A Y REGARDER DE PLUS PRES
Réjeanne Martin (Vasthi)
Quand on se met à comparer les mythes de la création de diverses civilisations, on s’aperçoit que l’écriture de la Genèse a pris à son compte des éléments de divers récits. C’est une occasion « en or » de réaliser que « l’inspiration divine » n’origine pas de sphères éthérées ; elle vient de la terre, de l’histoire concrète de notre humanité. Elle vient du fond de nos viscères, là d’où surgissent les questions fondamentales du sens. C’est de là, et de là seulement que parle la divinité.
Ne serait-ce que pour nous donner le goût de poursuivre notre réflexion et d’agrandir notre foi à des dimensions nouvelles, voici quelques récits de création…
La création dans la mythologie chinoise
Une version du mythe (chinois) nous apprend que le chaos était d’abord un oeuf de poule. Le ciel et la terre n’existaient pas encore. Bangu1 fut Issu de cet oeuf ; des éléments lourds de son corps, fut créée le terre et des éléments légers, le ciel. (…)
Une autre légende raconte que Bangu, après la création du ciel, de la terre, des animaux et des végétaux, ne se satisfaisait pas de l’absence d’un être rationnel susceptible de tirer le meilleur parti de la création. Il décida donc de modeler des figures humaines dans de l’argile qu’il avait au préalable imprégnée des deux principes du Yang et du Yin2
Les mythes de la création en Égypte
En Égypte, trois centres religieux importants se sont imposés : Héliopolis, Memphis et Hermopolis. Le clergé des trois cités rivalisait d’arguments pour démontrer que son dieu, et le groupe de divinités qui lui étaient attachées, était à l’origine de la création de l’univers. Tous les mythes se rejoignent pour évoquer l’idée d’une évolution graduelle mais, à l’origine, c’est le dieu qui a joué un rôle créateur déterminant. (…) Une version prétend que Khnoum3, le potier, avait façonné les hommes sur son tour à partir de l’argile trouvée dans la cité.4
La création et le déluge dans la mythologie de la Mésopotamie
Le mythe le mieux connu de la Mésopotamie est celui du déluge envoyé par les dieux pour détruire toute vie sur terre. Quatre dieux ont eu l’idée de ce déluge, tous ont des noms sumériens : Anu, « le père », Enlil, « le conseiller », Nimuria, fils Enlil, « le porteur du trône », et Ennugi. Un cinquième dieu, connu sous le nom Ea, a révélé le plan secret des dieux à un mortel appelé Ut-napishtim, et lui a recommandé, s’il voulait être sauvé, de construire un bateau.
Ut-napishtim suivit scrupuleusement les instructions d’ Ea, il fit des provisions de toutes sortes (y compris de l’or et de l’argent) et il installa sa famille et quelques animaux sauvages sur le bateau. (…)
Le déluge dura sept jours et sept nuits. Quand tout fut fini, le bateau était en équilibre sur le sommet d’une montagne ; Ut-napishtim lança tour à tour une colombe, une hirondelle et un corbeau. Les deux premières s’en revinrent vers lui mais le troisième disparut, ce qui prouva que les eaux s’étaient retirées. Ut-napishtim fit alors un sacrifice auquel il invita tous les dieux excepté Enlil, considéré comme le principal responsable du déluge. Enlil était furieux que quelqu’un eût réussi à survivre mais 11 accepta de bénir Ut-napishtim et sa femme et il leur dit qu’ils deviendraient les égaux des dieux.(…)
De plus amples informations concernant les dieux mentionnés dans ce mythe proviennent d’autres sources, en particulier du mythe de la création. Anu y est décrit comme le fils de deux autres dieux, Anshar et Kishar, et comme le père de Nudimmud, également appelé Ea. Tous reçoivent le titre de « grand dieu », car Ils sont les premiers descendants des deux êtres primitifs Apsu et Tiamat (…) Dans ce même mythe de la création, deux batailles sont décrites. Au cours de la première, Ea remporte la victoire sur Anshar et. Au cours de la seconde (sur laquelle repose tout le récit), le monstre primordial Tiamat est abattu par Marduk, qui façonne l’univers à partir des différentes parties de son corps.5
La création dans la mythologie grecque
La théorie la plus ancienne sur la formation de l’Univers et la naissance des dieux est exposée par Hésiode dans sa Théogonie. Trois éléments constituaient l’Univers au commencement des temps. Le Chaos représentait l’état primordial du monde, son perpétuel devenir, l’espace qui a existé depuis toujours. Gaia, de son côté, symbolisait la Terre encore inconsistante, pleine de débordements et de cataclysmes. Pour qu’il y eût création et naissance, vie et forme, il convenait que ces deux éléments primordiaux s’unissent. Alors apparut Eros, non pas le dieu de l’Amour, tel qu’on le conçoit à l’époque classique, mais la force qui permet aux êtres et aux choses de se rapprocher, de se toucher et de se mélanger. Ainsi purent naître, au milieu des ténèbres et de la nuit, la première génération des dieux et les premiers végétaux. L’apparition de la vie dans le monde fut puissamment stimulée par Océan et son épouse Téthys. Ils étaient tous deux le symbole complexe, immense, fécond de l’eau originelle, qui enfante les rivières, les sources et les mers et vivifie sans cesse la nature.
