ENSEMBLE D’UNE SEULE VOIX : LA MEILLEURE VOIE

ENSEMBLE D’UNE SEULE  VOIX : LA MEILLEURE VOIE

A l’émission Forum du 5 janvier dernier, on apprenait, de l’aveu même du vice-président de l’Association des parents catholiques, que la pièce. Les fées ont soif avait servi de prétexte au déclenchement d’une action depuis longtemps concoctée, souhaitée et jugée nécessaire à la sauvegarde de la foi et des moeurs dans la belle Province. Une fraction relativement importante de la population était depuis longtemps impatiente de passer à l’action.

Ces gens estiment en effet que la liberté engendrée par le pluralisme dans notre société a pris une envergure intolérable et qu’il est grand temps d’y mettre un frein.

Le porte-parole des censeurs de la pièce à l’émission Forum l’a qualifiée de « goutte qui a fait déborder le verre ».

Cet aveu est plein d’enseignements. En effet, la pièce mise en procès soutient, avec des procédés qu’on a le droit de juger discutables, la cause féministe.

On peut, je crois, sans tomber dans la paranoïa, penser que cette guerre ouverte, déclenchée par l’injonction qui interdit la diffusion de l’oeuvre écrite, a soigneusement choisi sa proie.

Les revendications féminines ont en effet la vertu particulière de faire plus facilement que bien d’autres, au moins aussi virulentes, « déborder le verre ». De la même façon que les incartades féminines réelles ou imaginaires ont toujours eu le don de déchaîner des foudres particulièrement dévastatrices.

Il m’a toujours, par exemple, paru étonnant que les femmes ayant eu si peu de place dans la réflexion théologique, aient trouvé le tour de mourir en si grand nombre sur les bûchers de l’Inquisition sous l’accusation d’hérésie ou de sorcellerie. N’étaient-elles pas pourtant de simples fidèles à qui on refusait tout pouvoir ? Qu’avait-on à craindre d’elles ? Quand les femmes obéissent et se taisent dans l’Eglise, on les ignore et les oublie. Quand elles ouvrent la bouche, le torchon brûle ••• Comment pouvait-on à la fois-leur refuser la capacité et le droit de penser et juger leur influence si redoutable ? Comment des êtres présument si faibles physiquement, intellectuellement pouvaient-ils nécessiter une répression aussi rigoureuse ? Il est vrai qu’on les jugeait en même temps plus radicalement perverties. « Filles d’Eve », c’était tout dire.

Mais enfin, nous n’en sommes pas en ce bas monde à un paradoxe près ! Et de toutes nos histoires de répression, de toutes nos aventures avortées de libération et d’épanouissement, la seule chose intelligente à  faire est probablement d’en tirer la leçon qui s’impose au niveau des stratégies d’action.

Les fées ont soif c’est un cri, un hurlement qui a, la chose est difficilement contestable, le défaut d’être par moments vulgaire. On a toujours un peu à perdre en ne réclamant pas son droit poliment. En effet on fournit de la sorte des armes trop bien fourbies aux apprentis-censeurs.

D’autre part chuchoter son message discrètement, poliment, plaider sa cause dans un murmure timide c’est un moyen certain de n’être pas entendue. A moins ••• A moins qu’on soit cent, mille, un million, la moitié du monde à chuchoter de concert le même appel, la même revendication, la même espérance.

Alors quand s’élève la rumeur d’un, de dix, de cent millions de chuchotements, elle acquiert la force d’un cri impossible à faire taire puisque loin d’être un appel isolé, le murmure est, par la force de la solidarité, la volonté exprimée et plus facilement victorieuse d’une foule en marche vers un- avenir meilleur.

Dans cet avenir-là, chacune et chacun pourrait espérer aller au bout de soi-même.

Sherbrooke  Marie Gratton-Boucher