PRÉSENCE DU FÉMINISME DANS CERTAINS TÉLÉROMANS

PRÉSENCE DU FÉMINISME DANS CERTAINS TÉLÉROMANS

Francine Dumais, Houlda

Depuis les années 1950, la télévision québécoise a produit divers téléromans contribuant à influencer discrètement l’évolution des esprits et des mœurs de notre société. Reproduisant le vécu des gens de leur époque, les auteurs, hommes et femmes, ont imaginé des personnages en révolte ou en conformité avec leur milieu culturel. Avec assiduité, le public québécois s’est attaché massivement à suivre ces fictions, inspirées de leur histoire. Pensons aux Belles Histoires des pays d’en haut, au Survenant, aux Dames de Cœur, à Cormoran, etc.

Au XXIe siècle, nos téléromans véhiculent de « nouvelles » réalités sociales comme l’avortement, l’homosexualité, la monoparentalité, les femmes au travail, avec ou sans enfants. Ces thèmes, ouvertement exploités dans nos téléromans, nous permettent d’apprivoiser ces situations de vie, de les dédramatiser ou de comprendre le vécu intérieur des personnages.

Comme premier exemple, je pense à la télésérie La galère (SRC), s’intéressant à quatre femmes dans la trentaine, vivant dans une grande maison, de façon quasi-communautaire. Leur situation de vie, différente selon chacune, reflète celle des mères séparées ou divorcées, avec des enfants en garde partagée ou non, des mères célibataires qui envisagent parfois un avortement parce qu’elles ont déjà à subvenir presque seules aux besoins affectifs ou économiques des premiers enfants. En les observant vivre par écran interposé, je sens leur dilemme devant les choix à faire et la façon dont elles arrivent à composer devant leurs contradictions internes. Cela m’amène à comprendre ces personnages fictifs et mes contemporaines vivant des situations similaires.

À l’hiver 2010, dans Toute la vérité (TVA), on suit la vie professionnelle et privée d’une avocate trentenaire, accompagnant tantôt une cliente vivant de la violence conjugale, tantôt une jeune mère célibataire craignant de perdre la garde de son enfant. Parfois, on assiste au harcèlement d’un client, insatisfait du règlement de son procès, dans les couloirs du Palais de justice jusqu’à l’extérieur et même à son intrusion chez elle, par la fenêtre. C’est pourquoi l’entrée de son appartement est munie d’un dispositif de sécurité sophistiqué.

Dans la même série, une collègue retourne au travail avant la fin de son congé de maternité. Son mari aurait préféré qu’elle prenne tout son temps pour leur premier bébé qu’elle tient à continuer d’allaiter. Dans une scène, son mari vient la chercher en voiture et l’attend avec leur bébé dans les bras. Il se montre compréhensif tout en discutant avec elle, respecte sa décision et partage avec elle, les soins de leur enfant. De plus, le patron de l’avocate, un avocat senior, consent à son retour hâtif malgré le fait qu’il ne l’ait pas incitée à le faire. On peut donc voir que travail et maternité deviennent une réalité acceptable avec des accommodements « raisonnables ».

Trauma (SRC : hiver 2010) constituerait la première série québécoise, consacrée à la médecine d’urgence. Dans cette série, comme dans la précédente, l’action se déroule dans un milieu de travail mixte où les professionnels des deux sexes travaillent ensemble sans autre rivalité que leurs compétences respectives. De plus, la direction de l’hôpital est assumée par une femme dont la fille y est venue faire son internat. Cette directrice n’hésite pas à accepter une grosse somme d’argent d’un riche musulman, venu restaurer chirurgicalement la virginité de sa fille, en vue d’un futur mariage. Convoqué pour cela, le médecin masculin conteste cette dérogation qui ne fait pas partie de nos mœurs et de notre éthique médicale mais la directrice lui rétorque que le budget hospitalier en profitera grandement.

Ce bref aperçu de la scène télévisuelle québécoise nous permet d’en apprécier le contenu actualisé, mélodramatique et de « pédagogie sociale ». Scénaristes masculins et féminins s’associent à nos écrivains des deux sexes pour critiquer et suggérer d’autres modes de pensée et façons de vivre. Les émissions télévisées, alliant le visuel avec le sonore, touchent un plus grand public que celui des livres, essais ou romans. Cependant, ces derniers pourront davantage nourrir la réflexion ou l’imaginaire des lectrices et lecteurs qui veulent aller plus loin.

On pourrait même penser que la télévision québécoise, jointe à une refonte de notre système d’éducation, a joué un rôle important dans l’évolution des consciences. Avant les années 1960, le Québec avait l’allure d’une société passéiste, prude, peu instruite, repliée sur elle-même et hyper-religieuse. Maintenant, malgré son faible poids démographique, le Québec devient une référence internationale dans plusieurs domaines dont ceux des arts : danse, théâtre, cirque, chanson, cinéma, etc.

Peut-être est-ce l’effet propulseur d’une société qui reconnaît l’apport de sa population féminine en lui donnant une plus grande place aux côtés des hommes ?