En un jardin sororal

En un jardin sororal

Métis la « rassembleuse » reçoit en ses jardins L’autre Parole fêtant ses fondatrices. Les fleurs dans les plates-bandes et les femmes-fleurs dans les allées communiaient dans une expérience esthétique et sensuelle . Nous sommes sorties de là pacifiées et le sourire aux lèvres, baignant dans une douce sororité. Mais cette sororité, facile pour les fleurs, ne l’est pas toujours pour nous. Les fleurs sont fidèles à leur espèce, cette simplicité est dans leur nature. Mais il en va tout autrement pour les femmes-fleurs. Nous sommes à la fois et tour à tour tendres pâquerettes, douces violettes, pavots énamourées, fières tournesols assoiffées de lumière, narcisses éperdues, noyées dans leurs propres talents ; oui, les femmes sont tout cela et plus encore, et c’est compliqué à vivre, cela ne facilite pas toujours le lien sororal.

Les fleurs acquiescent à leur multiplicité de couleurs, de formes et de parfums mais les femmes-fleurs ont de la difficulté à s’accepter et à accepter les autres dans leurs divers modes de féminité et leurs différentes façons d’être féministes. Aussi, il nous faut trouver des moyens simples pour reconstruire le lien sororal chaque fois qu’il est brisé. Cela me
rappelle mon arrière-grand-mère, une fleur merveilleuse. Elle s’appelait Flora. Quand deux petites filles se disputaient et que je voulais prendre parti, elle disait : « Dans une dispute, il ne faut pas ajouter, il faut retrancher. Si tu prends le parti de ton amie, cela ne fait plus deux petites filles qui se disputent mais trois. Par contre, si tu t’en vas, elle va prendre fin, on ne peut pas se disputer toute seule. » Sage maman Flora ! Que de fois
j’ai vu des disputes devenir conflits, se compliquer, s’institutionnaliser, se régionaliser, parce que, l’une après l’autre, des personnes s’y ajoutaient jusqu’à former des clans.

Tout enivrées des parfums de Métis, nous avons continué la fête de la mémoire. L’après-midi a été consacré à la présentation des nombreux groupes, nés de l’intuition de ces femmes visionnaires. Cela a culminé dans la célébration, partage du pain et du vin symbolisant le corps et le sang des femmes, répandu de tant de façons. Après le souper des présentations de chacune des fondatrices par celles qui les connaissaient bien nous ont fait vivre des moments intenses et émouvants, allégés par l’humour toujours présent de l’animatrice. L’Oratorio de Marie-Madeleine, dans une église si belle, a clôturé cette journée enchantée. Dans ce cadre, le chant et la gestuelle de cet Oratorio nous conduisaient à la fine pointe de notre esprit et de nos sens . Mais c’est le lendemain, à travers les paroles, le regard, les mains de cette femme qui parlait en face de moi lors de l’assemblée générale, que l’Oratorio a retenti. Cette femme travaillait avec des prostituées dans un CLSC de Montréal. Elle imaginait l’émotion de ces femmes blessées dans l’intimité de leur chair, écoutant l’invitation à l’amour pur, renouvelé, dans un monde différent, chanté par le couple de Jésus et Marie de Magdala. C’était, dans un raccourci saisissant, relier ensemble, à ne plus pouvoir les séparer, toute la beauté de l’univers à toute la misère du monde . Elle plongeait les mains dans le malheur du monde pour le transfigurer. C’était encore une fois résurrection. En la regardant, je ne pouvais pas m’empêcher de me demander : « Mais qui sommes-nous pour être habitées par de telles paroles ? » Je l’écoutais et de plus en plus j’entendais comme le choeur de ces femmes reprenant l’Oratorio .

J’aimerais avoir la touche magique de Métis pour recréer, sur les visages, cette douceur et cette allégresse qui donnent envie de danser. N’est-ce pas
surtout cela la sororité ?

Colette Pasquis, Marie Guyart