Hommage à Yvette Laprise

Hommage à Yvette Laprise

Marie Gratton

C’était en novembre 1988, le 27, si ma mémoire est fidèle.

Notre groupe, qui devait s’appeler Myriam, n’avait pas encore de nom, mais déjà les éléments saluaient sa naissance. Pour la première fois, Louise Melançon, Linda Simoneau et Marie Gratton de Sherbrooke recevaient Yvette Laprise et Rita Hazel, des amies de Montréal, pour une première rencontre au sein de L’autre Parole. Toutes nous avions le cœur à la fête, car pour quelques-unes d’entre nous il s’agissait de retrouvailles depuis longtemps espérées, pour d’autres, c’était l’occasion de faire connaissance et d’élargir le cercle de nos solidarités.

Alors que nous étions attablées pour le repas du soir, les ustensiles se sont mis à cliqueter dans les assiettes, le vin s’est agité dans nos verres, la flamme des bougies a vacillé… Nous n’étions pas victimes d’une hallucination collective, aucune langue de feu n’est venue se poser sur nos têtes, mais les sismologues vous le confirmeront, le Québec, ce soir-là, a bel et bien été frappé par un tremblement de terre ! Nous y avons vu les prémices d’une vibrante vitalité future.

Pendant quelques années, nous nous sommes accueillies les unes les autres, tantôt à Montréal, tantôt à Sherbrooke. À vrai dire, ce sont les Montréalaises qui le plus souvent ont emprunté l’autoroute pour favoriser nos rencontres. Mais avec le temps et, notamment, à cause de la venue de sérieux ennuis de santé chez notre regrettée Marie-Thérèse Roy-Olivier qui très vite s’était jointe à nous, la distance a pris de l’importance, au point qu’il a fallu, à regret, songer à scinder l’équipe pour former deux groupes distincts. La géographie a ses raisons qui contrarient souvent le cœur. Je ne vous l’apprends pas. Alors que les membres de Montréal en recrutant d’autres alliées ont pris le nom de Phoebé, le cercle de Sherbrooke, qui s’est lui aussi enrichi de nouvelles personnes, a conservé celui de Myriam.

On sait la précieuse contribution que chacune de nos amies montréalaises a apportée à notre groupe comme à notre collective. Mais permettez-moi de m’en tenir ici à ce qui doit rester aujourd’hui l’essentiel de mon propos : rendre un hommage si hautement mérité, et sans doute trop longtemps retardé, “ à la très bonne, à la très chère ” Yvette Laprise qui, pour transposer les mots de Baudelaire, si souvent “ remplit notre cœur de clarté ”. Et notre esprit aussi pour faire bonne mesure.

Le 29 septembre prochain, Yvette célèbrera un important anniversaire. Elle aura, m’a-t-on dit, quatre fois vingt ans. L’eusses-tu cru ? comme disait l’autre, en la voyant partout présente, vive d’esprit, jeune de cœur, jamais repliée sur le passé, l’œil pétillant tourné vers l’avenir.

Yvette, sa solide carrure nous l’annonce au premier coup d’œil, c’est un pilier. Et nous avons été nombreuses à nous appuyer sur elle, pour solliciter un conseil, réclamer un service, que dis-je ! une infinité de services, avec d’autant moins de retenue d’ailleurs que nous ne doutions pas de la voir y consentir sans jamais se faire prier, ou encore pour chercher les encouragements dont elle sait, quand il le faut, être prodigue. Mais, comme c’est aussi une femme exigeante à son propre égard et qui espère trouver chez les autres la même rigueur dans l’accomplissement des tâches confiées, on sait que ses éloges ne doivent rien à la flagornerie ni ses critiques à la mesquinerie.

Certaines Yvettes sont passées à l’histoire pour avoir dit “ non ” ; la nôtre nous est et nous restera précieuse pour avoir dit “ oui ” aux causes et aux tâches qui visent la justice avec les armes de la solidarité.

Vous souhaiteriez peut-être que je vous dise combien de temps elle a assuré la charge d’agente des relations publiques pour L’autre Parole, je l’ai oublié, mais elle doit bien le savoir ! Combien d’années a-t-elle assumé le rôle un peu ingrat de trésorière ? Enfer et damnation ! je l’ai aussi oublié. Depuis combien de temps s’occupe-t-elle, avec un soin remarquable, de la cueillette, de la compilation et de la révision des textes de notre bulletin ? Depuis longtemps ! Combien de liminaires a-t-elle signés ? Je ne les ai pas comptés. Mais je les ai toujours lus avec plaisir, y retrouvant souvent une touche de poésie et de fantaisie qui donnaient le goût de poursuivre la lecture. Combien d’articles bien structurés et écrits d’une plume alerte lui doit-on ? J’ai renoncé à en faire l’addition. Présente et active à nos colloques annuels, elle a aussi participé fidèlement aux réunions du comité de coordination, le “ coco ” pour les intimes. À l’inter-groupe des chrétiennes féministes elle a de plus efficacement représenté L’autre Parole. Et je ne suis même pas certaine de n’avoir rien oublié. Mais, vous l’avez compris, si je n’ai pas l’âme d’une archiviste ni une bonne mémoire de la durée précise de tous les engagements de notre amie, je me flatte d’avoir la mémoire bonne pour ne rien oublier de tout ce que je dois aux personnes que j’ai fréquentées ou qui m’ont honorée de leur amitié. Yvette Laprise est de celles-là. Et je tente ici de nous remettre brièvement en mémoire tout ce que L’autre Parole lui doit.

Yvette, à mes yeux, comme à ceux de plusieurs d’entre nous, j’imagine, c’est une force tranquille, une discrétion et une humilité que je n’ai jamais prises en défaut, une lucidité et une perspicacité enviables, fruits sans doute d’une patiente observation des êtres et de leur troublante complexité, une capacité juvénile d’émerveillement devant la beauté du monde. Yvette, c’est une compétence aux multiples facettes dont nous ne sommes même pas sûres, en dépit du fait que nous les avons si souvent mises à contribution, de les avoir toutes explorées ! Yvette c’est un rire éclatant et un sourire délicieux.

Yvette, c’est une vie donnée. À Dieu, d’abord, dans toute la ferveur de sa jeunesse, puis à tous les êtres qui ont eu la chance de croiser ses pas sur toutes les routes où l’obéissance religieuse l’a placée et où l’initiative personnelle l’a lancée le plus loin possible des sentiers battus, mais le plus proche possible des vrais besoins du monde, des femmes en particulier.

Yvette, c’est une personne aux convictions profondes, restée fidèle malgré vents et marées au choix de ses seize ans, aux engagements multiples, religieux, politiques, sociaux et féministes, aux amitiés durables, à la vie spirituelle intense pour mieux féconder et enraciner son action. Yvette, c’est une femme qui m’apparaît admirable, en particulier parce qu’elle est inlassablement prête à relever de nouveaux défis, parce qu’elle aime et espère sans faillir. Toujours la même en quelque sorte, mais en perpétuel renouvellement.

Je vous invite à rendre grâce au Ciel pour sa présence parmi nous et à le supplier de nous la garder longtemps, longtemps…

Très chère Yvette, ce devrait toujours être à ton tour de te laisser parler d’amour !