LA SIMPLICITÉ VOLONTAIRE : DES CHOIX ET DES CHEMINEMENTS, ET SURTOUT PAS SEUL

LA SIMPLICITÉ VOLONTAIRE : DES CHOIX ET DES CHEMINEMENTS, ET SURTOUT PAS SEUL Louise Garnier, Phoebé

Lorsqu’une personne choisit de vivre la simplicité volontaire,il m’apparaît intéressant de connaître à quel réseau elle appartient ;  sur qui, sur quoi elle peut compter pour vivre quotidiennement cette exigence ; les conditions requises pour demeurer fidèle à cette philosophie, à cette option sociale, à cette mise en pratique de valeurs à contre-courant c’est à dire des valeurs et idéaux d’une société plus juste, plus humaine,  d’une société contestataire de l’ordre établi et des inégalités sociales. Autrement dit, comment vivre concrètement en marge d’une société de consommation et de gaspillage ?

Par bonheur, outre François d’Assise et Gandhi, je  connais personnellement des amis qui, depuis fort longtemps, appliquent consciemment les principes de la simplicité volontaire dans leur vie. Ces amis ont aussi des amis reliés à d’autres personnes qui incarnent ce mouvement. Au risque de réduire le sens de leur démarche, je souligne ici quelques aspects de leur modus vivendi : équilibre de l’horaire, réparti en temps de travail,  temps de ressourcement personnel et temps à donner ; choix du  transport en commun ou location occasionnelle d’automobile ;  gestion écologique du domestique, loisirs accessibles, souscription aux impôts pour la paix….  Ai-je besoin de souligner que ces amis sont autant solidaires de leurs prochains que de leurs proches.

 Nous partageons le même âge, la mi-cinquantaine ; sommes issus d’un même  milieu petit-bourgeois, avons fréquenté les mêmes institutions d’enseignement  tenues par des communautés religieuses, et jouissons d’une même culture. Je dirais que ces valeurs et cette culture ont joué un rôle dans l’option pour la simplicité volontaire.

 Je songe ici à l’époque de la contestation étudiante des années 70 où nous baignions dans une utopie fabuleuse. La jeunesse mise à part, et compte tenu du contexte social bien particulier au Québec à ce moment-là, nous avions le vent dans les voiles pour contester et innover.  Si l’Eglise catholique devenait pour nous fade et insignifiante, l’exemple des premiers chrétiens, le retour aux sources de notre foi, devenaient notre phare. Nous avons été nombreux et nombreuses à vouloir traduire, dans notre vie de tous les jours, nos aspirations et notre radicalisme. Pour se faire, notre choix s’est porté sur la vie en commune avec partage des biens dans un quartier populaire de Montréal. Cette option nous a éveillés à l’influence que pouvait avoir notre agir occidental sur les pays du Tiers Monde. Bien que n’ayant jamais manqué de rien, on a pourtant choisi une vie basée sur la mise en commun des biens.

 Aujourd’hui, ma vie est toujours empreinte de ces valeurs, de cette culture.   Depuis plusieurs années, je travaille dans le milieu communautaire, et je vis dans une coopérative d’habitation.  Ces choix  ont des conséquences financières et sociales qui affectent mon quotidien et mon futur. Mon travail a du sens pour moi mais les ressources matérielles qu’il me procure sont limitées. Mon revenu est proportionnellement  moins élevé aujourd’hui que celui que je touchais dans ma jeune trentaine.   Si la vie coopérative favorise un environnement chaleureux, elle comporte aussi des obligations et des devoirs.

 En fait,  à bien des égards, je retrouve dans ma vie des aspects de la simplicité volontaire sans toutefois adhérer encore au mouvement. Aujourd’hui, ma situation d’emploi est précaire et me rapproche de la pauvreté. Certains de mes choix, loin d’être volontaires, sont plutôt des actes obligés. Cependant je trouve dans mon héritage culturel ce que j’appellerais de bons outils pour tenir le coup. Durant la crise, on ne jetait pas grand chose et mes parents m’ont appris, par leur exemple, la valeur du pain, des fruits, du savon, de la chaleur, de l’éclairage, de l’eau.   Mon éducation par des religieuses m’a valu aussi de bonnes notions de récupération et d’écologie domestique.

 Malgré tout cela, je ne souscris pas encore au mouvement de simplicité volontaire. Je fais partie d’un réseau de gens conscients et solidaires. Mes amis me stimulent à adopter de nouvelles habitudes, à poser des gestes publics pour dénoncer les choix  irresponsables de nos gouvernements. Je demeure toutefois convaincue que lorsqu’on vit dans une situation de pauvreté on peut difficilement choisir la simplicité. On subit plutôt le dépouillement.  Je ne parle pas de moi mais de plusieurs femmes dans mon entourage :  femmes dans la cinquantaine et travaillant dans le même milieu que moi, avec peu de marge de manœuvre.   Trouver un logement à prix modique serait une solution pour elles, mais ce sont surtout des condos qui sont disponibles.  Elles récupèrent beaucoup, évitent le gaspillage et utilisent le transport en commun. Leurs amis et leurs parents ont souvent peu de moyens et peu d’alternatives dans le domaine de l’emploi. Elles ne peuvent donc pas compter sur leur réseau naturel pour les supporter dans certains choix qu’elles aimeraient faire comme : retourner aux études, recevoir un massage, partir une semaine à la campagne  mais d’abord et surtout  diminuer leurs dettes.

  Pour ma part, j’ai besoin de me sentir en contact avec des gens qui veulent  changer les choses, qui pensent à plus loin que leur personne, ouverts sur le monde, conséquents, rigoureux…Ainsi je maintiens le cap, je continue, je résiste. J’ai besoin aussi de la jeunesse en révolte à côté de laquelle je marche contre la mondialisation, la guerre, et pour une paix planétaire, des rapports justes, un quartier humain, une langue à sauvegarder…J’ai besoin de me faire secouer par des militants plus radicaux, plus tenaces, car je me sens  un peu fatiguée.  Il y a l’eau, les enfants, les réfugiés, les femmes, mon pays, les exilés et les sans papier ! ! !    Que faire contre des dictateurs ?

 Malgré tout je me sens  privilégiée de ne pas être seule,  de faire partie d’un réseau, de voir la relève bien présente et de pouvoir compter sur des amis sans lesquels on ne peut faire les choix qui font  notre dignité.