À propos de la fonction de l’art dans la théologie de Monique Dumais. Recension

À propos de la fonction de l’art dans la théologie de Monique Dumais. Recension

Louise Melançon, Sherbrooke

L’article précité en titre sous la signature de Denise Couture[1] présente un grand intérêt pour faire connaître un aspect moins connu de la personnalité, de la vie et de la production littéraire de Monique Dumais, du moins pour les personnes qui ne l’ont pas approchée, ou pour celles qui n’ont pas toujours pris connaissance de ses publications.

Denise Couture nous le rappelle. On a pu la voir souvent, dans les rencontres de L’autre Parole, entraîner les femmes de son groupe de Rimouski dans des saynètes costumées, avec des décors et des textes humoristiques, pour exprimer le thème à l’étude d’un de nos colloques annuels. Dans un événement de la Marche mondiale des femmes à Rimouski, en octobre 2010, elle a su enfiler des collants pour participer à une troupe de danse. Pour la revue, elle ne manquait pas de rédiger régulièrement des productions artistiques : le théâtre, mais aussi la littérature, y compris la poésie.

Cet article a pour objectif de montrer la fonction occupée par l’art dans la théologie féministe de Monique Dumais, de faire voir comment l’art s’intègre dans ses travaux, comment ils sont marqués, transformés et, enfin, comment des modes d’expression artistique sont liés aux éléments fondamentaux de sa théologie féministe.

Pour atteindre son objectif, Denise Couture a utilisé une méthode d’analyse rigoureuse : choix des textes, description d’une conception de l’art et détermination d’une procédure de lecture. Les textes choisis sont les onze chapitres publiés par Monique Dumais dans les ouvrages collectifs de la Société canadienne de théologie, sur une période de trente ans. La conception de l’art adoptée est celle des philosophes Gilles Deleuze et Félix Guattari qui distinguent trois formes de pensée : la philosophie, la science et l’art, et les créations artistiques différant de la philosophie comme « langage des sensations ».

L’analyse a permis d’identifier chez Monique Dumais, des créations conceptuelles d’une part, et des créations artistiques d’autre part, et enfin le lien entre elles. Les premières sont : les expériences des femmes, la domination et la libération, le corps et le souffle, la création-créativité et l’incarnation ; et les créations artistiques sont le théâtre, la poésie et la littérature.

LES CRÉATIONS CONCEPTUELLES

Parmi les idées-forces de Monique Dumais, les expériences des femmes occupent une fonction cruciale. Pour sortir du patriarcat, le discours féministe, rappelle-t-elle, doit d’abord abandonner le langage universel qui, en réalité, est masculin. Cela exige un devenir des femmes dans un retour à soi, de telle manière que le péché serait, pour les femmes, de manquer d’affirmation d’elles-mêmes, d’être incapables d’éprouver leurs propres expériences. C’est la « vitalité de nos expériences de femmes[2] » qui a la force de provoquer la sortie du patriarcat, affirme-t-elle.

Et il s’agit des expériences féministes des femmes, celles qui correspondent à un double mouvement : la critique des oppressions vécues dans le système de domination patriarcale, l’autre qui consiste à créer des alternatives libératrices. Il faut dénoncer tout ce qui asservit les femmes dans tout leur être, « décaper les mythes stéréotypés », enfin sortir de la domination, en imaginant de nouvelles voies pour entrer dans la libération. Comme théologienne chrétienne, Monique Dumais appelle ce chemin « la Pâque des femmes » pour nommer le passage au changement.

La grammaire chrétienne, comme le dit très justement Denise Couture, sert à notre théologienne féministe pour les expériences libératrices des femmes : « Elle parle du souffle de vie (l’Esprit) qui traverse les corps des femmes […] » (p. 166). En plus d’échapper au dualisme corps-esprit pour réconcilier le corps et le souffle, ce langage permet de dénoncer les expériences négatives que les femmes vivent dans leur corps, d’abord en rejetant le carcan dans lequel la culture patriarcale les enferme, spécialement en leur attribuant une nature déterminée à cause de leur corps ouvert à la maternité. Dans leur désir de liberté par rapport aux autorités ecclésiales qui les renvoient toujours à leur rôle de mère et d’épouse, les femmes féministes vivent un véritable « corps à corps », dit audacieusement Monique Dumais. Il s’agit pour les femmes de se réapproprier leur corps et, sous l’inspiration de la Ruah, le Souffle-Énergie de l’Esprit, elles avancent ainsi sur la route de leur transformation comme en une « danse de libération ».

