Le billet de

Le billet de* … Christine Lemaire

Il n’y a pas que le religieux qui soit menacé par la pensée fondamentaliste. Le discours économique néo-libéral, financiarisé à l’excès, en présente aussi de beaux exemples. Après m’être « fait la main » sur la lettre du Cardinal Ratzinger, j’ai ressenti un grand malaise à retracer, dans le manifeste intitulé Pour un Québec lucide, parrainé par Lucien Bouchard, des éléments d’un discours dogmatique et autoritaire, à forte saveur fondamentaliste.

La lucidité dont il s’agit ici concerne l’avenir du peuple québécois, menacé de disparition par les bouleversements économiques modernes. Pour compenser le vieillissement de notre population et notre faible taux de natalité, il faudra attirer davantage d’immigrant-e-s et mettre, au prix d’une responsabilisation individuelle et collective, toutes nos énergies dans la course au développement économique. La première étape de ce renouvellement – la seule présentée ici – est celle de l’élimination de la dette publique.

En vous référant aux caractéristiques du fondamentalisme, je vous invite à relire le manifeste avec à l’esprit, les quelques « équivalences » suivantes : Dieu = le Marché ; le Paradis = un PIB en croissance (« Au ciel, au ciel, au ciel ! »)… ; le Diable et tous ses démons = la Chine et l’Inde ; la menace de l’Enfer = la menace de se faire dépasser par ces pays ; le Péché= tous les déficits ; la Rédemption = le travail, l’épargne, la performance ; la peur =  la peur.

Le Québec des années 1970 a rejeté avec force le pouvoir dogmatique des prêtres et des évêques. Dans un grand vent de liberté, nous avons rejeté avec notre violence « tranquille » leurs discours asservissants. Notre méfiance est encore très vive devant tous les pouvoirs religieux.  N’est-il pas un peu désespérant d’avoir fait tout ce chemin pour se retrouver une fois de plus devant un prêtre (Lucien Bouchard) en chaire (les media), pointant sur nous un doigt accusateur et vengeur, nous menaçant de tous les maux de la terre, si nous continuons à ne pas vouloir obéir aux lois de Dieu (le Marché) ?  Fallait-il faire tout ce brouhaha social pour se retrouver exactement au même point, n’ayant réussi, en cours de route, qu’à substituer une idole à une autre ?

Tandis que les prêtres des années 1940 poussaient les femmes à la procréation afin de sauver le peuple canadien français, les modernes eux, ayant déclaré forfait devant notre entêtement crasse, préfèrent recourir à l’immigration. De fait, suite au constat de dénatalité, ne sommes-nous pas tentées d’identifier les femmes comme premières  responsables de notre Chute collective ? Afin de lever définitivement ce doute, il aurait suffi de rappeler que le Québec n’a aucune politique favorisant la natalité. Tous nos acquis dans le domaine familial sont aujourd’hui menacés. En prenant d’emblée la défense d’un dégel des frais de scolarité, les auteur-e-s du manifeste nous laissent plutôt supposer qu’ils/elles rejettent en totalité la responsabilité de la Faute sur les individu-e-s. 

Entre le Dieu vengeur d’antan et le Marché implacable d’aujourd’hui,  que faut-il choisir ? Le Dieu éternel d’alors avait au moins l’avantage d’être miséricordieux, à l’occasion. Le Marché lui, n’éprouve aucune pitié pour nous, pauvres pécheurs…. Dans ce manifeste, la responsabilité est encore trop souvent confondue avec la culpabilité. Est-ce vraiment se tourner vers l’avenir que de reprendre le silice ? Peut-on encore penser soulever l’enthousiasme par la menace et la peur ? N’avions-nous pas déjà goûté à cette médecine ?

Vraiment, le peuple québécois peut-il dorénavant n’aspirer qu’au Salut économique ?  De quelle liberté parle-t-on dans ce manifeste, si ce n’est de celle de se soumettre à l’ordre financier ? Personnellement, je refuse qu’un bilan comptable me serve d’idéal ; je préfère encore m’arranger avec « le Bon Dieu ».