ÉTHIQUE ET CULTURE RELIGIEUSE

ÉTHIQUE ET CULTURE RELIGIEUSE

Marie-Andrée Roy, Vasthi

Le programme d’éthique et culture religieuse (ECR) a été implanté simultanément à tous les cycles du primaire et du secondaire, dans toutes les écoles du Québec, en septembre 2008.  Il s’agit là d’une expérience inédite qui a mobilisé et mobilise toujours une foule d’acteurs du milieu scolaire. Qu’est-ce qui a amené ce passage d’un enseignement moral et religieux confessionnel à un enseignement en éthique et culture religieuse complètement laïque ? Quelles sont les visées de ce nouveau programme et qu’est-ce qu’on entend par éthique et culture religieuse ? Dans les lignes qui suivent, je vais m’appliquer à répondre à ces questions.

 Pourquoi ce passage à un enseignement en éthique et culture religieuse ?

Depuis 1867, l’article 93 de l’Acte de l’Amérique du Nord Britannique garantissait au Québec des écoles catholiques pour la population catholique et des écoles protestantes pour la population protestante. On comprendra que la très grande majorité des écoles catholiques s’adressaient à des élèves francophones et que la très grande majorité des écoles protestantes recevaient des élèves anglophones. Notre système scolaire était intégralement confessionnel : des commissions scolaires confessionnelles, des écoles en pratique confessionnelles et un enseignement religieux on ne peut plus confessionnel.  L’école et la paroisse travaillaient main dans la main pour assurer la christianisation des enfants. Cet arrangement a globalement fait l’affaire pendant environ un siècle, même s’il impliquait une négation des droits des minorités religieuses autres que catholiques ou protestantes. Par exemple, pendant longtemps, les Juifs ont été déclarés « protestants pour fins scolaires ». Telle était la loi !  Nous ne voulions pas de Juifs dans nos écoles catholiques ; ils sont donc allés dans des écoles protestantes… anglophones. Ce faisant, nous avons simultanément favorisé l’anglicisation de la communauté juive…

Puis ce système a commencé à se lézarder. Avec la fin des années 60, nous avons connu un vaste mouvement de sécularisation de la société québécoise  (baisse de la pratique religieuse et de l’influence du clergé, laïcisation d’un nombre significatif de prêtres et de membres d’ordres religieux, affirmation du rôle de l’État dans des champs traditionnellement investis par l’Église : enseignement, santé et services sociaux). Le Québec connaît également, à compter des années 70, une montée progressive de l’émigration originaire de pays non chrétiens. De plus en plus de personnes ne cadrent pas avec notre système scolaire confessionnel qui implique un enseignement religieux confessionnel obligatoire : des Québécois et Québécoises dits « de souche » n’acceptent plus que leurs enfants reçoivent cet enseignement religieux confessionnel, des enseignantes et des enseignants refusent de dispenser cet enseignement qui fait obligatoirement partie de leurs tâches, et des immigrantes et immigrants de diverses traditions religieuses ne veulent pas que leurs enfants soient « christianisés » par l’école. C’est dans ce contexte que naît en 1967 un cours de remplacement pour les élèves exemptés de l’enseignement religieux puis, en 1977, un véritable Programme de formation morale pour les élèves exemptés de l’enseignement religieux voit le jour.  Ce programme constitue un progrès pour le respect des droits des personnes mais ne règle pas tous les problèmes : les élèves exemptés doivent sortir de la classe pendant le cours de religion confessionnel et suivre « à part » le cours de formation morale ; des enseignantes et des enseignants, au nom de leur droit à la liberté de conscience, demandent aussi l’exemption mais cela a un effet sur leur tâche, etc.

