La prostitution

La prostitution.

Quelques réflexions et questions

Il n’est pas facile de parler de la prostitution. Cette réalité complexe soulève moult questions à commencer par la façon même de la nommer. Doit-on parler de prostitution ou de travail du sexe ? J’avoue ne pas avoir trouvé réponse à cette question de même qu’à plusieurs autres concernant d’une part la position abolitionniste qui lutte pour l’éradication de la prostitution et d’autre part la position qui réclame la reconnaissance du travail du sexe comme un métier comme un autre, c’est à dire comme une activité génératrice de revenus.  Ces deux positions, qui sont exposées dans le Rapport du Comité de réflexion sur la prostitution et le travail du sexe de la Fédération des femmes du Québec fournissent des éléments substantiels dont il nous importe de tenir compte tout  en poursuivant notre quête de données pour mieux comprendre la réalité de la prostitution. C’est en ce sens que j’expose ici quelques jalons de ma  réflexion ainsi que  les questions que je me pose à cette étape de la discussion.

 La prostitution : une question difficile.

Cette question  est difficile parce qu’elle nous rejoint dans notre intimité et interroge notre vision de la sexualité.  Pourtant, même dans notre exercice de discernement féministe, on a plutôt tendance à garder le silence sur cette dimension. Il y a un non dit dans notre discours qui possiblement parasite nos débats. Il faudrait sans doute parvenir à un échange plus « ouvert ». Pour ma part, je vois la réalité sexuelle comme une fête, une manière extraordinaire de rencontrer l’autre. La jouissance, l’abandon sexuel constituent des voies sublimes pour nous découvrir comme femmes et vivre notre humanité. Il n’est pas toujours possible de parvenir à cette qualité de rencontre et on peut éprouver différents types de blessures au niveau de notre vécu sexuel mais il n’en reste pas moins que notre quête d’affirmation et de liberté en tant que femmes nous amène à rechercher et à vouloir vivre le plein épanouissement sexuel.

Cette vision de la sexualité marque mon approche de la prostitution en même temps que les interrogations existentielles et éthiques qu’elle me pose. Au plan existentiel, je suis profondément inquiète pour les femmes qui pratiquent ce métier dangereux impliquant un usage intensif et répétitif de leur corps et une invasion à nulle autre pareille de leur intimité. Je crains pour elles une cassure de l’âme et du corps.  Au plan éthique, mon problème ne réside pas dans la pratique du sexe qui n’a en soi rien de mauvais mais dans la logique inhérente au travail de prostitution qui en fait un lieu d’appropriation individuelle et collective des femmes par les hommes et de la marchandisation des corps dans l’économie libérale mondiale.

Le continuum prostitutionnel

La façon dont on pose le débat est souvent problématique parce qu’elle crée deux catégories d’individus, les prostituées et les non prostituées et qu’elle donne à plusieurs le sentiment que l’une est évaluée par l’autre. On définit traditionnellement la prostitution comme le fait de consentir à des rapports sexuels contre de l’argent. Cette définition très restrictive ne dit pas tout de l’acte prostituant. On peut consentir à taire la vérité, à formuler des flatteries, à mentir, à offrir des cadeaux, à rendre certains services contre l’obtention de biens matériels, de la sécurité économique, d’un statut social, de privilèges ou même de la tranquillité dans les relations interpersonnelles. Qui n’a jamais un jour « fait semblant » avec son partenaire afin d’éviter une forme ou l’autre d’explication ? Que celui ou celle qui n’a jamais commis d’acte de prostitution, lance la première pierre aux prostituées… rapporte-t-on dans l’évangile  qui ajoute à ce propos que tous se retirèrent à commencer par les plus vieux ! En élargissant la définition du concept de prostitution on s’aperçoit que l’humanité partage, plus qu’on ne le pense de prime abord, des éléments du vécu prostitué. Il ne s’agit pas de gommer l’expérience spécifique des personnes qui offrent des services sexuels contre rémunération mais de se savoir partie prenante de l’expérience humaine prostitutionnelle. Il n’y a plus les prostituées d’un bord et de l’autre celles qui savent et qui jugent. Il y a des femmes en quête de leur humanité qui peuvent s’écouter et s’entraider.

Écouter.

