LA TENTATION TOTALITAIRE
Marie-Andrée Roy
Comment nommer le rapport actuel qu’entretient l’institution ecclésiale catholique avec les femmes ? Quel est l’impact de ce rapport sur la vie et la personne des femmes croyantes ? Où allons-nous avec ce système ? Telles sont les questions que j’aborde depuis plusieurs années et auxquelles j’ai apporté, à différentes occasions, des fragments de réponse – voir : « Les fondamentalismes – Éléments d’analyse critique », L’autre Parole, no 107, automne 2005 ; « Une église machiste et autoritaire », Le Devoir, 24 mars 2009 et L’autre Parole, no 121, printemps 2009 ; « La sacralisation du pouvoir mâle », Relations, no 744, novembre 2010. Je veux simplement proposer aujourd’hui un fragment de réflexion supplémentaire à l’étude de cette organisation difficile à saisir et à comprendre.
Je ressens toujours un certain malaise à travailler cette question. Mettre de l’avant une lecture critique de l’institution ecclésiale est compris par certains comme un geste insuffisant et même inutile puisqu’il s’agit d’une institution rétrograde qu’il faudrait anéantir. Pour d’autres, la critique constitue une quasi-profanation de cette institution « sacrée ». Si je persiste et signe dans la veine « critique », c’est en tant que partie prenante de l’ Ekklésia des femmes, cette Ekklésia utopique, en germes un peu partout dans le monde, et qui accueille en son sein femmes et hommes en tant que disciples égaux et responsables, capables de discernement et aspirant à la liberté et à la justice annoncées par Jésus de Nazareth.
L’Église catholique est une institution paradoxale : sexiste, patriarcale, autoritaire et en même temps, elle est un outil de transmission de l’ Évangile. Bref, en son sein, elle est, par nombre de ses témoins, de ses organisations, à la fois signe de l’espérance de Jésus-Christ et négation de cette même espérance. Énoncer un discours critique, c’est travailler, avec d’autres qui partagent notre lecture, à faire advenir l’Église de notre espérance sans prétendre toutefois que notre Ekklésia des femmes détient toutes les réponses et constitue la seule voie.
Plusieurs signes manifestent l’existence d’une fracture dans l’Église, la présence de lectures antagonistes de l’Évangile et le développement de stratégies multiples et divergentes pour faire face à cette situation complexe. Je retiens, pour illustration de mon propos, quelques événements récents.
1. L’affaire de la petite Brésilienne
En 2009, la médiatisation de l’affaire de la petite Brésilienne de 9 ans, enceinte de jumeaux à la suite de viols répétés de son beau-père, avait alerté l’opinion publique. L’excommunication de la mère de la fillette pour avoir demandé l’avortement pour sa fille et du médecin qui avait pratiqué cet avortement avait profondément choqué une large part de la population, dont bien des catholiques qui voulaient que l’Église fasse preuve de compassion à l’endroit de l’enfant plutôt que d’esprit légaliste en appliquant de manière rigide et sans discernement des dispositions du Code de Droit canonique. Cette affaire avait aussi permis de révéler l’existence d’une certaine division au sein même de la hiérarchie catholique. Pendant que le cardinal Giovanni Battista Re, préfet de la Congrégation des évêques, supportait monseigneur José Cardoso Sobrinho, évêque du diocèse de Recife, dans son geste d’excommunication, monseigneur Rino Fisichella, président de l’Académie pontificale pour la vie, signait une lettre dans l’Osservatore Romano, le journal du Vatican. Dans cette lettre, il critiquait ouvertement la décision de l’évêque de Recife de prononcer l’excommunication et appelait les catholiques à d’abord faire preuve de compassion envers la fillette. D’autres évêques de par le monde se sont inscrits dans cette ligne de la compassion, dont monseigneur Veillette, président de l’Assemblée des évêques catholiques du Québec. Un furieux débat s’est engagé dans certains médias écrits et sites Web catholiques, dénonçant la position de monseigneur Fisichella comme non conforme à la doctrine morale de l’Église. Je retiens deux choses de cette malheureuse affaire.