En 1975, le Québec adopte la Charte des droits et libertés de la personne et en 1982, le Canada se donne la Charte canadienne des droits et libertés. Ces chartes, qui garantissent la liberté de conscience, le droit à l’égalité des personnes, le droit d’avoir ou de ne pas avoir de religion, etc., traduisent à la fois une évolution profonde des mentalités et contribuent simultanément à faire évoluer l’opinion publique vers un plus grand respect des droits des personnes, notamment en ce qui a trait au droit à la liberté de conscience et de religion. Dans ce sillage, on se questionne de plus en plus sur le caractère confessionnel du système scolaire. Il faut attendre 1997 pour que Québec obtienne d’Ottawa l’amendement de l’article 93 de la Constitution canadienne mettant ainsi fin aux garanties des commissions scolaires confessionnelles. En 1998, le gouvernement du Québec adopte une loi par laquelle les commissions scolaires catholiques ou protestantes deviennent des commissions scolaires linguistiques. En 2000,  la loi 118 abolit les Comités catholique et protestant et crée le Comité sur les affaires religieuses, elle met fin au statut confessionnel des écoles publiques et remplace le service confessionnel d’animation pastorale par un Service commun d’animation spirituelle et d’engagement communautaire. Mais la révolution n’est pas finie !

L’enseignement religieux catholique et protestant dispensé dans les écoles publiques contrevient aux dispositions de la Charte canadienne des droits et libertés. Depuis1982, la Loi sur l’Instruction publique (LIP) doit faire appel à des clauses dérogatoires pour que l’enseignement religieux confessionnel (catholique et protestant) soit soustrait de l’application des articles des Chartes canadienne et québécoise des droits et libertés qui sont visés par ces clauses. Cette dérogation fait l’objet d’un renouvellement à tous les 5 ans. Le gouvernement du Québec est de plus en plus mal à l’aise à faire adopter ces clauses dérogatoires qui accordent aux catholiques et aux protestants des droits particuliers auxquels n’ont pas accès les autres groupes religieux. En 2005, par l’adoption du projet de loi 95, les clauses dérogatoires sont reconduites pour une dernière fois, étant entendu qu’à compter de septembre 2008 il n’y aura plus d’enseignement moral et religieux confessionnel et de formation morale en option mais qu’il y aura à la place, dans toutes les écoles du Québec, un enseignement en éthique et culture religieuse pour tous.

Quelques groupes marginaux s’accrochent et contestent ces changements. Toutefois, la plupart des communautés chrétiennes ont saisi cette occasion pour reprendre en main la formation religieuse et assurer la transmission de la foi aux enfants. Dans une société où la foi catholique ne fait plus l’unanimité, il devenait de plus en plus difficile d’imposer aux enseignantes et aux enseignants payés par l’État, la tâche d’assurer la formation chrétienne des enfants. D’ailleurs, cette formation obligatoire souffrait de plus en plus de carences majeures ; on le constate aisément quand on interroge les jeunes adultes d’aujourd’hui qui ont suivi 11-12 ans d’enseignement religieux catholique. Dans bien des cas, leur connaissance de la tradition chrétienne laisse vraiment à désirer… Donc, le fait que les communautés catholiques et protestantes deviennent responsables de la formation de leurs membres constitue certainement une bonne chose pour ces communautés elles-mêmes et permet de préserver dans notre société une laïcité ouverte respectueuse du droit à l’égalité de toutes les personnes.

Quelles sont les visées du programme Éthique et culture religieuse ?

Qu’est-ce qu’on entend par éthique et culture religieuse ?

Depuis septembre 2008, il se donne dans toutes les écoles publiques et privées du Québec une formation commune et obligatoire en éthique et culture religieuse. Cette formation commune poursuit deux finalités : la reconnaissance de l’autre et la poursuite du bien commun. Elle vise pour tous les élèves l’atteinte de trois compétences : qu’ils soient aptes à réfléchir sur des questions éthiques, à manifester une compréhension du phénomène religieux et à pratiquer le dialogue. Précisons maintenant ce qui est entendu par ces deux finalités et ces trois compétences.

