LA BANDE DES SEPT LES COMPAGNES DE L’ACTION DES JURÉES

LA BANDE DES SEPT LES COMPAGNES DE L’ACTION DES JURÉES

Monique Hamelin, Vasth

Dans En prison pour la cause des femmesLaconquête du banc des jurés aux éditions du remue-ménage, Marjolaine Péloquin nous fait découvrir, à travers le récit d’une chronique personnelle, une tranche de l’histoire collective des femmes du Québec qui était restée occultée.

 Elle nous interpelle également au regard des relations mère-fille en décrivant de l’intérieur la douleur du rejet au moment de l’emprisonnement et ajoute à tout cela une analyse percutante des conditions de détentions des femmes et de l’action militante féministe – soit celle du FLF, le Front de libération des femmes du Québec. Et c’est sans parler de la  « plume » de l’auteure. Un livre émouvant, touchant, intéressant, qui interpelle en nous redonnant notre histoire, une histoire récente – les années soixante-dix – retraçant l’occultation et les erreurs d’interprétation.

Avant d’aller plus loin dans une critique qui ne sera – je vous le dis d’avance – que dithyrambique, je veux clarifier ma relation avec l’auteure. Marjolaine Péloquin était une inconnue pour moi avant que je n’accepte qu’elle utilise des photos que j’avais prises dans le cadre d’une publication sur les femmes et la prison. Je l’ai rencontrée une fois, il y a plusieurs années maintenant. Elle m’a parlé de son projet d’écriture soit de décrire le cheminement, l’action et les impacts de l’Action des jurées à partir de son histoire et celle des six autres femmes qui s’étaient battues pour le droit des femmes à devenir jurées. Elle cherchait des photos de la prison Tanguay datant de l’époque. Les miennes, quoique postérieures de quelque dix ans, étaient celles qui s’approchaient le plus des conditions qui prévalaient en son temps. Il lui fallait témoigner de cette militance qui les avait menées à la détention.

Si je me souvenais vaguement de cette lutte du début des années 70, je dois admettre que j’avais oublié qu’elles avaient été incarcérées. J’avais lu quelques lignes sur le sujet dans la première version de l’histoire des Québécoises du Collectif Clio – première édition – car dans la deuxième édition – la référence avait disparue. Je vous laisse découvrir tous les tenants de ce pan de l’histoire. Pour en revenir aux photos, je permets donc une utilisation de celles encore en ma possession sans connaître la teneur du livre. Quand l’invitation pour le lancement est arrivée, j’ai été heureuse avec l’auteure que cette tranche d’histoire nous parvienne. Et j’ai lu, et j’ai été marquée par ce livre, par l’histoire de la Bande des sept, par les impacts de la détention dans leur vie, par les choix radicaux qu’elles ont mis de l’avant pour une cause, la cause des femmes. Et comme le rappelle l’auteure, par ces choix radicaux, elles ont mis le féminisme radical sur l’avant-scène, sur la carte politique du Québec quoique à un prix élevé.

Les compagnes de l’Action des jurés outre Marjolaine Péloquin se nomment : Francine Aubin, Nicole-Ange Dostie, Arlette Rouleau, Nicole Thérien, Louise Toupin et Micheline Toupin. Elles étaient membres du Front de libération des femmes du Québec – le FLFQ ou FLF. Et vous aurez le récit au je par Marjolaine Péloquin de la cellule X ou Action-choc du FLF.

En 1971, le FLF compte trois cellules actives : Avortement, Garderie et cellule X ou Action-choc. Ce sont des femmes de la cellule X qui ont mené l’action de prendre d’assaut le banc des jurés, lieu inaccessible aux femmes à l’époque. Ce droit de servir comme juré n’était pas donné aux femmes. Nous avions  le droit, l’obligation de témoigner, mais pas celui de juger. La Bande des sept savait ce qui les attendait au terme de leur action – la prison. Mais on découvrira avec elles que la perte de liberté ne vient jamais seule. Les coûts sociaux de l’emprisonnement dépassent tout ce qu’on peut imaginer. Même une détention d’un mois pour cinq d’entre elles et de deux mois pour Marjolaine Péloquin et une autre, laissent des traces. Les effets de l’institutionnalisation, c’est-à-dire les impacts de cette perte de liberté associée à la perte de décision pour le quotidien se font sentir même avec un mois de détention. Péloquin en présente non seulement une description de l’intérieur mais met de l’avant une analyse intéressante.

Marjolaine Péloquin a souffert de l’abandon des siens au début de son emprisonnement alors que le support des proches est si aidant. Sa mère et elle tisseront à nouveau des liens forts. Si le dialogue reprendra avant la sortie de prison entre la mère et la fille et qu’il sera précieux, il demeure douloureux car en bout de piste, la mère ne partage pas la même vision de la situation des femmes, la même urgence d’agir. Les choix politiques et le radicalisme de la fille sont mal acceptés par la mère. C’est une souffrance pour l’auteure. Il fallait passer du modèle fusionnel au modèle d’acceptation de chacune avec ses différences, faire passer les valeurs du cœur avant les valeurs culturelles, politiques et idéologiques nous dit-elle.

Mais outre les coûts personnels, qu’en est-il des impacts de cette action choc ? Leur lutte a porté fruits. Vingt jours après leur sortie de prison, rapporte l’auteure, le projet d’amendement de la Loi des jurés est déposé à l’Assemblée nationale. En juin 1971, une nouvelle loi est sanctionnée. Les Québécoises pouvaient maintenant être jurées.

Comme le rappelle Péloquin, le prix payé par ces sept femmes est énorme. Ensemble, elles ont purgé neuf mois de prison. La justice n’a pas fait montre de modération. Suite à l’analyse au regard de cette action choc et d’autres qui ont suivi, il ressort que les extrémismes ne permettent pas à la majorité des femmes et du public en général d’appuyer de telles démarches. L’auteure pose cette hypothèse pour expliquer l’occultation qui s’en est suivi. Un autre moment intéressant dans cette lecture, c’est l’autoportrait que chacune des compagnes donne de qui elle était en 1971 et ce qu’elles sont devenues. Plusieurs d’entre elles, dont l’auteure, ont choisi de lutter proches des femmes, à travers des actions qui touchent le quotidien.

Si en 1983, Louise Toupin dans Québécoises deboutte ! tome 2, se questionne sur le fait que : « Sept femmes en prison pour une cause féministe c’est pas courant… Et on a été incapables, nous les sept prisonnières de transmettre tout cela après… » Marjolaine Péloquin a heureusement repris le flambeau pour dire, analyser, et nous donner leur histoire ou plutôt, ce pan de notre histoire des femmes. Merci !