1) L’histoire de la petite Brésilienne n’est pas un cas unique. Dans plusieurs pays latino-américains et ailleurs dans le monde, ont été recensés des cas similaires de fillettes violées par un proche de la famille et de prélats qui ont excommunié celles et ceux qui ont donné accès à l’avortement à ces enfants abusées. Ces cas ne sont pas moins réels et révoltants ; ils sont simplement beaucoup moins médiatisés.
2) Le président de l’Académie pontificale pour la vie depuis juin 2008, monseigneur Rino Fisichella, qui avait lancé l’interpellation à la compassion, a été muté en juin 2010 à un poste beaucoup moins exposé aux dossiers touchant la morale sexuelle. Il est devenu le président du nouveau Conseil pontifical pour la promotion de la nouvelle évangélisation (juin 2010). Ses détracteurs, dont des membres influents de l’Académie pontificale pour la vie, monseigneur Schooyans et madame Christine de Marcellus de Vollmer1 en tête, ont obtenu gain de cause auprès du pape.
2. Le Comité des partenaires
Plus près de nous, le Comité de partenaires créé à l’initiative du Centre justice et foi, réunissant des représentants et représentantes du Centre justice et foi, de Femmes et Ministères, du Centre St-Pierre et de L’autre Parole, a mené, à compter de 2006, différentes actions pour maintenir vivante la question de l’accès des femmes aux ministères. Et ce, malgré la lettre apostolique Ordinatio Sacerdotalis de Jean-Paul II, publiée en 1994, qui affirmait non seulement que l’accès des femmes aux ministères ordonnés était impossible, mais que la question était close dans l’Église. Ce Comité s’est réuni pendant cinq ans et a mené diverses actions. À titre d’illustration, mentionnons un important colloque en 2006 sur L’accès des femmes aux ministères ordonnés : une question réglée ? ; une rencontre de formation en 2008, au Centre St-Pierre, sur les arguments bibliques et théologiques concernant l’ordination des femmes ; une activité œcuménique à Christ Church, la cathédrale anglicane de Montréal, en 2009 ; un séminaire d’une journée avec sept jeunes femmes engagées en Église pour mieux comprendre leur « lecture » de la place des femmes en Église et la question des ministères en 2009 ; une rencontre en 2011 avec des membres des plus jeunes générations pour partager avec elles et eux sur le chemin parcouru depuis 1971 par les femmes et les laïcs dans l’Église ( on se rappellera que c’est au Synode sur la justice, tenu à Rome en 1971, que le président de la Conférence des évêques catholiques du Canada, monseigneur Flahiff, a demandé qu’une étude soit faite sur la question de l’admission des femmes aux ministères).
Au cours de ces rencontres, nous avons entendu le témoignage de femmes laïques engagées ; des femmes compétentes qui portent avec brio des dossiers importants reliés à la vie ecclésiale : communication, formation, pastorale sociale, pastorale paroissiale, etc. Plusieurs vivent des situations choquantes qui impliquent d’indéniables formes de subordination à des clercs et différentes manifestations de discrimination, etc. Les pratiques de contrôle sont fréquentes. Un exemple parmi d’autres : un évêque considère que la participation au Forum André-Naud2, qui promeut la liberté de pensée et de parole dans l’Église, n’est pas compatible avec le mandat pastoral des agents et agentes de son diocèse. On les dissuade d’y participer !
Lors de sa dernière réunion le 14 avril 2011, le Comité des partenaires en est arrivé à la conclusion suivante : « il ne nous sera pas possible de mobiliser véritablement des représentants des nouvelles générations sur l’enjeu précis de l’accès des femmes aux ministères ordonnés. […] il apparaît donc que notre comité n’a plus sa raison d’être. Nous mettons donc fin à nos travaux ». (Compte-rendu de la réunion du 14 avril 2011) Il y a certes des groupes comme Femmes et Ministères qui continuent de porter cette question avec détermination, mais il apparaît impossible de mobiliser les moins de 45 ans autour de cette question. Je retiens deux choses autour de cette pratique.
