LA COLLECTIVE ENRACINÉE DANS UN CONTEXTE D’ÉVOLUTION

LA COLLECTIVE ENRACINÉE DANS UN CONTEXTE D’ÉVOLUTION

Louise Melançon, Myriam

Quand on parcourt les bulletins/revues aux couleurs d’arc-en-ciel L’autre Parole, édités sur une période de plus de 25 ans, on peut constater, au premier abord, une évolution à la fois quantitative et qualitative.

En y regardant de plus près, on peut remarquer que, dans la diversité des thématiques abordées, de même que dans la présence récurrente de certains sujets,  se constitue, si l’on peut dire, le profil  de notre groupe influencé d’autre part par les grands courants politiques, culturels et religieux de la société et du monde auxquels nous appartenons.

Dans ces pages, j’ai choisi d’indiquer brièvement, à partir des traits de la Collective, les constantes et les changements d’accents ou de perspectives, concernant les démarches théologiques ainsi que le rapport entre féminisme et christianisme.

1. Profil de la Collective

Les “traits” de notre Collective s’expriment à travers nos convictions, nos valeurs et nos engagements depuis le tout début jusqu’à aujourd’hui : foi féministe chrétienne, solidarité avec les mouvements de femmes, avec la vie et l’action des femmes, dans la société et dans les Églises,  critique du patriarcat particulièrement celui de l’Église catholique, recherche théologique et réécritures de la tradition, préoccupations éthiques, goût de la fête, importance donnée aux célébrations qui expriment et donnent forme à la “communauté”, spiritualité ouverte et incarnée sans oublier un brin d’humour sain et vigoureux.

2. Démarches théologiques
Dans le courant des théologies de la libération

Notre collective (qu’on appelait collectif au début….) s’est située dans le courant des théologies de la libération qui se développèrent au cours des années 1970. Cette démarche théologique, née en Amérique latine, relevait d’une analyse marxiste des rapports sociaux et de l’option socialiste en politique. Dans le monde, les mouvements étudiants et ouvriers, les pays du Tiers Monde relevaient de cette perspective révolutionnaire.

Ce contexte nourrissait l’utopie, l’espoir de participer à une transformation du monde. Sur le plan théologique, il donna lieu à ce qu’on appelait “la nouvelle théologie de l’espérance”, et “la nouvelle théologie politique” (Moltmann, Metz…). Au Québec se développaient, des groupes comme les “politisés chrétiens” qui véhiculaient la même analyse et la même démarche. Comme féministes, nous nous distinguions de ces courants trop “masculins” pour faire l’analyse de notre propre condition de femmes, mais en empruntant la démarche et certains concepts à ce courant de libération. Nos références théologiques étaient d’abord les théologiennes américaines comme Rosemary Radford Ruether et Elisabeth Schüssler Fiorenza. Cependant notre appartenance culturelle francophone et nos contacts avec l’Europe française, nous faisaient accorder la préséance à la prise-de-parole au féminin pour résister au langage sexiste, et à  une analyse plus “culturelle” des rôles sexuels et du patriarcat.

Dans un monde qui n’arrêtait pas de changer

Mais le monde n’arrêtait pas de changer : la chute des régimes socialistes, le retour en force d’une pensée économique et politique néo-libérale (ou conservatrice ) apportèrent une évolution d’un autre ordre… La remise en question des modèles révolutionnaires, la chute des utopies, la désillusion par rapport à toutes les idéologies, tout cela amena dans son sillage une culture individualiste, et une perspective relativisante dans les discours philosophiques. Dans le même mouvement se situent  l’éclatement du religieux, la désinstitutionnalisation de la foi, la montée des groupes charismatiques et des intégrismes de toutes sortes.

