DES FEMMES … NOS SŒURS EN HUMANITÉ

DES FEMMES … NOS SŒURS EN HUMANITÉ

Réjeanne Martin, s.s.a.

À l’époque où je prends ma retraite (1995), ma solidarité indéfectible aux femmes prend une autre voie que la militance active dans la Collective L’autre Parole. Mon âge (65 ans) et mes limites de santé (séquelles d’un accident) me rapprochent de MOI d’abord. Mon questionnement : quelle sera ma façon AUTRE d’intervenir dans le champ des femmes ?

La réponse surgit rapidement : en continuité avec la pratique pastorale et les contacts que j’ai développés dans un cégep pendant 25 ans, je me sens interpellée par les plus marginalisées, les laissées-pour-compte la plupart du temps. Et me voilà à inventer des projets éducatifs pour nos sœurs incarcérées (Société Elizabeth Fry du Québec), pour nos jeunes sœurs en difficulté (L’Arrêt-Source), pour nos sœurs pauvres enceintes qui choisissent de mener leur grossesse à terme (OLO). Aujourd’hui je vous parlerai de mes projets pour nos sœurs en prison.

Nos sœurs incarcérées

Progressivement, je formule des projets les uns à la suite des autres. Un peu comme on entrouvre des fenêtres pour laisser entrer un peu de soleil dans les coins sombres de notre vie…

D’abord la mise en place d’un Service de conseils juridiques indépendant du système carcéral, adapté aux besoins des femmes confrontées avec la justice pénale et assuré par une avocate qui accepte de s’investir pour la très modeste somme de 30$/heure + taxes. Les objectifs poursuivis : efficacité et promptitude à répondre aux demandes d’informations, apprentissage de l’autonomie pour qu’elles développent des solutions à leurs conditions de vie durant leur séjour en prison et à leur sortie. Dans cette perspective, des dépliants explicatifs sont en réalisation et seront rendus disponibles aux femmes pour faciliter encore davantage l’accès aux informations les plus souvent demandées : la séparation/divorce, la pension alimentaire, les droits des enfants, les libérations conditionnelles, les contraventions, le rôle du percepteur des amendes, etc.

Puis vint la proposition des Ateliers bibliques à partir de la thématique La Bible, racontée à travers l’histoire de femmes qui nous ressemblent. Excellent substitut à l’envahissement fondamentaliste catholique ou protestant. Une expérience de croissance personnelle et spirituelle, gérée à chaque quinzaine par des biblistes et théologiennes bien connues dans notre milieu. Trois rencontres par année permettent à l’équipe de partager les expériences vécues, d’échanger des questionnements, de planifier les futurs ateliers…

Dans tous les cas, les intervenantes et les responsables des établissements réalisent avec émotion qu’il se passe quelque chose d’important dans ces ateliers. Les détenues ne sont pas indifférentes, loin de là. Il est question de leur remettre une attestation du nombre de cours suivis au moment où elles quittent la prison. Toutes et chacune sont touchés par la force de vie et le désir de mieux vivre qui habitent ces femmes. En voici un très bref témoignage, extrait d’un texte, Lettre à ma conscience, écrit par une femme incarcérée à Joliette :

« Toi qui n’as pas été présente à ma détresse,

Toi qui ne m’as pas guidée lorsque j’ai commis l’irréparable…

Pourquoi viens-tu m’envahir aujourd’hui ?

(…)

Ok ! comme je n’ai pas d’autres choix que de cohabiter avec toi et d’en assumer tout ce que cela comporte, j’ai décidé d’harmoniser notre relation.

Je te demande de me guider vers ce demain meilleur dont tu m’as si souvent parlé.

(…)

À partir de maintenant, nous serons toutes les deux à vouloir mon si beau cheminement. Je t’accueille avec toute ma fragilité, ma transparence et mon intégrité. Ne m’abandonne plus car j’ai besoin de toi pour Être. »

Le dernier-né : Maman me raconte. Ce projet consiste à offrir aux mères participantes l’opportunité de lire un conte à leur enfant. Les mères sont invitées à choisir pour leur enfant un livre qu’elles leur lisent en enregistrant, aidées par une bénévole, la lecture du conte sur une cassette. L’enfant participant reçoit le livre, le baladeur, des écouteurs, la cassette et les piles, ce qui lui permettra de découvrir l’histoire qui lui est destinée tout en écoutant le conte raconté par sa mère. Il reçoit aussi une fiche illustrée et colorée pour transmettre son appréciation et des câlins à sa mère. Ce programme est destiné aux enfants d’un an à 16 ans : 72 femmes et 132 enfants en 2006.

Des extraits d’un  témoignage. « Je ne savais pas à quel point je serais touchée par la générosité des élans ou des efforts d’amour de ces femmes.(…) Au moment de la rencontre virtuelle avec son enfant, ou son petit enfant, quelle que soit sa situation face à la société, quels que soient ses regrets face à ses agirs, la maman se branche sur ce qui est le plus noblement humain en elle pour donner du réconfort à l’autre en lui prouvant qu’elle l’aime, à sa manière à elle, mais qu’elle l’aime du fond de son cœur   (…) Ces moments me touchent profondément parce que je mesure le privilège d’assister à une des plus pures réalisations humaines : le don de soi à son petit. »

Mon réconfort et mon espérance

J’ai conscience que, par mon intervention, je contribue d’une certaine façon à réaliser deux rêves de femmes qui, sans se connaître, ont poursuivi des objectifs semblables. Le rêve d’Elizabeth Fry (1780-1845) en Angleterre : donner aux femmes emprisonnées la possibilité de sortir de prison mieux équipées pour affronter la vie. Le rêve d’Esther Blondin (1809-1890) au Québec : donner aux enfants privés d’instruction les connaissances nécessaires pour qu’ils deviennent des citoyens et des citoyennes capables de faire respecter leurs droits et leur dignité.

Par une importante subvention annuelle, ma Congrégation soutient financièrement ces projets que j’initie pour les femmes incarcérées depuis 1999. J’y prends goût ! Les témoignages que ces femmes me font parvenir nourrissent mon espérance… cette petite fille de rien du tout qui, selon Péguy, tire par en avant la foi et l’amour.

Ce qui advient ensuite appartient à la force de vie qui habite notre recherche d’une meilleure humanité, seul chemin de la révélation divine.