Dickey Young, théologienne canadienne de l’Ontario, a affirmé que le concept expériences de femmes contribue à rendre compte en tant qu’actualité et pratique, de « la multiplicité de choses que les femmes expérimentent à la fois individuellement et comme groupe »(Dickey Young,1990 : 49).

À partir de nos expériences de femmes

Nous avons retenu deux façons de travailler à partir de nos expériences de femmes, soit :

-Dénoncer tout ce qui nous a asservies, enfermées, effacées, détruites même, à cause de l’emprise d’une tradition lourdement mâle, patriarcale. Il s’agit de faire disparaître un monde de subordination, de domination qui entraîne pour les femmes l’injustice, la pauvreté,  la violence. Les affirmations sur les 5 valeurs proposées par la Charte mondiale des femmes pour l’humanité nous servent de guide.

-Créer, retrouver, se réapproprier nos énergies, nos capacités, nos désirs, nos ambitions pour faire éclater nos dons comme des fleurs sous le soleil du printemps.

À cet effet, il est bon de reprendre contact avec nos expériences de femmes telles que les expériences du corps, de la maternité, de la filiation – des relations mère-fille, des situations de violence vécues, des relations entre les femmes de différentes races, spiritualités, de la recherche d’égalité.

Atelier pratique

Il vise à faire expérimenter comment se fait le travail de réécriture féministe de la Bible.

Il s’agit :
– premièrement, de former une petite équipe de travail,
– deuxièmement, de choisir un texte de la Bible,
– troisièmement, de le confronter à un vécu de femmes,
– finalement de se lancer dans l’écriture.

Voici une réécriture réalisée à partir du texte de Luc 1, 39-56 :