1) L’interdit relié à Ordinatio Sacerdotalis a fini par faire son œuvre ; les plus jeunes générations renoncent aujourd’hui à s’engager dans ce dossier difficile. Cela ne signifie pas que les moins de 45 ans soient contre l’accès des femmes aux ministères. Bien au contraire ! Mais celles et ceux qui concluent que la voie est barrée pour les laïcs en général et les femmes en particulier dans l’institution ecclésiale choisissent souvent de poursuivre leur engagement pour la justice sociale ailleurs dans la société. Nous avons entendu plusieurs témoignages qui allaient en ce sens. Celles et ceux qui font le pari de continuer de travailler comme salariés dans l’institution ecclésiale considèrent qu’il serait stérile de s’engager dans la voie de la revendication des ministères ordonnés pour les femmes ; ce serait aller se frapper contre un mur de béton armé. De toute manière, la situation serait intenable pour la plupart de ces personnes. Ils et elles optent pour la poursuite de leur travail en église qui a du sens pour eux malgré les restrictions. Mais ces personnes n’en pensent pas moins. Céder sans consentir, est-ce possible ?
2) Il y a un durcissement de la part de certaines autorités cléricales diocésaines dans les pratiques de contrôle des individus. On sait que les personnes qui travaillent en Église doivent obtenir un mandat pastoral de leur évêque ; ce mandat exige un discours et une pratique en conformité avec la doctrine ecclésiale et un comportement idoine dans sa vie personnelle. Ces règles sont appliquées plus ou moins rigoureusement selon les évêques, mais elles constituent une épée de Damoclès au-dessus de la tête des agentes et agents de pastorale. Quand un évêque proscrit la fréquentation de lieux de débat démocratique dans l’Église comme le Forum André-Naud, il interdit en quelque sorte le développement d’une pensée critique autonome et manifeste une volonté de mainmise sur la conscience des personnes. Quel est le seuil à partir duquel une personne perd son statut de sujet libre et responsable, qu’elle aliène sa liberté et son humanité ?
3. Développement et Paix et l’aide internationale
Récemment, les débats entourant Développement et Paix (D&P) ont soulevé l’inquiétude et l’indignation. Il y a eu la mise à l’écart du jésuite mexicain Luis Arriaga, fondateur d’un centre pour la défense des droits humains au Mexique, et l’arrêt du financement de cet organisme qui, de l’avis de plusieurs, joue un rôle essentiel dans ce pays marqué par de multiples atteintes graves aux droits des personnes. L’organisme est soupçonné par des évêques mexicains d’avoir fait la promotion de l’avortement. Une commission d’enquête des évêques du Canada a conclu qu’il n’en était rien. Mais l’évêque d’Ottawa et Développement et Paix se sont montrés réceptifs aux préoccupations de certains membres de l’épiscopat mexicain et ont décidé de mettre fin au partenariat avec ce centre pour la défense des droits humains qui datait de 1995. Les jésuites du Canada et du Mexique ont vigoureusement critiqué cette décision. Jean-Claude Leclerc, dans sa chronique hebdomadaire dans Le Devoir (30 mai 2011), montre bien que la crise de Développement et Paix « ne tient pas seulement à un malentendu entre ecclésiastiques ou même à un différend sur l’avortement. En donnant récemment aux évêques du Mexique et d’ailleurs un droit de veto sur les partenaires de D&P et donc sur les réseaux de solidarité sociale avec lesquels ils agissent, la Conférence des évêques catholiques du Canada met en tutelle une des rares organisations laïques de l’Église catholique ». En effet, D&P, qui travaille avec 200 partenaires dans une trentaine de pays du sud, entend dorénavant requérir l’avis des évêques locaux avant de soutenir des projets. On s’achemine directement vers l’exclusion de partenaires qui ne se conforment pas à la morale catholique. Ce réalignement de D&P est associé aux pressions qu’exercent des groupes intégristes comme LifeSitenews.
