Avec les enfants de la rue

Avec les enfants de la rue

Depuis bien longtemps, l’odeur de l’Afrique aiguise mes rêves. Mon désir de partir vers ce continent a atteint son apogée avec la préparation d’un projet de coopération au Sénégal. Le 28 septembre 1997, je m’envolais donc en compagnie d’Isabelle Ouimet, ma compagne de voyage, pour dix mois vers ce pays de soleil pour en découvrir les mille et une richesses.

Étant toutes les deux finissantes en Éducation préscolaire et Enseignement primaire, notre désir était de nous impliquer auprès des enfants. Notre projet s’est donc déroulé au centre d’écoute S.P.E.R. (Solidarité Pour les Enfants de la Rue). Ce centre, créé en 1994, par un groupe de jeunes volontaires sénégalais touchés par 1a détresse des « enfants de la rue », partait de l’hypothèse que tout enfant marginal est un enfant blessé qui souffre d’une crise d’identité. Les objectifs principaux du centre étaient la prévention du phénomène et la réinsertion familiale de « l’enfant de la rue ».

Dans la rue

Nous avons eu la chance d’entrer dans ce monde mystérieux des enfants de 1a rue et de le découvrir. Deux fois par semaine, nous parcourions, avec d’autres intervenants du centre, les rues de Dakar pour aller à la rencontre de ces enfants dans leurs différents points de chute. La plupart de ces enfants vivent sur la plage ou près des poubelles de récupération, dans des endroits sales, lugubres.

Notre présence suscitait beaucoup de curiosité de la part des enfants et des passants. Imaginez deux « toubabs » (Blancs) dans la rue et deux jeunes filles en plus. On ne pouvait passer inaperçues. Au début, je ne me sentais pas à l’aise ni en confiance. Bien des fois, j’aurais aimé changer de couleur de peau pour pouvoir passer incognito. Le but de notre présence était de créer des liens d’amitié avec ces enfants. Au début, ils nous demandaient sans cesse de l’argent ou des biens matériels ce qui devenait très exaspérant mais, au fil des semaines, ils se sont habitués à notre présence et ont compris que nous étions là pour les mêmes raisons que les autres intervenants du centre. Les sollicitations matérielles ont alors diminué, laissant toute la place à l’amitié. Ne maîtrisant pas leur langue, nous ne pouvions pas parler avec la plupart de ces enfants mais à travers les poignées de main, les sourires, la tendresse, une complicité s’est établie. Les enfants, en se montrant très protecteurs à l’égard de leurs deux amies Fatou et Coumba, nous ont aidées à nous sentir mieux.

Au centre S.P.E.R.

Le centre S.P.E.R. est un centre d’écoute et d’éducation. C’est un endroit où les enfants peuvent se laver, dormir, être soignés et manger. Ils sont libres d’y venir et d’en repartir également. Toutefois, l’enfant doit respecter certaines règles : pas de drogue, de vol, de violence. Certains enfants viennent y passer quelques jours, d’autres y restent plus longtemps. Quand l’enfant est assez stable au niveau du comportement, on lui offre la possibilité d’apprendre un métier ou de retourner à l’école. Awa, la seule femme intervenant au centre, tente également de prendre contact avec la famille de l’enfant dans l’éventuelle possibilité d’un retour en famille.

À notre arrivée, le centre était en pleine restructuration. Les activités socioéducatives avaient cessé et les enfants vivant au centre devaient s’occuper seuls toute la journée. Nous avons donc eu l’idée d’ouvrir une salle de jeux pour eux. Trois après-midi par semaine, nous regroupions les enfants afin de faire des jeux plus sains et instructifs. Nous étions toujours accompagnées d’un autre intervenant afin de pouvoir mieux communiquer avec les enfants. Nous avons eu beaucoup de plaisir à réaliser des activités de toutes sortes : sports, jeux coopératifs, jeux éducatifs, correspondance Québec-Sénégal, arts plastiques… Les enfants ont manifesté un grand enthousiasme pour les activités de la salle de jeux. Ils y venaient toujours en très grand nombre.

On estime à 600 le nombre d’enfants, âgés entre 6 et 14 ans, vivant sans famille dans les rues de Dakar. On les voit chaque jour déambuler le nez en l’air, l’esprit ailleurs, des boîtes de conserves à la main, ou des chiffons imbibés de diluant à peine cachés dans le creux de leurs mains. Ils sont sales, ne portent pas de chaussures et sont habillés de guenilles, de haillons. Leurs corps sont marqués d’une multitude de plaies, mais ils ne semblent guère s’en soucier. Quand on les voit ainsi, on a tendance à oublier qu’au bout de cette chaîne se cache un enfant avec ses joies et ses peines. Ces enfants qu’on a maintenant tendance à appeler « les enfants de la rue » ont tous une histoire, quelquefois elle est terrible, désolante et soulève le coeur. Une histoire qu’ils ne racontent pas à tout le monde, mais à ceux dont ils ont réussi à sonder le coeur, à ceux qu’ils ont appris à connaître et à qui ils peuvent faire confiance.

M.ANON LOCAS LEHOUX