ÉGLISE UNIVERSELLE vs FÉMINISME CHRÉTIEN ?
Rita Hazel-Vasthi
Régulièrement on nous rappelle que l’Eglise catholique/ qui se proclame universelle, ne doit pas modifier « trop rapidement » la place et le rôle qu’elle accorde aux femmes à l’intérieur de son institution car il lui faut tenir compte des cultures de tous les pays.
Ainsi, à la veille du synode sur les laïques, le Président de la Conférence des évêques catholiques du Canada affirmait de nouveau : « II faut dire aussi qu’il est difficile de poser la question des femmes dans l’Église universelle car c’est une question très nord-américaine. Il n V a que de très petits groupes qui la portent en Europe, alors que ce n’est pas un enjeu perçu comme très important en Amérique latine, en Afrique et en Asie1. »
Est-il évident que la problématique soit aussi géographique ?
Rappelons quelques faits déjà connus
a) Nairobi. Afrique- La Conférence des Nations-Unies, tenue en Afrique pour a clôture de la Décennie de la Femme, en juillet 1985, a rassemblé 14 000 participantes dont la grande majorité venait des pays du Tiers-Monde. Relisons deux extraits d’un texte de Marie-Thérèse Olivier déjà parus dans L’autre Parole :2
– « On s’est rendu compte que les femmes de tous les pays vivent l’oppression et qu’elles se butent à des barrières quasi infranchissables. Même si les nationalités diffèrent les problèmes des femmes se ressemblent au plan universel. Cependant, les femmes occidentales revendiquent davantage pour elles-mêmes les droits qu’elles jugent essentiels. Les femmes du Tiers-Monde incluent leurs familles dans leurs luttes. »
Voilà pour les conditions de vie en général. Quant à ce qui concerne plus précisément les rapports avec l’Église :
« Les ateliers « Femmes et Religion » ont donné beaucoup à réfléchir. Plusieurs étaient animés par les Africaines. Une perspective féministe est en train de se construire à partir de l’expérience des femmes, dimension fort négligée, dit-on, dans l’Église du Christ et la théologie. Ces femmes veulent deux choses : pouvoir penser comme femmes avec d’autres femmes leur relation avec Dieu, et pouvoir parler de la Bible, des structures d’Église, des ministères et de l’avenir des femmes dans l’Église.
« En plus des ateliers qui traitaient de Femmes et Religion, un centre chrétien d’accueil, « Le Karibou », offrait hospitalité, activités, célébrations, information aux congressistes : c’était une initiative du Conseil Mondial des Églises. Or, il ne fut aucunement mention de ces réalités dans le rapport des Nations-Unies, Décennie des Femmes. »
Enfin, le journal Forum 85, publié quotidiennement durant ces assises, a rapporté de nombreux faits, analyses et prises de position sur les relations femmes-Eglise.
b) Oaxtepec. Mexique – Conférence intercontinentale de théologiennes du Tiers-Monde. En décembre 1986, vingt-six déléguées en provenance de dix-sept pays d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine, ont partagé des études préalablement élaborées dans leur propre pays puis au niveau de leur continent respectif, sur « l’élaboration d’une théologie à partir de l’expérience des femmes du Tiers-Monde ». (Le précédent numéro de L’autre Parole en énumérait les objectifs en p. 33.)
c) Asie – In God’s Image. Cette revue, publiée à Singapour par la Christian Conférence ofAsiç diffuse une réflexion théologique et féministe en évolution dans plusieurs pays d’Asie. On y trouve analyses, compte-rendus d’études et de rencontres, poésie d’inspiration religieuse, d’origines fort éloignées de l’Amérique du Nord ( !) : Australie, Corée, Inde, Japon, Malaisie, Pakistan, etc.
d) Amérique latine – La bibliste Eisa Tamez3 nous rappelle que les femmes « se dévouent avec grande abnégation dans la lutte pour la libération que vivent les peuples latino-américains », que ce soit au Guatemala, au Salvador, au Honduras, au Chili, en Argentine, au Brésil… Mais, « à l’intérieur même de leur groupe de lutte, elles se sentent marginalisées par rapport à leurs compagnons masculins : dans les décisions, les fonctions à remplir, etc. C’est pour cela que nous, femmes latino-américaines conscientes, nous croyons que, dans le processus de recherche d’une société nouvelle, on ne peut négliger ce point de vue et continuer à traîner cette tare des sociétés qui consiste à sous-estimer des êtres humains pour des raisons de race, de sexe ou d’ethnie. »
Elle a donc entrepris une re-lecture de la Bible, comme cet autre bibliste du Brésil qu’elle nous cite, Carlos Mesters, en vue de recourir « à ce procédé littéraire très fréquent dans la Bible » qui donne « à ces textes anciens un sens nouveau*. Elle reconnaît toutefois qu’il « apparaît plus facile de relire la Bible à partir d’une perspective latino- américaine et tiers-mondiste qu’à partir du point de vue de la femme » !