Il importe, à mon avis, de saisir ce dossier plus globalement. Ce réalignement n’est pas qu’un fait isolé concernant D&P. On se rappellera qu’en 2005, dans la lettre encyclique Deus Caritas est, Benoît XVI affirmait que « l’activité caritative doit être indépendante de partis et d’idéologies » (31,b), qu’elle devait se tenir loin de la « stratégie marxiste » et de sa « théorie de l’appauvrissement ». La chasse au marxisme, chère à certains papes, se poursuit ; bien plus, il y a dans cette lettre une réfutation de la pertinence des lectures politiques mises de l’avant par de nombreux organismes catholiques qui luttent pour la justice sociale et une transformation en profondeur des structures sociales, politiques et économiques qui génèrent et reproduisent les injustices. La charité est comprise comme une « tâche intrinsèque de l’Église entière et de l’Évêque dans son diocèse » (32). Entendons ici que la direction de la charité est remise entre les mains du magistère et des évêques dans leur diocèse. Ceux que le pape appelle les « collaborateurs qui accomplissent concrètement le travail de la charité dans l’Église » (33) (donc, ils ne sont pas pleinement l’Église, ils ne sont que des collaborateurs de l’Évêque), « ne doivent pas s’inspirer des idéologies de l’amélioration du monde, mais se laisser guider par la foi qui, dans l’amour, devient agissante » (33). Pour le pape « Le moment est venu de réaffirmer l’importance de la prière face à l’activisme et au sécularisme dominant de nombreux chrétiens engagés dans le travail caritatif » (37). Dans le même esprit, Benoît XVI intervenait le 27 mai dernier devant l’assemblée générale de Caritas Internationalis qui célébrait son soixantième anniversaire. Il rappelait que les Caritas nationales constituent « une aide privilégiée pour les Évêques dans l’exercice pastoral de la charité. Cela comporte une responsabilité ecclésiale spéciale : celle de se laisser guider par les Pasteurs de l’Église »3. Le discours est clair de même que la ligne hiérarchique à suivre. Les milliers de laïcs engagés dans l’action pour la justice sociale à travers le monde (ils seraient 440 000 salariés et 625 000 bénévoles4) sont appelés à se laisser guider par les pasteurs de l’Église. Qu’advient-il du leadership des laïcs qui s’est déployé dans ce domaine depuis une cinquantaine d’années ? Quant à Caritas Internationalis, « le Saint-Siège a la tâche de suivre son activité et de veiller à ce que, tant son action humanitaire et de charité que le contenu des documents diffusés, soient en pleine syntonie avec le Siège Apostolique et avec le Magistère de l’Église »5. Afin de s’assurer de cette pleine syntonie, le Saint-Siège a décidé de ne pas renouveler le mandat de Lesley-Ann Knight, secrétaire générale de Caritas Internationalis, femme jugée trop indépendante selon Jean-Marie Guénois du Figaro.
On retiendra, avec ce rappel des faits, que la crise qui secoue D&P n’est pas locale et qu’elle participe d’un vaste mouvement mondial de réalignement de la « charité » catholique orchestré depuis Rome par Benoît XVI et en parfaite harmonie avec son ecclésiologie centralisatrice et cléricale et sa compréhension du rôle des laïcs, hommes et femmes, comme des sujets subordonnés dans l’Église. Que retenir de ce dernier épisode ?
1) La compréhension des postures des dirigeants de l’Église catholique québécoise et canadienne ne peut se faire isolément ; elle demande une analyse des discours et des pratiques du magistère romain. Les pressions sont constantes pour réaffirmer un certain modèle de chrétienté où le pouvoir religieux est centralisé et détenu par des clercs. L’action des laïcs, hommes et femmes, est fréquemment instrumentalisée pour servir la mission de l’Église telle que comprise par Rome. Il existe manifestement des tiraillements, des malaises et même des dissensions à l’intérieur de l’épiscopat d’ici pour « actualiser » les directives romaines, mais, dans la culture ecclésiale cléricale, la loi du secret prévalant, la communauté des laïcs est empêchée de prendre part directement au débat.
2) Les décisions romaines contribuent à donner plus de poids aux pressions exercées par des organismes ultraconservateurs et même franchement intégristes comme LifeSitenews.
3) L’ensemble des organismes catholiques « progressistes » d’ici qui s’intéresse de près ou de loin au développement international est concerné par ces récentes directives romaines rétrogrades et risque de subir des pressions accrues à l’avenir pour s’y conformer.
4) Deus Caritas est met non seulement de l’avant une vision réductrice du marxisme, elle développe une compréhension de l’activité caritative chrétienne qui fait fi des avancées des sciences sociales au XXe siècle pour comprendre les mécanismes qui génèrent la pauvreté, la misère, l’aliénation et leur perpétuation par des systèmes politiques et économiques injustes. La foi et la charité qui cherchent à s’incarner dans le monde de notre temps devraient-elles se priver de l’intelligence critique des sciences sociales ? Pourquoi ne pas relancer le Syllabus tant qu’à faire !
