PUITS A CREUSER…

PUITS A CREUSER…

Yvette Laprise

« Ce qui fait la beauté du désert c’est qu’il cache un puits quelque part ». Je fais mienne cette pensée de Saint-Exupéry pour évoquer mon sentiment à propos de la situation de la femme dans l’Église.

Après avoir retracé l’origine de ma conversion, j’indiquerai Quelques prises de conscience dans cette ligne et conclurai en précisant ma position actuelle à l’intérieur de mon Église.

Ma conscientisation au féminisme passe d’abord par une conscientisation à la justice sociale. Tout a commencé, il y a une quinzaine d’années, à l’occasion d’un .recyclage en théologie. L’un de nos professeurs, commentant Humanae Vitae, nous invitait à porter sur l’encyclique un regard critique : « Une déclaration formelle, disait-il, fût-elle pontificale, n’est pas un absolu et ne dispense personne de penser ».

Cette façon adulte d’aborder un texte émanant de la plus haute autorité dans l’Église a été, pour moi, une onde de choc qui m’a tirée de mon aliénation religieuse, peu remise en question jusque là. A partir de ce moment, je me suis sentie plus à l’étroit dans le cadre d’une pensée « par procuration » et j’ai senti s’éveiller en moi une zone de frustration refoulée jusqu’ici et, de réflexion en réflexion, ma perception du monde religieux a pris une autre coloration.

L’Église, dans sa masculinité, m’est apparue comme un solide bastion qui, depuis toujours, décide « en solo » ce qui est bon pour tous. Ce qui me gène particulièrement dans cette Eglise, c’est ce bloc de certitudes inattaquables qui décourage toute initiative de la Base.

En me référant à l’histoire des Congrégations, j’ai été particulièrement frappée par cet état de fait : « La vie religieuse, écrit R. Hostie, s’est organisée en deux réseaux relationnels nettement distincts : celui des hommes et celui des femmes. D’autre part, les hommes, malgré leur infériorité numérique, se chargent partout et en toute occasion des tâches structurantes et des activités organisatrices : les femmes leur emboîtent le pas et suient leur cadence ». Les exemples ne manquent pas à l’appui de cet énoncé. Lorsque Angèle Mërici, par exemple, crée sa congrégation au seizième siècle, son groupe ne prononce pas de voeux, sauf celui de virginité qui est conseillé, n’a pas de costume distinctif … Ce qui motive les membres et les unit, c’est la mission. Cette fondation qui, dès le début, connaît une expansion remarquable est aussitôt mise au pas et ramenée aux formes classiques de la vie religieuse féminine pensée et institutionnalisée par des hommes.

Cette domination masculine n’a pas cessé aujourd’hui, malgré les apparences, de peser sur les congrégations féminines ; qu’il s’agisse de Constitutions ou de Droit Canon… on sent toujours la mainmise des Congrégations romaines masculines sur les initiatives féminines. Dans ce contexte, je me sens doublement « diminuée » en tant que « femme » d’abord, en tant que « religieuse » ensuite. Je déplore qu’un trop grand nombre de religieuses, soit par peur, soit par inconscience, demeurent encore étrangères –sinon hostiles – au mouvement de libération des femmes, reconnu pourtant par Jean XXIII comme l’un des signes des temps qui nous interpellent.

Il n’est donc pas facile de contester l’injustice millénaire d’une institution à l’égard de la femme. Si, de plus, cette contestation doit se faire à l’intérieur d’organismes où l’emprise des formules traditionnelles est forte et ‘tenace » c’est doublement difficile.

Mais il ne s’agit pas d’abandonner la partie. La fréquentation de laïques convaincues m’a aidée dans mon cheminement, affermie dans mes convictions et stimulée dans ma marche en avant. Je crois de plus en plus que chaque fois que les femmes se libèrent d’un rapports de domination, elles rendent présent l’appel de Jésus à réaliser la vie en plénitude.

Ce que nous voulons, en effet, c’est un espace pour vivre, nous mouvoir et avoir nos coudées franches. C’est pourquoi je m’entête à croire que notre questionnement en tant que femme c’est une Bonne Nouvelle pour l’Église et le monde.

Ma position actuelle en est une de non retour. En tant que femme consacrée,, je continue à croire que les luttes menées par les femmes dans l’Église, comme dans la société, ne pourront qu’aboutir à une Église autre.

Tout est possible si nous savons multiplier les pratiques de conscientisation et d’intervention, soutenir les chefs de file et les consoeurs qui occupent déjà des postes-clés à l’intérieur de l’Institution ecclésiale.

Tout est possible si nous savons, laïques et religieuses, demeurer vigilantes pour ne pas nous laisser récupérer par les pouvoirs en place ni diviser entre nous par les forces adverses. On a besoin plus que jamais de cette connivence qui nous motive, nous interroge, nous garde en marche.

Puisque c’est la volonté de Dieu qu’aucun sexe ne domine l’autre, j’ai la ferme espérance que l’avenir de l’Église se situe sur le chemin des femmes et des hommes devenus co-partenaires du Royaume à bâtir en ce monde.

Même si, en plein désert, le mirage est toujours possible, je persiste à croire qu’il cache toujours un puits quelque part et qu’un jour ou l’autre le jaillissement de ses eaux vives transformera le désert de la domination masculine en terreau fertile de co-humanité universelle.