La pensée féministe en fut touchée, et pour nous, de L’autre Parole, l’arrivée de jeunes théologiennes interpella les discours de libération de manière à les relativiser. Notre démarche théologique en fut enrichie parce que plus enracinée dans nos vies quotidiennes, nos expériences individuelles, nos différences, visant la transformation de nous-mêmes et de nos manières de faire. Ainsi apparaissaient des théologies féministes qui stimulaient les échanges et les dialogues. Nous étions aussi poussées à faire de plus en plus œuvre de créativité : dans des célébrations, dans des réécritures, dans la  spiritualité qui s’exprimait en théalogie. Nous apprenions à dire Dieue, à former “ekklesia”, et à devenir des “christa”. La démarche théologique empruntait nos voies concrètes, nos cheminements particuliers, nos horizons renouvelés. La sororité s’affermissait malgré tout, la solidarité s’élargissait dans la pluralité, nos perspectives s’ouvraient aux femmes de toutes cultures et religions. Le roc restait l’option pour la justice sociale, mais les engagements se diversifiaient aux couleurs des individualités de chacune.

3. Rapport féminisme/christianisme
L’association «  chrétienne et féministe »

Dès le départ, l’alliance chrétienne et féministe a posé question à bien des  femmes qui  voyaient dans ce rapprochement une contradiction insurmontable à cause du caractère patriarcal de l’ensemble de la tradition chrétienne. Des chrétiennes et  des chrétiens, qui ne partageaient  pas une telle vision théologique, y voyaient aussi une contradiction. Et pourtant, il nous paraissait possible de réinterpréter l’événement évangélique, transmis à travers des textes souvent misogynes et marqués par leur origine patriarcale, de manière à ce que la foi chrétienne soit libératrice pour les femmes comme pour les hommes.

Regard œcuménique en contexte

Ce regard, porté sur la tradition chrétienne fondamentalement et profondément œcuménique, était ouvert à toutes les confessions chrétiennes qui s’y inscrivaient. Il faut dire que dans l’Église post-Vatican II, l’œcuménisme  était en progrès… ce qui ne dura pas… Au contraire. La question des femmes est devenue même un obstacle à l’avancement de l’unité ou de la réconciliation. Maintenant, le contexte évoluant dans la voie de la mondialisation, et donc d’une ouverture sur les diverses cultures et religions, le mouvement féministe a pris conscience de l’importance de la religion pour faire avancer la libération des femmes du monde entier.

Naissance d’un regroupement féministe interspirituel

À l’occasion de la marche mondiale des femmes, L’autre Parole a réussi à faire mettre à l’agenda de l’événement la tenue d’une célébration pour marquer la présence et la pertinence de l’engagement religieux féministe dans le mouvement des femmes.  Une célébration interspirituelle, réunissant des femmes d’origines culturelles et religieuses différentes, marqua ainsi une nouvelle étape dans notre vision et notre engagement féministes chrétiens. Tout en donnant naissance, d’une certaine manière, à ce nouveau regroupement féministe interspirituel, la Collective L’autre Parole, continue d’avoir sa raison d’exister dans son identité propre et son appartenance de foi chrétienne. Selon cette voie, l’engagement pour l’amélioration ou le “renouvellement” du monde, dans tous ses aspects, reste prioritaire. L’espérance en est le socle tout comme la solidarité avec le mouvement des femmes en est le lieu.

Une ouverture au niveau de la spiritualité

Par ailleurs, la rencontre de  l’autre, des autres femmes croyantes, crée une ouverture au niveau de la spiritualité des femmes qui n’a pas fini de donner son fruit. Si dans nos sociétés désillusionnées, une soif de spiritualité en dehors de toute institution se manifeste de plus en plus, L’autre Parole, forte de son expérience d’être “ekklèsia”, montre sa détermination à ne pas en rester à un vécu individualiste ni  nourrir une culture et une société aux couleurs narcissiques.

Le défi de la sécularisation

Le  plus grand défi de L’autre Parole est de pouvoir transmettre aux jeunes générations, qui ont peu  reçu de la “tradition chrétienne”, ce que les évangiles ont apporté de “Bonne Nouvelle” au monde, et en particulier aux femmes. Si une certaine “chrétienté” n’est plus là pour soutenir ou conserver une foi qui, par ailleurs, la dépasse, tout n’est pas perdu.  L’événement évangélique n’a-t-il pas été d’abord transmis et reçu  dans  des sociétés dites “païennes” (du point de vue des juifs) même si elles étaient religieuses. Aujourd’hui, c’est dans le terreau de la sécularisation, de  la laïcité, où germent les phénomènes religieux, que  la foi féministe chrétienne et L’autre Parole donc, ont à vivre et à évoluer.