SAINTES DE NOTRE TRADITION : celles qu’on aime un peu, beaucoup ou non.

SAINTES DE NOTRE TRADITION :

celles qu’on aime un peu, beaucoup ou non.

Louise Melançon – Myriam

Placées, devant un choix à faire pour identifier les saintes de notre tradition qui nous relieraient à l’Évangile, nous, les participantes au Colloque d’août 1989, avons fait l’expérience de nos ambivalences, de nos contradictions autant que de nos convictions profondes concernant les valeurs religieuses et humaines qui correspondent à ce qui nous anime comme féministes chrétiennes.

Voici ce qui ressort de cette opération-catharsis que nous avons faite le vendredi soir en retournant dans notre tradition :

1. La plupart d’entre nous avons exprimé notre malaise comme femmes quand il s’agissait de juger insignifiante, d’éprouver des sentiments négatifs ou de rejeter une femme qui avait été reconnue officiellement dans l’Église. Nous étions conscientes de la considérer insignifiante parce qu’intemporelle ou inconnue, ou de rejeter en elle des traits de personnalité qui ne nous convenaient pas, ou de détester le plâtrage (la statufication) de ces personnes qu’on nous avait imposées comme modèles, et surtout le discours idéologique qui l’enrobait.

2. Par ailleurs, nous avons dû reconnaître des contradictions, du moins apparentes, dans nos choix : par exemple, Marie-Madeleine a été choisie positivement (2 fois) pour avoir exprimé son affection à Jésus avec toute sa sensibilité de femme, et avoir été une disciple consacrée à la prédication de l’Évangile alors qu’elle était rejetée (1 fois) pour son image de pécheresse telle que retenue par une tradition négative pour les femmes. De même Thérèse de Lisieux parle favorablement à l’une alors qu’elle apparaît pathétique à l’autre.

3. Les modèles les plus rejetés ont été : Maria Goretti (3 fois) à cause de l’idéologie de la pureté qui a marqué négativement bien des femmes au cours des années 50 ; Marie- Léonie (2 fois) qui met en lumière la soumission des « femmes au service » dans l’Église, et donc comme produit du patriarcat clérical ; Monique, mère d’Augustin (2 fois), valorisée par l’intermédiaire de son fils, personnage par ailleurs ambigu et complexe, femme battue par son mari en même temps que mère jalouse et possessive ; les saintes Rita, Dévote et co., athlètes de l’ascèse jusqu’au masochisme.

4. Les saintes aimées ont été :

– Marie (2 fois) : femme dont la vraie vie a été, sous bien des aspects, semblable à la nôtre, fille d’Anne et de Joachim, conjointe de Joseph, mère de Jésus ; celle dont on sait peu de choses… mais qui apparaît autonome, indépendante, consciente de sa dignité, pleine de foi ; celle qui, à 15 ans se découvrant enceinte, cherche avec sa cousine Elisabeth, au coeur de sa grossesse, l’espérance d’une promesse ; femme mariée qui a partagé la tendresse avec un homme ; mère qui a connu l’inquiétude, l’angoisse pour son fils et dont elle a dû se détacher sans le perdre de vue jusqu’au pied de la Croix.

– Catherine de Siepne (2 fois) : femme qui, au XIVe siècle, a su jouer un rôle important dans la réforme de l’Église, ne craignant pas de dire leurs vérités aux ecclésiastiques et au Pape.

– Jeanne d’Arc (3 fois) : fille seule devant un tribunal de théologiens qui a su défendre jusqu’à la mort sa dignité de femme en même temps que son expérience de relation à Dieu.

– Marie-de-l’lncarnation (2 fois) : femme qui pourrait être nommée patronne des mères au travail, ayant dû, veuve, gagner sa vie et celle de son fils ; à la fois femme d’affaires et femme de lettres ; mystique dont le sens apostolique l’a fait traverser les mers.

– Pulchérie (1 fois) : sainte pratiquement inconnue mais dont on dit qu’elle a présidé un Concile oecuménique ; une femme qui a pris sa place dans l’Église, jouant un rôle de leadership inimaginable pour nous aujourd’hui.

-Thérèse d’Avila (1 fois) : grande mystique et réformatrice du Carmel dont toute la vie apparaît provocante, aujourd’hui comme à son époque.

– Elisabeth-de-la-Trinité (1 fois) : jeune femme du début du siècle, pleine de talents, aimant la vie, qui s’est consacrée à la vie contemplative, au Carmel de Dijon où elle mourut à 26 ans. Ses écrits témoignent d’une audace mystique peu commune, fondée sur un sens théologique très sûr ; elle est un exemple de plus que la voie mystique est plus valorisante pour les femmes que la voie institutionnelle.

– Thérèse de Lisieux (1 fois) : (voir ci-haut).

– Marie-Madeleine (2 fois) : (voir ci-haut).

De ces choix ressortent donc des traits qui indiquent des types de femmes :

– femmes jouant un rôle actif dans l’Église (Catherine de Sienne – Jeanne d’Arc – Pulchérie)

– femmes bien incarnées et actives dans le monde (Marie – Marie-Madeleine – Marie-de-l’lncarnation)

– femmes qui se sont accomplies, épanouies par la voie mystique (‘Thérèse d’Avila – Élisabeth-de-la-Trinité).

En conclusion, nous pouvons affirmer que les traits choisis ou rejetés dans ces « saintes » l’ont été en fonction de nos valeurs et modèles d’aujourd’hui. Il faut alors reconnaître une certaine relativité dans ces choix qui nous permettent de nous identifier aujourd’hui dans la ligne de la tradition. Autant nos affinités personnelles ont joué, autant une connaissance plus élaborée de ces saintes aurait permis des choix plus judicieux. En particulier, certaines ont été dévalorisées parce que nous réagissions à des idéologies ou à des modèles imposés (par ex. Maria Goretti, les vierges et martyres… pourraient être redécouvertes aujourd’hui et contribuer à donner un sens nouveau à la virginité). Par contre, beaucoup de saintes n’ont pas été choisies alors qu’elles représentent à la fois un courant très fort dans l’histoire de

l’Église et une sensibilité que nous avons comme chrétiennes et féministes : l’engagement auprès des pauvres, des démunis de toutes sortes. Les Louise de Marillac, Marguerite d’Youville, Elisabeth de Hongrie… se seraient alors alignées comme autant de points de référence dans notre recherche de la sainteté pour aujourd’hui.