HYMNE D’ACTION DE GRACES A LA MEMOIRE DES FEMMES

HYMNE D’ACTION DE GRACES A LA MEMOIRE DES FEMMES

Teresa de Cepeda y Ahumada vous appelait joliment sa Majesté. C’était au temps du Siècle d’or espagnol et de l’Inquisition. Mais pour parler de vous et m’adresser à vous aujourd’hui, je choisis de penser que la formule n’est pas désuète, bien qu’elle ne me soit pas coutumière. Elle a l’incontestable mérite de ne porter aucune connotation sexiste. Nul besoin ici d’ajouter à votre nom le plus usuel, et qui, en français, tient en quatre lettres, un .. e .. muet susceptible de beaucoup faire jaser les puristes … Tout le monde saura ainsi qui j’invoque et avec quel respect je vous loue d’avoir accueilli d’âge en âge et avec sollicitude les prières des femmes éprises de justice et de liberté.

D’âge en âge, en vérité, alors que le féminisme ne savait pas encore son nom, des femmes se sont dressées face au pouvoir patriarcal pour en dénoncer les abus et pour tenter, avec les outils que leur culture et leur époque leur offraient, d’en empêcher l’envahissante et mortifère floraison, à défaut d’en pouvoir extirper les racines. Pour elles, pour elles toutes, les célèbres et les anonymes, votre Majesté, il est juste et bon de vous rendre grâce. Si le souvenir de plusieurs s’est hélas perdu, la gratitude à l’égard de toutes nous anime, mes sœurs et moi, qui voulons continuer à inscrire nos pas dans les leurs et à nous faire l’écho de leurs voix oubliées ou assourdies par les tumultes de l’histoire.

Pour Vasthi, Houlda, Déborah et Myriam, et pour toutes les femmes de la Première Alliance qui se sont levées pour réclamer le respect dû à des créatures façonnées aussi bien que l’homme à votre image, votre Majesté, mille grâces vous soient rendues.

Pour Marie de Nazareth, Marie de Béthanie, Marie de Magdala, et pour toutes les femmes de la Seconde Alliance qui ont bravé les interdits de leur milieu, fait preuve d’autonomie, d’audace et de courage pour accueillir le prophète galiléen et pour le suivre, votre Majesté, mille grâces vous soient rendues.

Pour Phébée, Priscilla, Junia, et pour toutes les femmes qui ont exercé des responsabilités dans la communauté chrétienne primitive, qui lui ont donné des ailes pour porter toujours plus loin la bonne nouvelle, outrepassant ainsi la place congrue réservée à leur sexe dans l’économie traditionnelle du sacré, votre Majesté, mille grâces vous soient rendues.

Pour Macrine, Geneviève, Théodora, Irène, Hildegarde von Bingen, Pétronille de Chemillé, votre Majesté, mille grâces vous soient rendues.

Pour Marguerite Porète, Christine de Pisan, Brigitte de Suède, Catherine de Sienne, Jeanne d’Arc, Thérèse d’Avila, Marie Guyart dite de l’Incarnation, votre Majesté, mille grâces vous soient rendues.

Pour Jeanne Mance, Marguerite Bourgeoys, Elizabeth Fry, Lucretia Coffin Mott, votre Majesté, mille grâces vous soient rendues.
Pour Émilie Tavemier Gamelin, Esther Blondin, Marie-Josephte Fitzbach, Elizabeth Oidy Stanton, Susan Brownwell Anthony, Alexandra David-Néel, Caroline Macdonald, Marie Gérin-Lajoie, Justine de Gaspé Beaubien,’ Dorothy Day, Lucille Teasdale, votre Majesté, mille grâces vous soient rendues.

Votre Majesté, vous aimez toutes vos créatures et il me semble que vous devez attacher moins d’importance que vos ministres, toutes confessions religieuses confondues, aux voies que les humains empruntent pour aller jusqu’à vous. La destination à vos yeux vaut plus et mieux que le chemin. Vous me reprocherez donc peut-être de n’avoir évoqué devant vous que le souvenir de femmes qui sont héritières de la tradition judéo-chrétienne. Et vous aurez raison, puisque jadis, (comme aujourd’hui encore, hélas), lorsque des hommes appartenant à d’autres cultures et partageant une autre foi ont soumis les femmes à leurs lois, sous le fallacieux prétexte de respecter votre volonté, alors qu’il s’agissait plutôt d’imposer plus inexorablement la leur en la sacralisant, quelques-unes d’entre elles ont très certainement regimbé.

L’histoire récente, la chose est sûre, ne manque pas .de militantes de la cause féministe partout à travers le monde. Toutes ne vous appellent pas du même nom ; certaines vous ont si étroitement lié aux systèmes politico-religieux qui les oppriment qu’elles en sont venues à ne plus vous invoquer. D’autres vous supplient de les sauver en révélant à leurs maîtres arrogants et abusifs votre visage miséricordieux. Pour toutes ces femmes courageuses, obstinées qui ne se laissent pas abattre par l’ampleur et la dureté de la tâche, mues par l’espoir de léguer à leurs filles un avenir meilleur, votre Majesté, mille grâces vous soient rendues.

De toutes les femmes qui ont. payé de leur vie leur quête de dignité, d’autonomie, de justice et de liberté, votre Majesté, souvenez-vous maintenant et à jamais. Puissent-elles, après avoir connu tant de tourments, être appelées par vous  » bienheureuses •. pour les siècles des siècles.

Pour nous, pour nos filles et pour toutes celles qui dans notre foulée reprendront le flambeau, pour tous les hommes de bonne volonté qui nous accompagneront dans cette rude montée, nous sollicitons votre grâce. Accordez-nous, votre Majesté, de conserver l’espérance et de vivre de votre joie.

P.S. Si l’histoire de trop d’héroïnes ci-haut évoquées vous reste encore inconnue ou presque, c’est que vous n’avez pas lu Mémoires d’elles, un livre rédigé sous la direction de Marie-Andrée Roy et Agathe Lafortune et publié par Médiaspaul en 1999. En le parcourant vous pourriez faire encore bien d’autres palpitantes découvertes

Marie Gratton, Myriam