Le fait qu’il y ait un seul programme obligatoire pour tous indique bien que l’État considère l’éthique et la culture religieuse comme des champs de formation essentiels pour les élèves, ces futurs citoyens et citoyennes de demain.  En ces temps de diversité croissante des populations et des valeurs, il importe que se développe une culture publique commune qui favorise le vivre-ensemble. Examinons les deux finalités de cet enseignement : la reconnaissance de l’autre et la poursuite du bien commun. Pour qu’on puisse parler de reconnaissance de l’autre, il faut évidemment se reconnaître soi-même comme personne à part entière.  Sans reconnaissance de soi, on peut difficilement reconnaître l’autre.  La reconnaissance de l’autre met en relief l’idée que « toutes les personnes sont égales en valeur et en dignité »1 et ont besoin d’être reconnues dans leur vision du monde. « Cette reconnaissance rend possible l’expression de valeurs et de convictions personnelles.  Elle s’actualise dans un dialogue empreint d’écoute et de discernement, qui n’admet ni atteinte à la dignité de la personne ni actions pouvant compromettre le bien commun.  Ce faisant, elle contribue à la construction d’une culture commune publique qui tient compte de la diversité »2. La poursuite du bien commun est comprise à la fois comme le mieux-être de la collectivité et celui des personnes. Elle fait appel à une « recherche de valeurs communes avec les autres ; la valorisation de projets qui favorisent le vivre-ensemble ; et la promotion des principes et des idéaux démocratiques de la société québécoise »3.  On le voit, ces deux finalités sont solidairement orientées vers la formation de citoyens et de citoyennes responsables, capables de vivre avec les autres et qui sont aptes à contribuer activement au bien commun.

Examinons maintenant les trois compétences que le programme entend développer chez les élèves : réfléchir sur des questions éthiques ; manifester une compréhension du phénomène religieux ; pratiquer le dialogue.

Réfléchir sur des questions éthiques.

Avec l’ancien programme, les élèves suivaient un enseignement moral (confessionnel pour les élèves du cours d’enseignement religieux catholique ou protestant, et laïque pour les élèves exemptés). Aujourd’hui, les élèves font tous de l’éthique. Qu’est-ce que cela veut dire ? Le programme nous dit : « L’éthique consiste en une réflexion critique sur la signification des conduites ainsi que sur les valeurs et les normes que se donnent les membres d’une société ou d’un groupe pour guider et réguler leurs action »4.  En pratique cela veut dire que les élèves, au fil des ans, vont progressivement apprendre à  : 1) analyser différentes situations d’un point de vue éthique (décrire des situations, les mettre en contexte,  les comparer, voir différents points de vue, etc.) ; 2) examiner une diversité de repères d’ordre culturel, moral, religieux, scientifique ou social pour étudier ces situations ; 3) évaluer des options ou des actions possibles ( proposer différentes options, examiner les effets de ces options sur soi et les autres, identifier les options qui favorisent le vivre-ensemble, faire un retour sur comment on parvient à faire des choix).  Les élèves au primaire vont se pencher sur différentes questions :  ils vont réfléchir sur les besoins des êtres humains et des autres êtres vivants ; ils vont prendre conscience de l’interdépendance des humains et des exigences de la vie en groupe ; ils vont réfléchir sur les défis que posent les relations interpersonnelles et la vie en société. Les élèves au secondaire vont aborder des thématiques comme : la liberté, l’autonomie, l’ordre social, la tolérance, l’avenir de l’humanité, la justice, l’ambivalence de l’être humain. La pratique du dialogue (3ème compétence) en regard des questions éthiques implique que l’on développe chez les élèves des aptitudes « leur permettant de penser et d’agir de façon responsable par rapport à eux-mêmes et à autrui, tout en tenant comptant de l’effet de leurs actions sur le vivre-ensemble »5.

Manifester une compréhension du phénomène religieux.

