LES JALONS DE NOTRE DÉMARCHE
Rita Hazel (Marie-Eve)
Seule la mise en commun approfondie de nos méditations individuelles a permis cette véritable création collective : une écriture a pris forme à mesure que nous la bâtissions, dans une intense union de pensée, et chacune y a participé. Cette rare expérience s’est révélée à la fois exigeante et exaltante.
Un premier partage d’idées et de réflexions a nourri la recherche poursuivie à l’intérieur des groupes de L’autre Parole, puis, en une seconde étape, dans les ateliers et plénières du colloque. On devinera que nos théologiennes ont grandement contribué à la documentation et au cheminement général. Voici, pêle-mêle, les principaux éléments de ces échanges.
Point de départ
Les textes bibliques du récit de la création proviennent d’auteurs et d’époques différents et ont été écrits à la façon dont les hommes comprenaient le monde à ce moment précis. La création est un fait, la Genèse est un récit.
La création n’est pas statique, elle n’est pas un événement du passé ; elle évolue, on l’actualise continuellement Nous pouvons nous demander dans quels termes nous la dirions aujourd’hui, et ce qu’elle projette sur l’avenir et sur la fin des temps ; comment nous interprétons les faits passés à partir de ce que nous savons maintenant.
Les premiers hommes sont arrivés à une certaine conscience d’eux-mêmes, à une époque donnée. Comment nous, les femmes, sommes-nous parvenues à une pleine conscience de nous-mêmes, comment avons-nous découvert le monde qui nous entoure ?
Dieu a dit de nommer les êtres de la création. Voyons comment les femmes participent à cette nomination. Voyons aussi notre compréhension du péché, de notre propre condition humaine : qu’est-ce que c’est pour nous, être en état de rupture ? (La chute…)
A partir de notre lieu de femmes, collectivement, nous pouvons découvrir des dynamismes, une perspective d’un monde nouveau, une vision nouvelle de l’humanité.
La parole des femmes est absente des Écritures, disons-la. Projetons dans le passé ce qui aurait été un monde plus égalitaire, plus communautaire, apportons un correctif du type d’histoire qui a été écrit, en partant du lieu où on agit On peut supposer que, dans le passé, ce n’est pas seulement ce qui a été écrit qui est arrivé. On peut poser un nouveau mythe sur cette création en partant des choses de notre vécu.
Compétence requise : bien se connaître soi-même.
Éléments rapportés au colloque
Le cosmos et l’être humain sont dépendants d’un créateur. La dépendance du petit humain dans le ventre de sa mère est un symbole intéressant de la dépendance de l’humain dans l’être. À l’origine du monde, il y a un ventre, un milieu nourricier dans lequel on baigne.
Dieu a été pensé dans un schéma où il existe au-dessus de nous, en haut et à l’extérieur.
« La Parole de Dieu sépare les éléments ». C’est là une pensée masculine. Il faut surtout voir non la séparation mais le lien entre les éléments… l’alliance, la dépendance d’un Dieu plus intérieur qu’extérieur.
La séparation entraîne la lutte pour éviter la dépendance. Il faudrait voir la communion plutôt que la séparation.
Dieu a voulu partager son bonheur en créant un monde où tout était équilibre et harmonie. Le péché a consisté dans la rupture de cet équilibre :
– à l’intérieur de l’être : on écrase ce qui est féminin en nous ;
– dans les relations femmes, hommes : l’homme a pris le pouvoir ;
– entre les humains : d’où les guerres ;
– dans la nature : fautes contre l’écologie ;
– dans la relation avec Dieu : refus de la dépendance.
La lecture des textes permet de comprendre que le Paradis serait plutôt situé à la fin des temps. On chemine vers un jardin… rempli d’arbres fruitiers et irrigué par des fleuves.
Au début régnait le chaos – l’obscurité – des luttes entre les hommes et les femmes.
Puis jaillit la lumière, la force créatrice et libératrice animée par l’espérance et l’amour livrés dans l’Evangile de Jésus-Christ
En cheminant vers le jardin chargé de promesses, les femmes butent constamment sur la difficulté de leurs relations avec les hommes.
Il faut écrire la création à partir de notre sentiment des luttes.
Il n’y a pas de naissance sans lutte : violence, douleur et lutte sont trois éléments nécessaires, toujours présents à la naissance. Et la création ? comment est-elle née ?
Cela fait partie de la vie que de lutter pour la vie.
Et vue de la réappropriation des Ecritures, il existe trois éléments fondamentaux à conserver pour demeurer à l’intérieur de la Tradition :
1 – l’idée de la création, c’est-à-dire de la dépendance dans l’être ;
2- l’identité de nature des hommes et des femmes ;
3- la notion de péché, de chaos.
Au plan du féminisme deux aspects sont essentiels :
1 – la lutte : divisions et rapports défectueux entre femmes et hommes font partie de l’expérience féministe ;
2- la progression : la création n’est pas statique, elle bouge et se développe à la façon d’une spirale.
« Croissez et multipliez-vous » signifie : continuez la création.
Au moment de la création, la femme a eu sa rencontre personnelle avec Dieu. La fresque que l’on peut admirer au portail central de la cathédrale d’Amiens et qui a pour titre « Naissance d’Eve » illustre cette rencontre tout empreinte de tendresse : Dieu accueille Eve en la prenant par la main.