4. Lecture des dossiers
Les trois dossiers que nous venons d’examiner sont riches d’enseignements à plus d’un niveau. Si nous nous centrons sur la question qui nous préoccupe, à savoir le rapport qu’entretient l’institution ecclésiale avec les femmes et l’impact de ce rapport sur la vie et la personne des femmes, quelles lignes de force se dégagent ?
1) La question du contrôle des femmes est au cœur des enjeux des dossiers étudiés, qu’il s’agisse du contrôle de la sexualité, de la fécondité, du corps ou de la personne des femmes. Le drame de la fillette Brésilienne est éloquent en ce sens ; il est emblématique d’une multitude de drames du même type qui se déroulent sur la planète et dont on n’entend pas parler. Partout, des fillettes, des femmes deviennent enceintes à la suite de viols perpétrés par des pères, des beaux-pères, des soldats et même des prêtres ; et elles devraient accepter de mener à terme leur grossesse malgré l’indicible violence qu’elles ont subie ? Il y a des « Purs » qui savent ce qui est bon pour elles, dussent-elles en mourir. On peut dire aussi que l’épisode concernant D&P et Caritas porte en filigrane la question de la contraception et de l’avortement. Le Saint-Siège entend bien s’assurer de l’actualisation des règles qu’il édicte en matière de morale sexuelle dans les pratiques de charité et d’aide internationale catholiques. Le moindre soupçon suffit pour entraîner des enquêtes, des campagnes de dénigrement, l’arrêt de l’aide financière et même la cessation de partenariats. La conformité à la morale sexuelle constitue un critère décisif pour l’évaluation, par le Saint-Siège, des organismes de charité catholiques. Mais est-ce uniquement une question de conformité morale ? Cette question ne sert-elle pas aussi d’instrument au magistère pour faire valoir son ascendant sur toutes les organisations ecclésiales, y compris les organisations ecclésiales laïques, et pour affirmer et maintenir la division hiérarchique entre clercs et laïcs ?
2) L’autre aspect conflictuel c’est celui du non-accès des femmes aux ministères ordonnés. L’expérience du Comité des partenaires a été révélatrice de l’effet de l’intransigeance romaine : et le silence se fit. Le couvercle apposé sur la marmite n’a pas sauté. Seules demeurent ici et là quelques protestations, mais qui ne semblent pas avoir d’effet structurant sur les décisions romaines. Les prélats n’en ont rien à cirer ! Je ne pense pas que l’accès des femmes au sacerdoce serait une panacée, particulièrement dans le contexte ecclésial romain actuel marqué par une forme d’idolâtrie du clerc mâle. Mais le principe de reconnaissance de l’égalité des sexes devrait être respecté, y compris dans l’Église catholique ; c’est pourquoi la revendication de l’accès des femmes au sacerdoce mérite notre plein appui. Deux idées sont à retenir. Premièrement, la loi du pur et de l’impur continue de marquer les femmes au fer rouge dans l’Église catholique. Elles demeurent exclues de la production du sacré parce que femmes, parce que définies comme sujettes souillées, impures, incarnation de ce désir que certains clercs honnissent de crainte de sombrer dans l’abîme de perdition. Propos excessifs ? Certainement pas quand on a croisé le regard de mépris de certains d’entre eux. Céder sur la question de l’ordination des femmes, c’est en quelque sorte risquer de revêtir le manteau de mépris de ceux qui regardent notre sexe comme fondamentalement indigne de célébrer Jésus, le Christ ressuscité. Notre sacerdoce de baptisées est valide ou il n’est pas.
Deuxièmement, le non-débat sur l’ordination des femmes parle de l’autoritarisme qui règne dans l’Église catholique et qui nous affecte tous. La soumission aux diktats romains en cette matière constitue en quelque sorte un renoncement à sa liberté de parole et d’action dans l’Église et, à mon avis, compromet gravement notre liberté de penser. On peut comprendre les « silences stratégiques » parce que « l’heure n’est pas venue d’en parler ». Il importe de se rappeler que des personnes salariées en Église paient un coût très élevé, qui peut aller jusqu’à la perte de leur emploi, pour leurs prises de parole dissidentes. Mais que devons-nous faire ? Céder à la dictature des édits romains ? Déclarer forfait et aller lutter ailleurs que dans l’Église pour affirmer nos idéaux de justice ? Poursuivre la lutte interne ? Mais comment ?
