Stimulée par sa foi en l’Évangile
Anne Soupa, Pour l’amour de Dieu (2021)
Pierrette Daviau, Déborah
Peu de temps après avoir proposé sa candidature à l’archevêché de Lyon, le 21 mai 2020, Anne Soupa nous présente ce livre[1]. La première partie trace les principales étapes de sa démarche et, dans la seconde, elle énonce les implications profondes de son parcours intérieur et évangélique en vue d’assumer la tâche d’évêque.
Écrivaine et bibliste reconnue (publication d’au moins une dizaine de titres), Anne Soupa reconnaît que son geste s’inscrit dans une certaine « désobéissance à l’Église », sans y renoncer. Elle remet en question sa décision et chaque étape « laborieuse, incertaine, qui a risqué de tourner à l’impasse » (p. 20). Elle revient à cette devise du groupe de La Jupe : « Ni partir ni se taire ». Et pourquoi pas une femme évêque, se demande-t-elle ? Encouragée par sa famille et par ses ami·e·s, elle se lance, consciente que c’est une idée folle. Quelques jours à Lyon l’invitent à réfléchir sur les divers symboles attribués à l’évêque : mitre, crosse, croix…, pour leur donner un sens et pour trouver comment « tenir l’équilibre entre tradition et modernité » (p. 51).
Il est évident qu’elle n’échappera pas aux nombreuses objections de ses pairs et de ses opposant·e·s. Les femmes en pastorale ou en catéchèse sont généralement heureuses, pourquoi alors vouloir faire partie de cette hiérarchie ? Et, en Église, on est appelé et on ne postule pas ! Mais si une femme devenait évêque, cela ne décléricaliserait-il pas l’institution ? Le pape François n’est-il pas contre l’abus du cléricalisme ? N’est-il pas temps que ce système s’effondre ? On objectera que l’épiscopat et la prêtrise, c’est un service et non un pouvoir… pourquoi alors le terme « service » n’est-il réservé qu’aux hommes ? Elle défend le propos de sa candidature. Quand on lui affirmera qu’il faut obéir au pape, elle n’hésite pas à défaire les arguments de Jean-Paul II sur l’infaillibilité papale et sur le contenu de la lettre apostolique de 1994 (Ordinatio Sacerdotalis) qui interdit le sacerdoce aux femmes et exige rétractation si on le défend. L’autrice insiste pour dire que l’Église n’est que « l’émissaire de la Bonne Nouvelle […] et que le pape est le garant de la communion » (p.80).
Dans la deuxième partie, elle définit « de quel lieu et de quelles circonstances, elle a posé sa candidature ». Convaincue de l’amour de Dieu pour elle et de l’amour qu’elle lui porte, elle expose les raisons de sa décision, mais surtout exprime comment elle voit la fonction pastorale de l’évêque : « il n’a rien d’autre à annoncer que cet échange d’amour avec Dieu dont les femmes et les hommes de son diocèse sont les protagonistes » (p. 93). Avec conviction, elle témoigne de tout ce qu’elle a reçu de l’Église et qui est devenu « son bagage pour la vie ». Même si elle la critique fortement, son désir de la servir tient bon, alimenté par sa foi, sa fréquentation assidue de la Parole de Dieu et Pour l’amour de Dieu (le titre du livre).
À plusieurs reprises, elle décrit les fonctions de « l’évêque d’un diocèse hors les murs ». Elle en a marre des « discours trop souvent entendus, d’une parole rabâchée qui lasse, […] de mots qui ne rejoignent plus grand monde » (p. 99), de la rigidité des questions sur la morale sexuelle qui se traduit en une série de « NON », des nombreux abus sexuels de la part du clergé. Dans la mentalité de l’Église catholique, le prêtre est tout et, depuis des siècles, on a sacralisé la prêtrise… alors que Jésus l’a dénoncée. Il serait urgent, selon l’autrice, de reconsidérer et de revaloriser le laïcat en se reportant au texte de Paul sur les charismes (Éph 4,11), puisque le pape François rappelle « que chaque baptisé est un sujet actif de l’évangélisation » (Evangelii Gaudium, no 120). Cela exige de redonner au peuple de Dieu sa place au lieu de maintenir la chasse gardée des prêtres qui détiennent « main basse sur le Christ » (p. 126).
Pour être évêque, elle aura besoin d’une équipe solide, d’une écoute des gens, d’une fréquentation quotidienne assidue de la Bible… Cela est loin des critères romains !
Elle fait la promotion d’une évêque laïque qui annonce l’Évangile, qui pratique une spiritualité de la rencontre pour redonner vie à la communauté et qui repense la pratique des sacrements. Elle reprend d’ailleurs les sept chantiers de l’évêque dans sa dernière section. Être une Église qui dit oui et cesse d’exclure, créer des liens d’amour et de présence, ouvrir les portes aux femmes, s’incarner et non idéaliser (cesser de faire l’ange), responsabiliser au lieu de culpabiliser, préférer l’esprit à la lettre et enfin, toujours et partout, bénir (cf. chapitre 7).
Cette bibliste et amoureuse de la Parole estime que la Bible peut devenir un lieu de débat pour nourrir la foi et la vie spirituelle « en prenant pied dans la vie ordinaire des gens », car la Bible ne juge pas ni ne fait la morale ; elle porte devant Dieu la vie du peuple (cf. p. 153-155). Dans les groupes qu’elle anime, elle présente les Écritures comme un lieu de libération, comme « une mère qui nous enfante » (p. 165) et soutient l’urgence de personnes accompagnatrices pour aider la société en quête de sens (p. 168).
Le chapitre 8 m’a particulièrement rejointe : « Laisser les femmes de l’Évangile parler de la Résurrection ». Marie de Magdala devient ainsi la première révélatrice de la Résurrection. Des femmes ont fait l’expérience de la résurrection et Jésus les envoie annoncer aux frères qu’il est vivant. L’autrice invite à se demander : « qu’est-ce qu’une expérience de résurrection ? », question à laquelle elle répond : « aimer c’est déjà ressusciter », car « l’amour porte en lui promesse de résurrection » (p. 174-175). C’est là qu’on y trouve l’événement central de l’Évangile. Ces femmes « portent au fond de leur cœur la Bonne Nouvelle et elles sont le continent encore trop peu exploré des Évangiles » (p. 177). La dernière partie de ce chapitre présente Marie de Nazareth comme celle qui incarne un modèle d’accueil, de disponibilité et d’ouverture pour les chrétien·ne·s. Le Magnificat, chant prophétique et politique annonce l’Évangile du Christ comme lieu de libération et de justice.
Pour Anne Soupa, « avec la Samaritaine ‘assoiffée du désir de Dieu’, avec Marie de Magdala et Marie de l’onction, témoins de la Résurrection, l’annonce de la Bonne Nouvelle est assurée » (p. 183). Elle conclut en réaffirmant « son implication pour la cause des femmes […] et pour le laïcat » (p. 203).
[1] Anne SOUPA, Pour l’amour de Dieu, Paris, Albin Michel, 2021, 222 p.