Elle exprime ainsi, écrit Denise Couture, « un lien étroit entre la Pâque […] et la Pentecôte » (p. 167). Enfin, c’est dans l’acte de créer que les femmes s’engagent dans leur libération en imaginant des avenues neuves. En théologie féministe, il s’agit de proposer de nouvelles métaphores au sujet de Dieu, du Christ. Et la relecture de la Bible, dans la vision de notre autrice, ne consiste pas seulement à retenir les éléments libérateurs qui s’y trouvent, mais à faire une réécriture féministe des textes bibliques en toute liberté de création. Cette créativité féministe, pour Monique Dumais, assume l’incarnation au centre du credo chrétien. Les pratiques de solidarité chrétiennes ou sociales sont des lieux d’incarnation de la Parole de Dieu, tout comme « Dieu advient dans toute la réalité cosmique ». Et, affirme-t-elle, tout comme dans les expériences et les corps des femmes. Denise Couture se permet alors d’avancer un nouveau mot : « l’incarnativité » pour mettre en lien les concepts avancés par Monique Dumais dans sa théologie féministe. Ce qui l’amène à conclure : « l’analyse d’une transformation en cours, d’une Pâque des femmes, advient dans un passage de la domination à la libération qui repose sur l’intégration de leurs expériences féministes dans une créativité et dans une incarnation en acte de leurs corps et de leur souffle » (p. 168).

LES CRÉATIONS ARTISTIQUES

D’abord, Monique Dumais a souvent utilisé la poésie dans ses écrits, « des poèmes de sa main », écrit Denise Couture qu’elle intercale généralement dans son texte, et qui s’intègrent réellement à la pensée qu’elle développe. Puis la pratique théâtrale. Elle a une grande importance pour notre théologienne ; sans doute d’avoir été primée pour une œuvre de jeunesse (Propriétaire d’un jour) par Radio-Canada, lui a fait garder une facilité et un plaisir pour le théâtre dont L’autre Parole, spécialement son groupe de Rimouski, a bénéficié. Comme le rapporte Denise Couture, le théâtre est pour elle le « lieu de la représentation par excellence […] un lieu où émerge la présence du spirituel dans le monde contemporain » (p. 174). Finalement, la littérature. En plus de référer souvent à des romans dans ses écrits, Monique Dumais a proposé une pratique littéraire originale dans le groupe L’autre Parole, à savoir une manière de réécrire les textes bibliques : soit on change une phrase ou on ajoute des mots pour donner une tournure féministe aux textes, ou encore tout en gardant la structure d’un texte, on en change le contenu, soit on introduit des formules humoristiques, ce qui produit un effet de libération.

LIENS ENTRE LES CRÉATIONS ARTISTIQUES ET CONCEPTUELLES

L’art, comme la philosophie, est une manière de créer. Pour Monique Dumais, les deux étaient essentielles, soit pour déconstruire les mythes stéréotypés, soit pour une reconstruction. L’art fut pour elle une voie d’expérimentation pour faire ce qu’elle s’était donné comme défi, à savoir de retrouver « la vitalité de nos expériences de femmes ». Et l’art étant « le langage des sensations », selon Deleuze et Guattari, comme on l’a vu plus haut, l’œuvre d’art « incorpore », « incarne »« donne un corps, une vie, un univers »à l’événement. Cette théologienne portait en elle la conviction que le christianisme manquait d’incarnation. Elle s’est attelée à la tâche, disant : « c’est une tâche qui est merveilleuse, en ce qu’elle fait puiser à mes sources les plus vitales ».

Et Denise Couture de conclure : « Pour Monique Dumais, la création propre à la théologie conceptuelle n’a pas suffi pour vivre la Pâque des femmes. Les modes artistiques d’expression féministe […] nous font sortir de la boîte patriarcale et de la raison technicienne, dualiste, objectivante, hiérarchisante ! » (p.177)

Ce travail d’analyse, qui nous est offert par Denise Couture, est très précieux et stimulant pour L’autre Parole. Mais il l’est aussi pour la théologie féministe, et je dirais même pour la théologie dans son ensemble, en ce qu’il met la lumière sur une autre manière de créer un langage théologique.

[1]Denise COUTURE. « La fonction de l’art dans la théologie de Monique Dumais », Théologiques, volume 26, n2, 2018, p. 161-180. Pour accéder à l’article : https://www.erudit.org/fr/revues/theologi/2018-v26-n2-theologi04920/1065200ar/

[2]Les citations de Monique Dumais renvoient à divers textes dont on trouvera les références dans l’article « La fonction de l’art dans la théologie de Monique Dumais ». Voir note 1 pour le lien donnant accès à l’article.