Cette compétence introduit une rupture significative avec les pratiques antérieures en enseignement religieux confessionnel. Il ne s’agit plus d’assurer la formation religieuse de jeunes chrétiens ou d’accompagner leur quête spirituelle. Le cours de culture religieuse vise à développer une connaissance et une compréhension des différents éléments constitutifs des religions, tels qu’ils s’expriment dans notre culture, dans notre société. Les élèves sont progressivement mis en contact avec diverses expressions du religieux, je pense ici à des rites, des symboles, des récits, des croyances qui se déploient dans leur environnement, dans la société et dans le monde et ils apprennent à les connaître et à les comprendre comme des faits de culture. C’est ainsi que les élèves vont, au fil des ans, 1) explorer et analyser de multiples expressions du religieux : ils vont apprendre à les décrire, les mettre en contexte, à rechercher leur signification et à les situer par rapport à différentes traditions ; 2) situer ces expressions du religieux dans leur environnement culturel et social et reconnaître leur signification dans la vie des personnes et des groupes ; 3) s’intéresser à différentes façons d’agir, de penser au sein des traditions. Les élèves du primaire vont découvrir des fêtes, des rituels vécus dans l’espace familial et dans des communautés. Ils vont apprendre à connaître les principaux récits et les grands personnages qui ont marqué les traditions religieuses.  Ils vont repérer les valeurs, les normes, les prescriptions alimentaires et vestimentaires mises de l’avant par ces traditions.  Les élèves du secondaire vont se familiariser avec le patrimoine religieux québécois, étudier les récits, les rites et les règles des principales traditions religieuses, explorer les multiples représentations du divin, s’intéresser à différents types d’expériences religieuses et à leurs transformations dans le temps. Les questions reliées au sens de la vie et de la mort et à l’expression du religieux à travers les œuvres d’art retiendront également l’attention. Comment s’actualise la compétence « pratique du dialogue  » avec la culture religieuse ? « On cherche à développer chez les élèves un esprit d’ouverture et de discernement par rapport au phénomène religieux et à leur permettre d’acquérir la capacité d’agir et d’évoluer avec intelligence et maturité dans une société marquée par la diversité des croyances »6 .  Tout un défi !

Quelques précisions utiles

Le volet culture religieuse du programme ECR est appelé à faire une place prépondérante à la tradition chrétienne (catholicisme et protestantisme) parce que celle-ci a marqué et continue de marquer significativement l’histoire, la culture et les institutions québécoises. La tradition juive et les spiritualités amérindiennes reçoivent aussi une attention liée à leur importance dans notre histoire.  Puis viennent les autres traditions religieuses (islam, bouddhisme, hindouisme, etc.) qui ont connu une inscription plus récente dans la culture et la société québécoises. Il s’agit là d’une exigence qui comporte un important défi pour les enseignantes et enseignants en exercice.

Autre défi. Le personnel enseignant en éthique et culture religieuse est appelé à adopter une posture professionnelle nouvelle, qui diffère de celle adoptée dans le cadre d’un enseignement religieux confessionnel. En effet, puisqu’il intervient dans un contexte d’école laïque où se croisent des élèves ayant diverses options et croyances, « un devoir supplémentaire de réserve et de respect s’impose au personnel enseignant qui ne doit pas faire valoir ses croyances ni ses points de vue » mais doit plutôt faire « la promotion de valeurs telles que l’ouverture à la diversité, le respect des convictions, la reconnaissance de soi et des autres, et la recherche du bien commun »7. Voilà une posture passablement exigeante pour le personnel enseignant.

La mise en place de ce nouveau programme a été effectuée en un temps record. S’il est généralement bien accueilli, le nouveau programme demande néanmoins un effort concerté de tous les intervenants et intervenantes du milieu scolaire.

 1. Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport,   Éthique et culture religieuse, Programme du premier cycle et du deuxième cycle du secondaire, 2007, p. 2.
2. Idem, p. 2.
3. Idem, p. 2.
4. Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport, Éthique et culture religieuse, Programme du primaire, 2007, p.   279.
5. Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport, Éthique et culture religieuse, Programme du secondaire, 2007, p. 1
6. Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport, Éthique et culture religieuse, Programme du secondaire, 2007, p. 2
7. Idem, préambule.