e) Pays-Bas – Le Conseil catholique pour l’Église et la Société (K.R.K.S.), « instance officielle chargée de conseiller la Conférence épiscopale néerlandaise sur la place et la responsabilité de l’Église catholique dans une société moderne », a entrepris une réflexion sur les rapports entre les femmes et l’Église catholique. Formé de vingt membres permanents et de huit commissions spécialisées, le K.R.K.S. a appuyé son enquête sur un « sondage réalisé par un bureau d’étude socio-scientifique qui a interrogé 1 691 catholiques néerlandaises, dans toutes les tranches d’âges, et dans toutes les catégories socio-professionnelles, sur leur relation avec L’Église. »
Bien que près du tiers d’entre elles (32 %) se déclarent le plus impliquées au niveau de leur paroisse, 47 % « ne se sentent pas concernées par les dits et les écrits du Vatican au sujet des femmes et 20 % les ressentent douloureusement Beaucoup ne se reconnaissent pas dans « leurs » évêques ». L’ensemble des statistiques recueillies révèle un tel fossé entre l’Église et ces croyantes « qui s’y sentent de plus en plus étrangères » que le président du K.R.K.S. a dit « à l’adresse de la hiérarchie : « Aucune entreprise multinationale ne pourrait ignorer de tels résultats sans être sanctionnée ». « Appelant de ses voeux un dialogue approfondi entre les dirigeants de l’Eglise et les femmes, le K.R.K.S. fait par ailleurs un certain nombre de recommandations pour une nouvelle politique pastorale à ce sujet.’1 Ces dernières comprennent entre autres, « une lettre épiscopale consacrée à l’égalité de l’homme et de la femme’4.
II existe donc sur tous les continents un mouvement qui parvient plus ou moins bien à se faire entendre ; une façon de s’attaquer à la « question des femmes dans l’Église » qui peut différer de la nôtre, sans qu’elle en devienne moins « importante*… moins importante de quelle façon ? en nombre ? en progrès ? en modes d’expression ? Les pays du Tiers-Monde ne disposent pas des mêmes moyens de communication, des même avantages économiques et technologiques que l’Amérique du Nord. Comment évaluer ? Il serait intéressant d’identifier les causes de cette attitude générale : peut-être les Nord-Américaines ont-elles mieux réussi à sensibiliser les épiscopats, ce qui donne à nos évêques l’impression (et à nous l’illusion…) d’être plus avancé-e-s ?
Les dangers
En réduisant le féminisme chrétien à « une question très nord-américaine », on renforce l’opinion selon laquelle la cause des femmes est une préoccupation secondaire, alors qu’il s’agit de la justice la plus élémentaire et de la crédibilité de l’Église.
L’inclusion du sujet dans le domaine de notre culture fournit un motif rationnel pour en freiner le processus. Car deux autres messages ne se glissent-ils pas subrepticement sous ce discours ?
1. Les êtres qui vivent plus près de la nature, dans la pureté d’un mode de vie simple, non atteint par là dégradation d’une société de consommation sophistiquée, trouveraient normale la hiérarchisation hommes/femmes…
2. Les humains aux prises avec des problèmes de survie (famine, maladies, analphabétisation, etc.) sauraient, eux, quelles sont les questions primordiales… Nos prétentions à l’égalité deviennent alors des passe-temps pour femmes dont la vie est facile…
Or !’égalité des êtres humains est un principe évangélique fondamental qui constitue une clef pour dénouer toutes les situations d’oppression, d’injustice et de violence.
L’église universelle
Jusqu’à quel point l’Église peut-elle mettre ses principes en sourdine pour sauvegarder son universalité ?
Si l’esclavage régnait encore dans plusieurs pays, elle n’en conserverait sans cloute pas dans ses propres institutions ?
Si l’apartheid…
Mais l’image d’une séance synodale ne nous renvoie-t-elle pas une certaine évocation d’apartheid ?… grand rassemblement d’hommes en habit religieux qui discutent entre eux de la condition des laïques/ femmes et hommes ?
Dans l’entrevue de Vie Ouvrière citée plus haut Mgr Hubert mentionne « qu’il faudrait s’interroger » pour savoir « comment l’Église, comme communauté, peut devenir un modèle pour le monde »…
Si « tous les chemins mènent à Rome », il faudrait bien aussi qu’ils permettent d’en revenir…
1 R. Levac et R. Poirier, « Les évêques canadiens et les enjeux sociaux », Vie Ouvrière, Montréal, no 204, sept.-cet. 1987, p. 27.
2 « Les femmes du Tiers-Monde et les féministes d’Occident », L’autre Parole, no 34, juin 1987, p. 19-22.
3 Elsa Tamez, Bible des opprimés, Paris, Bible & Vie chrétienne, P. Lethielleux, 1984 ; cité ; longuement dans l’autre Parole, no 34, p. 25-28.
4 C.K. « Pays-Bas, une enquête sur les femmes et l’Église », L’actualité religieuse dans le monde, no 47, juillet-août 1987, p. 12.