L’écoute des personnes qui ont pratiqué ou qui pratiquent toujours la prostitution devrait constituer un aspect essentiel de notre démarche de réflexion féministe. Or ces personnes ont souvent le sentiment que nous parlons sans avoir pris le temps de les écouter et en mettant de l’avant nos principes tout en ne connaissant pas grand chose de leur vécu. On trouve dans le magazine Constellation publié par Stella – un regroupement de travailleuses du sexe – des témoignages très éloquents. Différents ouvrages qui relatent des expériences de prostitution ou traitent de la pratique d’un métier du sexe ont été publiés récemment ( Putain, Hard). Plusieurs groupes de femmes sont en contact avec des prostituées et leur assurent un certain nombre de services.  Bref, ce ne sont pas les occasions qui manquent, pour les personnes qui le souhaitent, de se mettre à l’écoute des prostituées. Cela ne signifie pas pour autant que l’on doive adopter leurs positions politiques comme celles du groupe Stella qui revendique la décriminalisation complète des métiers du sexe y compris des clients et des souteneurs. On a cependant la responsabilité éthique d’essayer de comprendre de l’intérieur le point de vue des prostituées. Plus on veut s’exprimer, prendre position dans le débat actuel sur la prostitution, plus on devrait écouter. À court terme, cette pratique n’est pas nécessairement toujours aisée. Si nous avons nos mécanismes de défense, les personnes du métier ont aussi les leurs.  Par exemple, le discours politique de certaines occulte parfois les aspects plus difficiles du métier.  Mais à moyen terme, tout le monde gagne à l’écoute, au dialogue et à l’échange franc de points de vue.

Les 12-18ans.

Dans son document, la FFQ ne traite pas de la question de la prostitution des toutes jeunes femmes (12-18 ans) parce qu’elle est interdite et couverte par la loi.  Il me semble, pour ma part, qu’il serait important de se pencher sur cet aspect du dossier prostitution. Des données fragmentaires permettent de soutenir que les « débuts » dans le métier se font de plus en plus tôt et que la clientèle est à la recherche de très jeunes femmes. On sait aussi qu’une fraction des jeunes filles qui se retrouvent en Centre d’accueil a déjà pratiqué la prostitution et qu’il s’agit de personnes qui, dans une proportion élevée, ont connu la violence familiale, les abus sexuels et qu’elles ont une très faible estime d’elles-mêmes. Il est de notre responsabilité d’insister auprès des autorités concernées pour que l’on assure à ces jeunes femmes tout le soutien psychosocial et économique dont elles ont besoin pour entrer dans la vie adulte. On a aussi à se demander quelle pratique de solidarité féministe le mouvement des femmes peut développer avec ces jeunes femmes.

Je m’interromps ici, faute de temps pour développer toutes les questions qui se bousculent dans ma tête. Mais je désire quand même identifier quelques pistes à explorer dans la poursuite de notre réflexion :

– Il existe un certain nombre d’études théoriques et empiriques sur la prostitution. Elles peuvent nous aider à nous documenter sur la question.  En même temps, on se rend compte qu’il y a des pans complets de la réalité prostitutionnelle et du travail du sexe que l’on connaît mal et qu’il faudrait mieux explorer. Les pratiques sont fort diversifiées et le métier se transforme. Il serait souhaitable que l’on se donne collectivement les moyens de les étudier pour développer des interventions féministes adéquates.

– Il me semble qu’on ne peut pas séparer notre examen de la situation québécoise de la réalité qui se vit à l’échelle internationale. Cela pour des motifs de solidarité avec l’ensemble des femmes mais également parce que la réalité internationale nous a rejointes dans notre cour. Le travail du sexe c’est  aussi une « industrie » avec une économie parallèle contrôlée par des hommes et qui fait d’énormes profits ;  c’est également un « marché » qui trafique des femmes des pays du Sud et de l’Est vers l’Occident.

– Faut-il légaliser ou interdire davantage la prostitution ? Je n’ai pas de réponse à cette question difficile.  Mais nous devons certainement éduquer davantage : nous éduquer nous-mêmes, renforcer l’estime de soi des femmes qui vivent des métiers du sexe et ne pas renoncer à débattre de la question avec les hommes qui sont les grands consommateurs des métiers du sexe.  La consommation de services sexuels traduit un rapport homme-femme complexe qu’il faut regarder avec lucidité et…en discuter avec les hommes.

– Enfin, nos interventions devraient être animée par la préoccupation d’assurer l’autonomie et la sécurité des femmes qui vivent présentement des métiers du sexe et nous stimuler à nous inscrire dans une continuum de solidarité féministe.

Marie-Andrée Roy, Vasthi