LA SORORITE DES FEMMES DE BANLIEUE

LA SORORITE DES FEMMES DE BANLIEUE

Par Marthe Boudreau

« Nous avons besoin de bâtir un nouvel ordre social de coopération au dell des principes de hiérarchie, des règles et de la compétition ••• Nous devons créer un modèle de vie où règne la mutualité entre les hommes et les femmes, entre les parents et les enfants, entre les personnes au sein même de leurs rapports sociaux, économiques et politiques et, enfin entre l’humanité et l’harmonie organique de la nature. »1

Les femmes de mon milieu. Cette théologienne chrétienne nous offre un idéal de taille, un projet utopique.  Aussi, il peut susciter chez nous une bouffée de dynamisme. Il nous invite à bâtir un monde nouveau. Aujourd’hui, les femmes dites de banlieue forment un monde en soi. Il est mon milieu, comme celui de plusieurs femmes nord-américaines dites « petites bourgeoises ».

Nous, femmes de banlieue, avons nos « tours d’ivoire ». Nous vivons derrière de belles façades, de belles pelouses, bien isolées les unes des autres par une clôture ou une haie. Mais il faut passer outre ••• « Et tu découvres les conditions de misère de tes voisines cachées derrière ces murs »2

Même si plusieurs d’entre nous ont peu ou pas de difficultés financières, nous connaissons bien des difficultés « d’être ». Nous parlons de vide, d’insatisfaction, d’angoisse. Malheureusement, notre société de consommation a tenté de nous gaver par l’acquisition de multiples biens. Nous avons donc trop souvent atteint une « quantité de vie » bien plus qu’une « qualité de vie ». Plusieurs ont une voiture, qu’elles ont parfois obtenue au prix même de leur liberté. Certaines vivent peut-être une forme d’aliénation tout à fait subtile. Aussi, il nous faut penser à nos soeurs de banlieue car sans elles, nos belles paroles deviendraient vite désincarnées.

La collectivité nous est difficile. Nous, femmes, éprouvons des difficultés à travailler en équipe. Il faudra doubler nos efforts pour apprendre à nous coudoyer, nous épauler. Nous y avons été fort peu préparées. Il suffit de nous rappeler combien souvent nos frères jouaient en équipe au hockey alors que nous allions patiner seule ou avec une de nos soeurs. Il nous suffit de remarquer, lors des saisons estivales, que cinq à six équipes de balle-molle s’organisent chez les hommes alors que l’on a peine à organiser une ou deux équipes chez les femmes. Nos jeux et loisirs n’ont donc pas préparé les femmes au travail d’équipe.

Nos tentatives de sororité â saveur d’espérance.   Il nous faudra inventorier ensemble des moyens pour que nous puissions nous apprivoiser et nous initier à vivre collectivement. Aussi je me permettrai de citer quelques expériences. Même si ces engagements de femmes peuvent être parsemés d’erreurs, ils demeurent porteurs d’espérance. Voici quelques exemples d’actions prises collectivement par des femmes (parfois entre femmes seulement, parfois entre femmes et hommes) : les relevailles, les comités de citoyens pour la protection de l’environnement, les organisations de garderie en milieu scolaire (ce n’est pas seulement l’affaire des mères), les différents conseils d’administration, les comités d’école et de loisirs (pas seulement à titre de vice-présidente ou de secrétaire), les équipes sportives, les coopératives d’alimentation, les différents comités d’échange de services multiples, les comités d’accueil des nouveaux arrivants dans le milieu et plusieurs autres ••• Ces tentatives se veulent une initiation à une pratique de solidarité, une pratique de partage.

 

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Si nous pensons et structurons ensemble nos actions, nous, femmes de banlieue, apprendrons à vivre avec les autres femmes, au delà des clôtures et des murs. Nous traverserons ensemble la solitude des jours de ces villes-dortoirs. Collectivement, ces petites actions, banales en soit, peuvent devenir des moyens d’une pratique évangélique pour bâtir un monde meilleur aujourd’hui.

Ces débuts de sororité entre nous, femmes de banlieue, pourront peut-être annoncer un meilleur « compagnonnage »3. Qui sait ? Les banlieues ne seront peut-être non plus des villes-dortoirs mais bien des milieux de vie.

1 Reuther, Rosemary, Motherearth and the Megamachine : A theology of Liberation in a Feminine, Somatio and Ecological Perspective, dans  Womanspirit Rising,   ed. Carol P. Christ and Judith Plaskow, Harper and Row Publishers,·1979, p. 51-52.

2. Leboeuf, Lucie, Des femmes apprennent à ne pas prendre pour acquis dans Dossiers « Vie ouvrière », Montré, octobre 1980, P. 462.

Expression empruntée à Letty M. Russel, Théologie féministe de

la libération, Cerf. Paris, 1976•