Billet… « L’autre Parole, une source d’inspiration, d’engagement et de contestation »  

Billet…1

« L’autre Parole, une source d’inspiration, d’engagement et de contestation »

de Marie-Andrée Roy, membre fondatrice de

Il y a 35 ans, Monique Dumais lançait un appel pour créer un feuillet d’information. Le 18 avril 1976, dans une lettre à la fois enthousiaste et pragmatique, je répondais positivement à cet appel. En août de la même année, nous nous sommes rencontrées chez Monique, à Rimouski ; nous étions quatre femmes détentrices d’une formation en théologie. Trois ont poursuivi le projet : Monique Dumais, Louise Melançon et moi-même. Par la suite, d’autres femmes, détentrices de formations diversifiées, se sont jointes à la collective. En 1978, nous avons eu notre premier colloque et nous avons commencé à former des groupes autonomes dans différentes villes du Québec.

Dès le départ, la collective a eu des orientations claires : nous étions des chrétiennes profondément inspirées par la théologie de la libération et désireuses de développer une théologie féministe de la libération, dans la lignée de celle mise de l’avant par Rosemary Radford Ruether, Elisabeth Schüssler-Fiorenza, etc. Nous étions des féministes, solidaires du mouvement des femmes et engagées à lutter contre l’oppression des femmes dans la société et dans l’Église. Nous faisions le pari de travailler en collective parce que nous étions convaincues, dès le départ, que la solidarité était indispensable pour contrer le patriarcat ecclésial. L’Évangile de libération de Jésus-Christ a constitué notre source première d’inspiration ; les travaux du concile Vatican II nous ont permis de croire que l’Église c’est aussi nous, les femmes en quête de justice, d’égalité et de liberté ; et les écrits de féministes comme Simone de Beauvoir, Mary Daly, Betty Friedan, Colette Guillaumin, etc., nous ont convaincues du caractère construit de notre oppression, de la possibilité de transformer radicalement notre  » condition de femmes » et de la nécessité de faire entendre notre parole comme femmes libres et créatrices de notre histoire. Notre foi chrétienne a reconnu ses accointances avec le féminisme. Trente-cinq ans plus tard je suis fière de nombre de nos réalisations. Nous publions depuis 1976, de manière autonome2 sans subvention

2, notre revue quatre fois par année. Nous organisons, planifions, vivons annuellement, depuis 1978, un colloque d’une fin de semaine sur des thématiques que nous choisissons et étudions collectivement. Nous avons pris position, individuellement et collectivement, sur divers sujets controversés : l’ordination des femmes, l’avortement, etc. Nous avons produit et vécu collectivement des célébrations chrétiennes et féministes pour dire audacieusement notre foi chrétienne et notre engagement féministe. Nous voulions au départ nous doter d’un outil pour que la parole des femmes soit énoncée librement ; nous avons tenu parole ! Et nombre de femmes et d’hommes d’ici et d’ailleurs ont été rejoints et influencés par nos discours et nos pratiques de femmes chrétiennes et féministes. Bref, nous avons eu, je crois, une fécondité non négligeable !

Mais nous voulions aussi faire reculer le sexisme, contribuer au changement de la situation des femmes dans l’Église, affirmer l’existence d’une réelle ekklésia des femmes, inclusive, solidaire et hardiment ouverte sur la promesse de libération de l’Évangile. À ce chapitre, notre bilan est plutôt décevant. Force est de reconnaître que les résistances ecclésiales sont plus solides que jamais, que le machisme clérical s’est accru, que les interlocuteurs ecclésiaux  » sympathiques » aux féministes se sont raréfiés, même s’ils n’ont jamais été nombreux. Plus grave encore, j’observe que la plupart des jeunes femmes chrétiennes et féministes ne veulent pas perdre de temps avec cette institution sclérosée et que les rares femmes qui acceptent de s’impliquer font une croix sur leurs revendications féministes parce que les tensions ont atteint un niveau intolérable. Que faire alors ? C’est la question que nous devons collectivement nous poser lors de notre colloque du 35e anniversaire de L’autre Parole.

  1. Au cours de l’année 2011, année qui verra les fêtes du 35e anniversaire de la collective L’autre Parole, la chronique Billet de… cède sa place aux membres dont les fondatrices pour un partage de leurs réflexions sur la présence de ce groupe dans l’univers québécois.
  2. Sauf pour une aide financière pour les dépenses d’envoi postal au Canada, laquelle n’existe plus depuis janvier 2010, suite à une décision du gouvernement Harper.