CATHERINE DE SIENNE, THERESE D’AVIIA ET NOUS •••

CATHERINE DE SIENNE, THERESE D’AVIIA ET NOUS •••

par Simonne Monet-Chartrand

Ma vie comme rivière, premier volet de l’autobiographie de Simonne Monet-Chartrand, est paru récemment aux Editions du Remue-Ménage.        Simonne a eu la gentillesse de nous faire parvenir un manuscrit qui, faute d’espace, n’a pu être publié dans ce livre. En voici un extrait.

1936. A l’intérieur du parloir des prêtres, face à l’entrée principale du couvent, au deuxième étage, se trouvait une grande bibliothèque. Remplie de volumes bien rangés, couverture noire, ils me paraissaient d’aspect sévère et aussi très mystérieux.

« Simonne, que faites-vous ici dans le parloir privé de monsieur l’aumônier ? Vous a-t-il fait venir pour « la direction spirituelle » de votre conscience ?

Non, pas du tout.

« Alors sortez « Vite d’ici. Vous n’avez pas le droit de pénétrer dans ce lieu, encore moins d’ouvrir les portes vitrées de sa bibliothèque » me dit la soeur sacristine.

Etrange personnage qu’était notre aumônier-confesseur. Il avait beaucoup de pouvoir sur les religieuses et les élèves pensionnaires.

« Ma Soeur, je voulais me procurer des livres religieux autres que ceux inscrits à notre programme d’étude. Après tout, je suis sous-graduée et je tiens à lire de la philosophie et de la théologie.

De la théologie ? Voyons, une élève ne peut rien y comprendre. Les religieuses elles-mêmes n’étudient pas la théologie. Pour cela, il faut avoir fait un cours classique et aller au grand séminaire.

Alors, selon vous, une fille, une religieuse ne peut jamais devenir théologienne ? Pourtant Ste-Catherine de Sienne religieuse italienne et l’espagnole Thérèse d’Avila étaient, il y a des siècles déjà, des femmes bien instruites dans la science de •••

La science de Dieu est seulement pour les hommes qui ont reçu le sacerdoce.

Ma Soeur, j’ai étudié dans mon manuel d’histoire de l’Eglise et dans mon manuel de théodicée1 que l’Eglise a reconnu, après bien des siècles de discussions, de schismes et d’hérésies que la femme avait, comme l’homme, une âme et une intelligence aptes au surnaturel. Moi, ça m’a toujours paru évident.

Cessez de raisonner, de discuter et obéissez-moi. Sortez d’ici. La bibliothèque des prêtres, c’est sacré, même pour les religieuses. Si vous étiez plus pieuse, peut-être seriez-vous « appelée » par le Seigneur à devenir comme moi religieuse, servante du prêtre et de l’autel.

Mais vous, vous-y entrez dans ce parloir ?

Oui, pour faire l’époussetage et arroser les fougères.

Et si je demandais à l•aumônier la permission de venir me choisir des livres dans sa bibliothèque ?

La permission de lui parler doit d’abord vous être accordée par votre maitresse de discipline et approuvée par la directrice des études.

Mais pourquoi ? Ces livres 1à ne sont surement pas à l’index. Ils sont faits pour être lus et étudiés, non ?

Oui, mais pas par des élèves. Taisez-vous. Ca suffit. »

Ces permissions étaient le passeport autorisant l’allée-venue d’une salle à l’autre. Apres le départ de la sacristine, je revins sur mes pas et je me précipitai vers les rayons de la précieuse bibliothèque. J’enfouis dans ma « poche de soeur » un livre relié portant le titre : « Les Confessions de St-Augustin ».

Les professeurs de religion parlaient souvent, à mots ouverts, de ce saint Père de l’Eglise, philosophe et moraliste, dialecticien et théologien et de son influence sur la théologie occidentale.

Une grande illustration encadrée de Ste-Monique, sa mère éplorée, pleurant face à plage d’Ostie où ils demeuraient, était fixée aux murs du grand corridor de l’étage du parloir. On célébrait sa fête et sa sainteté à la messe du 4 mai. J’avais lu sa vie. On y écrivait que Ste-Monique était née en Afrique, s’était mariée à un païen – un non catholique – qu’elle avait converti par l’exemple de ses vertus. Devenue veuve, elle s’était dévouée à son fils Augustin et avait expié par ses larmes, ses prières et ses sacrifices les fautes de ce fils dévoyé. Dieu agréa dans sa Miséricorde infinie les prières et les larmes de cette sainte mère et 1’âme d’Augustin fut rendue à la vraie vie. Ainsi se terminait la biographie de Ste­Monique.

Dans    mon journal de couventine j’ai noté ma surprise d’apprendre que St-Augustin et sa mère étaient des Africains, des Noirs. A date, j’avais cru, sans réfléchir, que tous nos saints patrons et patronnes étaient des français et des françaises, comme l’étaient Ste-Geneviève, Ste-Jeanne-D’Arc et Ste-Thérèse de Lisieux.

1. La théodicée est la science de Dieu par les seules lumière de la raison. Elle diffère de la théologie, qui étudie Dieu à l’aide de la raison éclairée par la foi.