Violences sexuelles et culture du viol

Violences sexuelles et culture du viol

Mireille D’Astous, Vasthi

Alors qu’elle n’est âgée que de 7 ans, l’autrice[1] apprend qu’un tunnel, d’apparence banale est appelé « tunnel du viol ». Par ce récit, la notion de culture du viol s’impose à elle. Suzanne Zaccour, doctorante en droit à Oxford University, G.-B., propose un essai concernant les violences sexuelles et le viol — nommé « agression sexuelle » en droit canadien (p. 13 ; p. 123). Qui sont les victimes (ou les survivantes) ? Dans une proportion de 80 %, ce sont des femmes. Faut-il les croire, alors que l’essor des médias sociaux leur donne une tribune publique (#MeToo, #AgressionNonDénoncée, etc.) ? Statistiques à l’appui, l’autrice prend leur parti. Le viol est le crime violent le plus sous-déclaré dont le taux de condamnation démontre l’inefficacité effroyable des tribunaux à faire justice. Alors que les tribunaux exigent la certitude quant aux preuves, que les victimes portent le poids des crimes impunis, que les violeurs sont « protégés », l’autrice invite à croire les victimes pour résister à la culture du viol.

Les stéréotypes et la misogynie visent à décrédibiliser les victimes et n’effacent en rien les gestes et les intentions des agresseurs, usant de surcroît de violence psychologique (gaslighting). Les études sur les traumatismes montrent les réactions des victimes (dissociation, pas de traces de luttes, lenteur à dénoncer, colère, rupture amoureuse, etc.), qui ne les positionnent pas en « victimes idéales » (dénonciation immédiate à la police). L’autrice et l’éditeur mettent en exergue des encadrés, brisant des arguments trop communs, avec des titres révélateurs :

  • Quatre situations plus probables que d’être faussement accusés de viol
  • Recherché : violeur ordinaire
  • 50 exemples de la culture du viol
  • Pourquoi il ne faut pas dire #NotAllMen
  • 30 expressions à éviter lorsqu’on parle de viol
  • La controverse des « zones grises » en schéma
  • Les bases du droit relatif aux agressions sexuelles au Canada
  • 5 actions à entreprendre dès aujourd’hui contre la culture du viol.

Dénoncer un agresseur est un acte courageux et quasi révolutionnaire (p. 58) : il est temps que le regard se dirige vers les violeurs, des « hommes ordinaires ». L’autrice définit la culture du viol comme l’ensemble des « pratiques, mythes, conventions et faits culturels qui banalisent, dénaturent ou favorisent les violences sexuelles dans la société » (p. 76). Les violences sexuelles sont des « humiliations imposées par le violeur en quête de pouvoir » (p. 29). Elle critique les mécanismes minimisant les violences sexuelles : oppressions multiples (p. 28-29), euphémismes (comme réduire le viol à une inconduite), expression trompeuse (ex. : les porcs ne violent pas) (p. 67-70), usages sémantiques (comme la répétition à outrance du terme « allégation » ou « présumée victime »), double standard (l’alcool excuse les gestes de l’agresseur, mais condamne la victime), culture de harcèlement sexuel (p. 92-93), statut quo patriarcal banalisant la misogynie des boys’ club (p. 92), etc.

Seuls quelques pays dits « féministes » écrivent dans la loi que le sexe sans consentement est un viol (p. 76-77), en incluant les situations de viol conjugal (p. 117). La valeur des femmes est réduite à leur sexualité et de nombreuses productions culturelles banalisent, représentent ou pire glorifient les violences sexuelles contre les femmes : il y a « fabrique des violeurs ». Les hommes accusés ont droit à des portraits où ils deviennent eux-mêmes victimes et les victimes réelles portent le poids des blâmes et injustement les conséquences. La culture du viol opprime toutes les femmes (p. 82) et est donc, par extension, un privilège masculin (p. 88-89) dont tous les hommes bénéficient (p. 82), que ce soit dans la sphère privée, dans le monde du travail, au point de vue politique, économique et même épistémologique. L’autrice ne se gêne pas pour affirmer que les hommes ont avantage à nier la culture du viol.

L’autrice s’attarde à la supposée « zone grise » en matière de consentement, car « la position par défaut n’est pas le consentement, mais le non-consentement » (p. 111). En cas de doutes, redoubler de prudence, ne pas présumer le consentement, ne pas brimer l’intégrité sexuelle d’une autre personne sont de mise en éthique de la sexualité (p. 113-115). Y a-t-il problème de communication ou aveuglement volontaire ? L’autrice plaide pour la seconde option et pour élever le standard de consentement (p. 119 ; p. 123-124), sans le caricaturer (consentement contractuel) : « Le consentement ne doit pas seulement être présent, il doit être véridique, de qualité, et obtenu de la bonne façon » (p. 121). Il ne faut pas négliger la coercition verbale et la domination masculine qui bafouent le consentement réel et la réalisation de l’égalité pour les femmes. Libérer la sexualité des femmes signifie qu’elles peuvent dire « oui », tout autant qu’elles peuvent dire « non », hors des stéréotypes sexuels de soumission. Il n’y a pas à chercher loin dans les productions culturelles pour que s’illustrent des manquements au consentement et les scénarios où les hommes ne respectent pas les refus des femmes, insistant jusqu’à ce qu’elles cèdent (p. 133), agissant en prédateurs dont le désir serait insatiable, incontrôlable, irrésistible (p. 135).

Alors que le viol est une tragédie, admettre que le viol est une trame de fond de la vie des femmes est nécessaire au changement. Beaucoup restent à faire pour qu’il y ait culture de mutualité, de plaisir et d’égalité. Je conseille cet ouvrage, car l’éducation au consentement n’en est qu’à ses balbutiements au Québec, alors que toutes les femmes et tous les hommes méritent de recevoir une éducation garantissant le respect mutuel.

[1]Suzanne Zaccour. La fabrique du viol, Ottawa, Leméac Éditeur, 2019, 165 p.