ENTRE LE FLEUVE ET L’INFINI

ENTRE LE FLEUVE ET L’INFINI

Andrée Pilon Quiviger, Ed. Bellarmin-Cerf, Montréal, 1988.

Un essai sur la vie monastique féminine écrit par une femme. Deux forces qui ont joué d’attraction en faveur d’une lecture méditée de ce volume. J’ai donc lu ce dernier avec ma paire de lunettes, bien sûr : femme et religieuse, de vie active cependant, habituée à côtoyer les incompréhensions et les préjugés des gens qui très souvent jaugent ce style de vie de l’extérieur.

Une compréhension très incarnée des éléments fondamentaux de la vie religieuse ont retenu davantage mon attention. C’est sur ces dimensions particulières que j’attire votre réflexion.

L’éclairage particulier qu’offre cette analyse lui vient de ses sources. Cette oeuvre a été écrite à partir de recherches, de contacts, mais surtout à partir d’expériences vécues à l’intérieur du monastère et des confidences faites à l’auteure parles moniales elles-mêmes. De description en description, de témoignage en témoignage, dans une écriture à la fois poétique, limpide, simple et concrète, l’auteure nous donne de comprendre que le choix de la vie religieuse, monastique en l’occurrence, ne peut constituer une fuite… La pratique quotidienne de la vie religieuse colle chacune à la claire conscience de sa condition humaine faite de limites et décroissance. Entrer dans la vie religieuse, c’est accueillir au jour le jour « la bonne nouvelle de l’impossible perfection » (p. 103).

A propos de l’ascèse, l’auteure réussit à débusquer les images anciennes (fouet, cilice, jeûne, privations, etc.) pour faire comprendre que l’ascèse fait partie de la vie ordinaire du monastère : elle taquine ou lancine, selon les jours, ou dans les stalles même du choeur durant le chant choral, ou le long des couloirs, ou dans les divers ateliers de travail, ou à l’heure des repas, toujours et chaque jour dans le côtoiement continuel des mêmes quarante personnes.

Sans ennuyer d’aucune façon, le récit fait bien voir les fonctions différentes de la prière, selon qu’il s’agit du chant des Heures, de l’Eucharistie ou de l’oraison personnelle. Rythmes qui ponctuent le travail et qui prennent la couleur de chaque personne, de ses besoins, de son cheminement spirituel, et qui, de façon différente et mystérieusement réelle, permettent à ces femmes en amour de se mettre au guet et à l’écoute des rumeurs de la Présence amoureuse.

Dans le contexte du renouveau, la pauvreté monastique convoque, non pas à la mendicité, mais à la nécessité de gagner sa vie et de partager ses surplus, si minces soient-ils, dans le sens de la justice sociale. Loin d’être vécue de façon uniforme, elle admet, même au monastère, la diversité des positions et s’y maintenir est rendu possible par le questionnement continuel (p.73).

L’obéissance telle que vécue par les moniales évacue le spectre de l’aliénation. Elle cherche plutôt à garantir la conscience, l’initiative et l’autonomie qui, balisées par la Règle, permettent de mieux se consacrer à la recherche absolue de Dieu (p.75)

Quant à la chasteté, l’auteure, dans une écriture pleine de tendresse, rapproche l’expérience des moniales de l’expérience affective indispensable à toute personne et elle loge « dans la même déchirure l’amante, la mère et la moniale : aux confins de la lumière et de la ténèbre » (p. 150). En même temps, elle n’évite point de souligner les pièges de l’affectivité, qui, eux non plus, ne sont pas si étrangers aux limites et aux ambiguïtés des humaines amours. Les risques de la possessivité, de la régression, de la dépendance, de la maternitude sont traversés par la recherche d’équilibre, les exigences de la clarification, l’habitude de la vigilance pratiquées dans un rapport communautaire chaleureux et transparent (p. 139 et ss). Comme dans la vie de couple et de famille, la vie affective des moniales est soumise à l’apprentissage de la mutualité. L’harmonie de la vie communautaire n’est pas plus donnée avec le voile qu’elle n’est assurée dans un couple avec les promesses de l’engagement ou la naissance d’un enfant : elle est le fruit de l’amour qui mûrit aux saisons des écarts, des pardons et des recommencements (p. 95 et ss).

Ce livre nous parle donc de tout autre chose que du « dogmatisme (qui) rassure la pharisaïque bonne conscience » (p. 155). Ce livre nous parle, au contraire, de « la foi (qui, vécue) à la manière du Fils de l’Homme, expose au risque de la liberté »(p. 156). A travers les expériences de vie monastique partagées par ces moniales de Berthierville, nous finissons par apprendre que, pour elles aussi, « c’est la limite qui fonde l’humanité » (p. 146).

J’ai conscience, en terminant, d’avoir seulement soulevé le voile sur des pages d’une richesse à la fois littéraire et spirituelle exceptionnelle.

Régalez-vous donc d’une vraie lecture spirituelle pleine de poésie…Laissez-vous gagner par la curiosité d’en savoir plus…Chacune sera étonnée de découvrir, à travers ces femmes et leur vie au monastère, jusqu’à quel point et combien sérieusement

NOUS SOMMES SOEURS PAR LE FOND.

RéJeanne Martin – Vasthi