SOCIOLOGIE DES RAPPORTS DE SEXE.1

SOCIOLOGIE DES RAPPORTS DE SEXE.1

Marie-Blanche Tahon

Louise Melançon, Myriam

L’auteure de ce livre est professeure de sociologie et chercheure affiliée au Centre interdisciplinaire de recherche sur la citoyenneté et les minorités à l’université d’Ottawa. Cet ouvrage est le résultat de son enseignement et de ses recherches, depuis 1975. Madame Tahon est une sociologue qui se dit influencée par la situation française contemporaine, concernant particulièrement les rapports entre la famille et la citoyenneté.

En écrivant ce livre, elle a décidé de traiter des rapports de sexe, en employant le mot “sexe” plutôt que celui de “genre” comme on le fait la plupart du temps en sociologie. Elle justifie son choix, dès le 1er chapitre, dans un échange avec des sociologues françaises très connues. Dans les quatre chapitres suivants, elle développe sa pensée, par une discussion serrée avec théoriciens et théoriciennes en s’appuyant, en particulier, sur l’auteure Françoise Héritier. Ce livre demande une bonne initiation à la sociologie des rapports de sexe. Aussi, je n’en ferai pas une présentation exhaustive, mais plutôt, j’en tirerai certains éléments plus directement pertinents à notre réflexion.

1. L’anthropologue française Françoise Héritier affirme : “L’accès à la contraception et à la maîtrise par les femmes de leur propre fécondité est, me semble-t-il, l’élément moteur de l’évolution progressive vers l’égalité de statut, non l’isomorphisme ou l’indifférenciation” (2000, p. 36)…”L’accès des femmes à la contraception est réellement un tournant sans précédent dans l’histoire humaine” (2001b, p. 90).2

Les femmes sont différentes des hommes par le fait que leur sang coule sans qu’elles ne puissent y avoir part ; alors que pour l’homme, son sang coule à la suite d’une action ou intervention sur lui. Cette caractéristique des femmes est symboliquement manipulable et manipulée. Les femmes sont dominées parce qu’elles ont ce privilège de la fécondité et de la reproduction des mâles. En effet, les femmes donnent la vie aux femmes comme aux hommes : il y a là une étrangeté, une asymétrie. Dans toutes les sociétés, les hommes avaient leurs rites d’initiation des jeunes garçons, comme pour produire, donner naissance aux corps mâles. Certaines coutumes montrent que le sperme était considéré comme supérieur au sang ou au lait de la femme. L’inégalité des femmes est donc justifiée par le fait qu’elles n’ont pas de sperme et que leur sang coule. Aussi le fait que les femmes aient accès à la maîtrise de leur reproduction bouleverse radicalement les rapports entre les sexes.

2. Au sujet de la différence des sexes, notre auteure rappelle que c’est un fait d’observation universel, mais historicisé : “…la “différence des sexes” est repérable dans toutes les sociétés et à toutes les époques historiques, mais elle est cependant une notion historicisée : elle n’est pas construite de la même manière et ne produit pas les mêmes effets dans toutes les sociétés et à toutes les époques de l’histoire” (p. 100)

D’une part, il ne faut pas confondre “différence sexuelle” et hétérosexualité : c’est une notion qui transcende l’orientation sexuelle. D’autre part, il faut la distinguer du fait de la domination des hommes.

Aussi la reconnaissance de l’égalité formelle des femmes et des hommes n’abolit pas la différence des sexes mais elle modifie la manière dont ils sont en rapport. Depuis 25 ans, dans les pays occidentaux du moins, la situation des femmes comme la compréhension des rapports de sexe ont évolué. On pourrait maintenant parler du “différend des sexes”, parce que les femmes ne sont plus victimes, elles sont devenues des “plaidantes” pour faire le procès de la domination masculine. En philosophie, on pourrait dire qu’elles ne sont plus l’objet, l’autre” du discours masculin, mais elles deviennent sujet, avec les hommes, pour parler de la différence des sexes. L’auteure cite la philosophe Françoise Collin : “..être deux désormais à parler de la différence des sexes, dans deux langues qui se comprennent et qui parfois même cherchent à s’entendre…..constitue en soi une novation. Le passage de la différence au différend ouvre une nouvelle ère non seulement à la question elle-même mais aux rapports humains.”3 (p. 101)

Ce débat, ou la controverse des sexes, oppose autant les femmes entre elles que les hommes et les femmes. Et Madame Tahon de rappeler les trois positions principales à ce sujet :

a) l’universalisme (ou la position égalitariste) considérant qu’il n’y a pas de sexes mais des classes de sexes construites socialement, et que leur disparition amènera une indifférenciation sexuée dans l’être humain.

b) le différencialisme (ou la position essentialiste), à la manière de Luce Irigaray, qui défend l’irréductibilité du féminin et du masculin, à partir des corps différents, désignant ainsi l’espace du non-un et dénonçant la prétention totalisante du masculin en Occident.

c) le postmodernisme (ou la position déconstructionniste), qui cherche à déconstruire les formes de la modernité et donc la maîtrise du sujet sur l’objet, de l’homme sur la femme. Cette position a donné son appui à un autre courant américain, le queer, qui recouvre plusieurs pratiques et discours associés à la transgression des frontières de la différence des sexes et de l’ ”hétéronormativité”.

Finalement, ces courants se ramènent à l’opposition entre égalité et différence. Et pourtant, c’est identité qui s’oppose à différence. L’opposition entre égalité et différence reste utile pour entretenir la recherche sur ce qui fait la ressemblance et la différence entre hommes et femmes.

3. Le dernier chapitre du livre est consacré à une réflexion sur les rapports politiques de sexe. Je retiens ceci : si malgré la proclamation des droits humains, les femmes étaient tenues à distance, c’était à titre de “mères” (cf, le no 1, ci-haut). Maintenant que les femmes peuvent contrôler leur fécondité elles-mêmes, elles sont véritablement égales aux hommes, comme individus doués de raison, de conscience. Elles sont citoyennes à part entière. D’où la question de la parité dans l’espace politique. Et la catégorie de “genre” n’est pas utile, puisqu’il n’y a plus de considération ou de détermination de sexe. Les individus sont constitués civilement “hommes” et “femmes”.

1. Édité aux Presses universitaires d’Ottawa/Presses universitaires de Rennes en 2003.

2. Françoise Héritier affirme cela encore plus fortement dans son livre :Masculin/Féminin II : dissoudre la hiérarchie, Paris, Odile Jacob 2002.

3. Françoise Collin, Le différend des sexes, Paris, Éditions Pleins Feux, 1999, p.11.