Ayla ou Comment oser se réapproprier le sacré

Ayla ou Comment oser se réapproprier le sacré

par Monique Hamelin, Vasthi

Le roman n’est pas nouveau. L’auteure nous a déjà donné cinq tomes de cette histoire qui se déroule il y a 35 000 ans. Traduit en 28 langues, le tirage global atteint les 35 millions d’exemplaires. Les chances sont grandes que vous ayez déjà lu ces romans ou leurs critiques dans les quotidiens, magazines et revues spécialisées. Alors, pourquoi en reparler ici ?

En fait, que vous ayez lu ou que vous ayez résisté à Jean Auel et Les enfants de la terre1 ,  je vous propose une autre piste de lecture. Du réalisme archéologique et du discours féministe militant, je vous renvoie à la pratique de certains  rites en vigueur à l’époque de transition des Neandertals aux  Cro-Magnons.

 Mais d’abord, je vous rappelle brièvement l’histoire. À la suite d’une catastrophe naturelle, une fillette se retrouve seule dans la nature. Elle a 5 ans. Elle ne pourra survivre à moins d’être adoptée. Elle trouvera une famille d’accueil chez les Neandertals. Elle sera Ayla. Mais, elle est l’autre, elle est différente, elle n’appartient pas à ces peuplades primitives. Elle appartient aux Cro-Magnons, nos ancêtres directs. Nous suivons donc les aventures de l’héroïne à travers les phases de sa vie : enfance, adolescence, vie adulte alors qu’elle est à la recherche de ses origines et qu’elle doit faire face à la solitude dans des contrées inhospitalières. Suivront les apprentissages à la vie de couple, à la vie sociale et à la vie communautaire où Ayla aura à affronter le choc des cultures, avec la répartition sexuelle des tâches quotidiennes et la particularité des rites sacrés.

 Je n’ai pas encore parcouru les cinq tomes :  j’en suis au volume 3 : Les chasseurs de mammouths Ce qui me fascine, entre autres, dans ces romans, c’est la mise en scène, par l’auteure, des pratiques rituelles et l’utilisation qu’elle fait des symboles chez les Neanderthals et les Cro-Magnons. Si les idées et les émotions s’expriment avec beaucoup moins de facilité qu’aujourd’hui, il ne faut pas en déduire qu’il y a alors absence de réflexion, d’émotions et d’affectivité. Ce qu’a produit Jean Auel, nous y croyons d’autant plus que des spécialistes du milieu ont salué le réalisme anthropologique de son œuvre.

Alors que des féministes, de toutes traditions religieuses, questionnent l’appropriation des rites par des hommes et principalement par la classe des clercs ; alors que nous cherchons à créer ou à nous réapproprier, comme femmes,  les rites et les exercices sacramentels pour y inclure nos propres expériences, il est des plus intéressant de pouvoir plonger dans les toutes premières expériences de rituels qui marquent les grands moments de la vie. Ces pratiques pourront sans doute nous inspirer.

 Ce qui ressort de la lecture des romans de Jean Auel, c’est qu’à toute époque, quelle que soit l’évolution des sociétés, de grands moments de la vie ont été marqués par des rituels. Pensons à l’accueil d’un nouveau ou d’une nouvelle-née, au passage de l’enfance à l’âge adulte, à l’union de deux êtres pour continuer l’espèce ; aux cérémonials de la pénitence, de la mort, de guérison, de  communion dans un même groupe ou un même clan. Il est fascinant de voir comment le monde chrétien a repris ces rites des temps anciens avec les sacrements du baptême, de la confirmation, de l’eucharistie, du mariage, de la pénitence, de l’extrême-onction et du sacerdoce.

 Que le clan ou la communauté sociale et spirituelle se réunisse pour le partage réel ou symbolique du corps et du sang de l’être suprême (ours des cavernes ou Christ), il ressort que nous avons un clan ou une communauté qui veut, d’une part, louer l’être suprême et lui demander force et courage pour l’avenir et, d’autre part, assurer une meilleure cohésion entre les membres du clan ou de la communauté et avec les autres clans ou communautés chrétiennes. Tous participent de la même mémoire collective. Tous participent à quelque chose de plus grand que chacun d’eux et de plus grand que leur clan.

 Dans son clan d’adoption, Ayla a été initiée aux rites de la pénitence, de la cérémonie des adieux et du baptême. En exil, durant son isolement, elle refera les mêmes gestes en rappel du passé. Maintenant seule, elle questionne l’ordre établi, l’ordre du clan, l’ordre qui ordonne la division sexuée des tâches tant de la vie quotidienne que des rites. Pour survivre, elle doit assumer des tâches réservées au groupe des hommes. Et lorsqu’elle retrouve des semblables, elle maintient son questionnement.

 Dans le Tome 2 – La vallée des chevaux, il sera question de la Grande Terre Mère, l’Aïeule, la Première Mère, Créatrice et Soutien de toute vie, Celle qui bénissait les femmes en leur transmettant Son pouvoir de créer et d’engendrer la vie. Jamais on ne voyait son visage, même en rêve. Et quand on provoquait  sa colère, Elle était capable de reprendre le merveilleux Don du Plaisir qu’elle offrait aux femmes qui choisissaient de s’ouvrir à un homme.  D’où la création d’un rituel pour l’initiation au Don du Plaisir, rituel malheureusement absent dans le  christianisme, et dont les éléments pourraient servir de base à l’initiation de nos filles et de nos fils aux plaisirs de l’amour.

 La socialisation semble être l’un des principaux thèmes du Tome 3 – Je vous laisse le plaisir de faire vos découvertes. En terminant, je dirais que, tout au long du récit, on ne sent jamais la leçon de choses. C’est un monde tout à fait inconnu qui nous est présenté. D’aucunes, d’aucuns pourraient trouver l’héroïne trop bonne, trop belle, trop parfaite. Pour ma part, je reste fascinée par la somme de savoir mis en place dans cette narration romancée et par les divers degrés de lecture qu’il est possible de faire de cette épopée.  J’éprouve un grand plaisir à avoir comme modèle, comme héroïne, une femme de courage qui affronte le quotidien et le sacré avec sa tête, ses bras et son cœur.

  Les tomes :  1 – Le Clan de l’ours des cavernes ; 2 – La vallée des chevaux ; 3 – Les chasseurs de mammouths ; 4 – Le grand voyage et 5 – Le retour d’Ayla.