Selon la tradition la plus courante, les hommes vinrent peupler cet univers, quand Prométhée eut créé le premier d’entre eux avec de l’argile. On raconte enfin que lorsque le déluge eut détruit toute forme de vie sur la Terre et que les eaux se furent retirées, Pyrrhe et son époux Deucalion, fils de Prométhée, ayant miraculeusement échappé à la catastrophe, jetèrent des pierres derrière eux, qui se transformèrent aussitôt en femmes et en hommes.6
Ces récits mythiques, porteurs des questionnements profonds de l’être humain sur ses origines et le sens de sa vie, ne manifestent toute leur densité que dans la mesure où chacune essaie d’en pénétrer le sens et la portée. Certains l’ont fait avant nous et pour nous. Mais nous, les femmes, quelle lecture faisons-nous de ces mythes qui nous concernent au plus haut point ? Mair Verthuy, dans un article paru dans Les Cahiers de la femme, interroge justement les mythes touchant les femmes. Voici un court extrait qui rejoint plus particulièrement nos intérêts, le mythe d’Eve.
Il est (…) important de constater que la lecture des mythes semble avoir été faite surtout en surface et toujours dans le même sens, personne jusqu’à présent n ‘ayant procédé à une contre- lecture permettant d’aboutir à une autre interprétation. Cette tâche s’impose si nous voulons continuer à récupérer notre propre histoire.
De ce point de vue, il nous semble intéressant de revoir trois images qui ont fortement conditionné l’histoire des femmes : celle de la femme coupable, Eve et Pandore ; celle de la femme idéale, Galatée, comme elle a été nommée par la suite. La lecture que l’on en a donnée dans l’ensemble jusqu’ici nous paraît relever d’un parti pris, et nous croyons qu’il y a moyen de prendre les mêmes récits et de leur attribuer un sens radicalement opposé à celui qui était traditionnellement imposé.
Commençons par le Jardin d’Eden. Dieu le créa ; y mit ensuite Adam « pour cultiver te sol » et pour nommer tous les animaux. Et voyant qu’Adam avait besoin d’une aide, il forma une femme. Tout leur était permis sauf l’arbre de la connaissance. Ils avaient tout pour vivre « heureux ». Mais Eve choisit de croquer dans la pomme défendue, et la voilà responsable de tous nos maux.
A y regarder de plus près, ce schéma ressemble étrangement à toute structure sociale basée sur une hiérarchie des pouvoirs et des sexes. Un maître tout-puissant, un homme pour le servir, et une femme pour servir l’homme. Adam était-il libre ? Certes pas. Ce fut un pantin, victime de la puissance qui l’avait créé, lui devant obéissance et soumission, et tirant sa seule satisfaction de l’existence d’un être subordonné fait pour lui. Le Jardin
d’Eden était-ce vraiment le Jardin aux Délices ? Un jardin à clôture, contenant un arbre expressément défendu ? Cet arbre étant justement celui qui permettrait à l’homme de devenir, selon la parole même de Dieu, « comme l’un de nous (les dieux) pour la connaissance du bien et du mal ».
Si Eve est coupable, elle est coupable d’avoir voulu savoir, contrairement à Adam qui acceptait d’ignorer. Elle est coupable d’avoir négligé la voix du maître, d’avoir contesté son pouvoir, d’avoir refusé le Verbe, d’avoir essayé de se libérer et de libérer Adam avec elle. Son geste a peut-être entraîné la souffrance, mais il implique aussi la connaissance, donc la liberté, le choix. C’est par son acte à elle qu’Adam peut espérer devenir un Homme. C’est elle qui recherche la vérité, et, si maux il y a, ils nous viennent du maître qui punit cette première rébellion contre lui.7
En guise de conclusion et pour nourrir l’audace de notre méditation qui cherche à voir le vrai visage de la divinité de notre Tradition, une réflexion d’Annie Leclerc :
Une nuit j’ai vécu un moment de panique. J’ai imaginé ce que c’était que Dieu tout seul, avant la création du monde. Je n’ai jamais pu imaginer plus grande horreur.8
1 Bangu est un dieu créateur dans la mythologie chinoise.
2 Vang et Yin représentent le principe mâle et le principe femelle des êtres humains. Mythologie. Encyclopédie illustrée. Paris, Ed. Atlas. 1980. 303p.. p. 59 et p. 64
3 Khnoum, dieu à tête de bélier, qui devint une forme d’Amon.
4 Op. cit., p. 97
5 Op. cit., p.86etp. 87
6 Joël SCHMIOT, Dictionnaire de la mythologie grecque et romaine, Paris, Larousse, 1980, pp.83-84.
7 Mair VERTHUY, ‘Mythes à vendre au rabais », Les Cahiers de la femme, vol. 3, no 2, 1981, pp.78-80.
8 Annie Leclerc, dans une entrevue accordée à Odile TREMBLAY, Châtelaine, février 1986, p. 128.