DE LA JOIE D’ÊTRE FAILLIBLES

DE LA JOIE D’ÊTRE FAILLIBLES

Réjouissons-nous, mes soeurs, et soyons dans la joie. Personne, nulle part, jamais, ne sera obligé de nous croire infaillibles.

Le 28 octobre de l’an de grâce 1995, nous avons été confirmées dans notre faillibilité. En effet, en déclarant que la doctrine qui nous exclut des ministères ordonnés doit être tenue pour infaillible par tous, partout et toujours, nous venons d’échapper à un grand péril : celui d’avoir accès aux premiers barreaux de l’échelle qui mènent quelques mortels, dès ici-bas, au privilège insigne de pouvoir, sans se tromper, définir ce que Dieu pense, ce que Dieu veut, ce que Dieu ordonne, et ce que son Fils a souhaité voir, non seulement s’instaurer, mais encore s’organiser concrètement dans la suite des temps pour assurer la diffusion de la Bonne Nouvelle. L’effrayante responsabilité que voilà !

Les auteurs du livre de la Genèse cherchant de quelle faute l’être humain avait pu se rendre coupable pour mériter la présence envahissante du mal dans le monde n’avaient rien trouvé de mieux que d’imaginer un péché d^orgueil. C’est à la tentation d’être comme des dieux, connaissant le bien et le mal qu’Eve est réputée avoir succombé pour aussitôt entraîner Adam à sa suite.

Invoquer pour soi-même l’infaillibilité, alors qu’on a derrière soi tant de siècles d’histoire pour démontrer, hors de tout doute raisonnable, que tout le monde peut se tromper, y compris les autorités romaines, même lorsqu’elles prétendent interpréter la Parole de Dieu, a quelque chose de formidablement prétentieux. N’est-ce pas sur la Bible que s’appuyaient les adversaires et les juges de Galilée pour condamner sa théorie sur le mouvement de la terre autour du soleil et tenir pour erronées ses observations scientifiques ? Si l’orgueil supposé d’une femme a pu, aux yeux des auteurs du récit mythique de la Genèse, apporter à la terre la souffrance et la mort, que faut-il attendre de l’orgueil bien réel des hommes qui prétendent tout savoir sur la volonté de Dieu quant aux rôles et aux fonctions que doivent tenir les femmes et les hommes dans l’Église ?

En soi, le souci d’être fidèle à la volonté du Christ et de prendre exemple sur lui est infiniment louable. Personne n’en disconviendra. Mais sur quels critères s’appuie-t-on pour déterminer avec certitude ce qui fait l’objet de cette volonté ? Les douze hommes qu’il a entraînés avec lui dans sa première mission étaient tous, sans exception, des juifs circoncis, des gens sans instruction, de condition modeste, vivant de la pratique de leur humble métier. Nul étranger parmi eux. S’il faut accorder tant de poids au sexe de ces douze-là pour respecter le volonté de Jésus, comment expliquer que les responsables de l’Église ne poussent pas la logique jusqu’au bout ? Pourquoi tous nos clercs n’ont-ils pas été recrutés exclusivement au sein du peuple juif, et pourquoi n’exige-t-on pas qu’au moins ils soient tous marqués dans leur sexe par la circoncision ? On dira que cette idée est ridicule. Il est facile d’en convenir. Mais alors, comment expliquer qu’on ait retenu la différence sexuelle comme caractéristique individuelle pour discerner qui pouvait recevoir l’appel au sacerdoce et qui ne le pouvait pas, alors que l’origine ethnique est bien vite apparue comme un accident historique négligeable, sitôt que jugé embarrassant ?

L’explication est simple : les responsables de l’Église sont dotés d’une mémoire sélective qui retient systématiquement tout ce qui peut accommoder le maintien du pouvoir patriarcal, et oublie tout ce qui le remet en cause. Si Jésus venait à apprendre que ce subtil exercice est prétendument fait en mémoire de lui, je suppose qu’il trouverait là l’occasion d’une sainte colère. Il est toujours fort vexant d’avoir été si mal compris.

Quant à nous, notre faillibilité, infailliblement confirmée pour la suite du monde, nous assure d’une inestimable faveur. Nous trouvons une place de choix au coeur de l’Évangile entre Zachée, la femme adultère et la Samaritaine ; la fille publique, à qui « il sera beaucoup pardonné parce qu’elle a beaucoup aimé » ; l’hémoroïsse, frappée d’exclusion parce qu’impure ; le publicain qui, se reconnaissant pécheur, se tenait au temple à distance du saint des saints. Étrange, mais enviable compagnie, puisqu’un jour, au bord d’une route, à la margelle d’un puits, au nez des bien-pensants, le Nazaréen a levé les yeux sur ces femmes et ces hommes, au coeur blessé, au coeur ouvert, et les a guéris et remplis de tendresse et de miséricorde.

J’attends de pied ferme qui me contestera l’insigne espérance de faire à jamais partie de ce clan-là.

MARIE GRATTON, MYRIAM

En ce dimanche de la joie, 17 décembre 1995.