3) Le drame de la petite Brésilienne a été un révélateur éloquent du machisme et de l’autoritarisme qui prévalent dans l’Église. Il a aussi permis de mettre en lumière le fait que cette institution ne constitue pas un bloc monolithique, qu’il existe en son sein des oppositions, des dissidences. Mais il apparaît clairement que c’est la branche la plus traditionaliste et misogyne qui a le haut du pavé en ce moment, que cela dure depuis quelques dizaines d’années (l’éclaircie de Vatican II nous semble bien loin) et qu’on ne sait pas quand, ni comment, une mouvance plus ouverte va pouvoir s’affirmer. Enfin, on comprend bien que ce sont avant tout les femmes qui font les frais de cet autoritarisme moral.
4) Le Comité des partenaires a mis en lumière le fait qu’il existe des solidarités pour le changement, mais aussi que les lois répressives ne finissent pas d’avoir une efficacité redoutable. La censure qui s’exerce autour de l’accès des femmes aux ministères ordonnés touche tous les acteurs ecclésiaux ; par exemple, toute transgression peut entraîner des conséquences sérieuses dans un cheminement de carrière ecclésiastique. Les évêques s’appliquent d’ailleurs à se tenir loin de ces questions. Plus insidieuse est l’intériorisation de la censure qui anesthésie la libre pensée et qui fait qu’on ne se permet même pas de désirer ce possible pour les femmes. Pourquoi faire, puisque ce n’est pas permis… Dans ce dossier, ce sont encore les femmes qui paient le prix fort pour le maintien d’une tradition sexiste.
5) On a vu, dans le cas de la crise à D&P, que le phénomène irradie mondialement depuis Rome. Le pouvoir centralisateur et autoritaire entend contrôler les pratiques de charité des laïcs qui en sont littéralement désappropriés. Ils et elles n’ont qu’à se soumettre aux autorités cléricales diocésaines ou romaines. Un véritable régime de terreur s’installe : un simple soupçon concernant la contraception suffit pour qu’un organisme soit désavoué. Et les dénonciations aux nonciatures ne se font pas attendre. En conséquence, le droit des femmes de maîtriser de manière autonome et responsable leur fécondité est nié ; tel est le prix de la charité catholique version Benoît XVI.
5. En conclusion…
Comment désigner ce système ? Il est autoritaire, machiste, mais peut-on dire qu’il est totalitaire ? Souvent, j’ai le sentiment que oui. Mais, si je me réfère à des travaux de philosophie politique comme ceux d’Hannah Arendt, on parle d’État totalitaire pour désigner un régime à parti unique qui contrôle l’ensemble de la société et des individus dans toutes les dimensions de leur existence et qui va jusqu’à s’immiscer dans l’intimité de leur conscience. La délation, le contrôle, la soumission au chef sont institués en système et toute forme d’opposition est anéantie. Les moyens de communication jouent un rôle essentiel de même que les forces policières dans le maintien de ce type de régime. On peut certes voir des « parentés » entre un régime totalitaire et le magistère romain, mais il manque au moins à ce dernier la « force de la police » pour imposer sa domination. Disons que ce ne sont pas les « Gardes suisses » du Vatican qui peuvent rivaliser avec les redoutables polices secrètes des régimes totalitaires… Mais je pense qu’on peut quand même parler de « tentation totalitaire » dans le cas du régime de Benoît XVI, même s’il n’a pas les « moyens » de ses « ambitions ».
Que faire ? Se soumettre, mais ce serait s’anéantir soi-même. On résiste ou on part, mais on ne se soumet pas.
En terminant la lecture de ce texte, on peut se demander : mais qu’est-ce qu’elle fait dans cette galère ? C’est la question à laquelle je vais m’appliquer de répondre lors de la table ronde du 35e anniversaire de L’autre Parole le 20 août 2011. Le texte de réponse sera publié dans un prochain numéro électronique de la revue L’autre Parole.