UNE CHATTE

UNE CHATTE Ying Chen,

Espèces, Montréal, Boréal, 2010, 212 p.

Monique Dumais, Houlda

Ying Chen est née à Shanghai en 1961, s’est établie à Montréal en 1989. Elle a écrit dix romans.  J’avais déjà lu Le champ dans la mer (2002) sur l’exploration du temps et de la mémoire d’une femme, Quatre mille marches (2004) sur des carnets de voyage à son pays natal

Cette fois-ci, quel drôle de roman que l’histoire de cette femme transformée en chatte ! La femme devenue chatte nous parle ! Pourquoi donc une telle métamorphose ? C’est donc avec cette question que je poursuis la lecture de ce livre. La description de sa nouvelle vie est plutôt séduisante, tant Ying Chen décrit de façon très avertie toutes les découvertes et les habitudes de cet être félin.

Une recherche de liberté domine. « L’univers rajeunit quand il se libère des humains de leurs regards réprobateurs pour je ne sais quelles raisons ni de quels droits, de leur pensée bruyante, assommante et savamment hypocrite, de leur mémoire et de leurs trésors pourris. » (p. 62)  Prend même place l’audace.  « Cette audace, j’ose la reconnaître, l’exprimer et l’appliquer maintenant seulement, car je sais que cela m’est permis maintenant seulement, quand je ne vis plus soumise aux conventions humaines, quand je n’ai plus à être la partenaire de quelqu’un, le membre d’une communauté, la citoyenne d’un lieu. » (p. 62)

C’est un regard très critique et ironique de la société, de la relation homme-femme dans un couple, du sens de la vie d’une femme, de la recherche de la supériorité chez l’homme. « Je me suis dit : dans cette maison, officiellement, je n’existe plus.  Et il semble que j’aie maintenant un maître. Cette seule pensée me rend folle de joie. » (p. 74)  Passage étonnant, mais qui manifeste la fatigue et l’absurdité du rapport homme-femme. Le personnage féminin fait une expérimentation heureuse « de devenir moins humaine, d’être ainsi réduite de taille, d’intelligence et d’appétit. » (p. 86)  Expérience qui m’apparaît très dérangeante, mais qui confirme la recherche du pouvoir chez le personnage masculin.  « Il n’a plus, à mes yeux, ni défaut, ni qualité, mais rien que du pouvoir. » (p. 117) Constatation brutale. Et réaction dérangeante : « Il m’est beaucoup plus facile d’être sa chatte que d’être son épouse. » (p. 140) Elle ajoute même : « Je n’ai jamais été vraiment libre dans ma liberté. » (p. 153)

Elle trouve donc qu’elle jouit d’un espace de grande tranquillité. « Finis ces vains efforts, cet interminable marchandage sentimental autre, cette prostitution de l’âme et du corps en échange d’une chaleur quelconque, d’une occasion pour l’oubli de soi qui ne se produit jamais. » (p. 75)

Ce qui devient un peu corsé à la fin du roman, c’est que le mari s’est fait une nouvelle copine qui, elle, n’aime pas la chatte. Celle-ci se montre de plus en plus turbulente, si bien que le mari a un choix à faire entre la copine et l’espèce animale. Finalement, il opte pour la chatte qui le lui rend bien. « Et cela, cet amour, cette adoration, cette confiance, c’est chez moi qu’il le trouve, et pas chez la copine. » (p. 199)

La chatte reprend sa forme de femme et s’assoit dans un fauteuil de sa maison.  Les perspectives sont fades. « Je finis par me rendormir dans mon fauteuil, assommée par la soudaine perspective d’une vie sans simplicité et cependant monotone dans laquelle j’entre à nouveau. » (p. 211) Quelle vie pourra-t-elle passer avec cet homme qui ne cesse de s’intéresser aux squelettes et aux crânes qu’il accumule, « ce peuple mort et en débris et auquel je crois appartenir » (p. 17).

De quoi faire réfléchir sur la vie de couple et sur l’attitude d’un mari privé d’émotions envers son épouse ! Une métamorphose qui n’est pas que ludique. Elle nous décrit merveilleusement la vie des chats. D’autres écrivaines telles que Colette et Marguerite Duras étaient très  attachées par l’espèce féline, si capable d’établir des relations. Et vous, qu’en pensez-vous ?