LE RIRE DE DIEU — UNE AFFAIRE SÉRIEUSE

L’équipe de Phoebé a pris le rire de Dieu au sérieux… Pourtant, la tentation a été forte de le prendre par son contraire, tant ce qui se trame et se vit en notre monde inciterait Dieu à trouver tous les motifs de rire à en pleurer.

Après réflexions et échanges, voici ce que nous avons découvert.

Ce qui réjouit Dieu :

· c’est quand des femmes se mettent ensemble pour faire valoir leurs droits, pour vivre autrement ;

· c’est la résistance des femmes, leur façon de gagner des batailles sans se battre ;

· c’est un rire qui en est un de résistance, d’espérance têtue ;

· c’est le rire quand tout semble bouché, car sans joie, il n’y a pas de vie.

Rire :

· c’est risquer de prendre des chemins incertains, c’est risquer de se tromper ;

· c’est la plus grande défense non violente contre la violence ;

· permet de déconstruire des idées ;

· c’est une manière de voir, dans des situations injustes ou bouchées, la possibilité d’un renouveau possible et de s’y engager avec confiance.

Exemple de François d’Assise : alors que l’Église prêche les Croisades et se comporte comme une puissance, François prend l’habit des pauvres, vit avec eux et témoigne de l’Évangile, en riant et en chantant. On l’appellera le « jongleur de Dieu  ».

Présentation de la vidéo

Nous avons demandé à quatre femmes ce que nos découvertes sur le rire de Dieu leur inspiraient. Ces femmes sont des figures importantes de chez nous. Elles sont impliquées et agissantes tant sur le plan politique que spirituel. Elles sont reconnues pour leur pensée éclairée, leur capacité d’ouvrir des chemins de réflexions et d’actions pour un monde plus juste et plus humain. Nous avons recueilli leurs paroles sur vidéo et nous avons retranscrit leurs témoignages pour partager avec vous, lectrices et lecteurs de L’autre Parole, leurs réflexions sur ce sujet.

Il s’agit de :

· Suzanne Loiselle, directrice de l’Entraide Missionnaire

· Vivian Labrie, chercheure autonome ; elle a été porte-parole du Collectif pour un Québec sans pauvreté

· Élisabeth Garant, directrice du Centre justice et foi et de la revue Relations

· Lorraine Guay, infirmière à l’Institut de réadaptation Gingras-Lindsay et responsable d’une équipe de recherche à l’Université de Montréal.


Suzanne Loiselle

C’est une surprise de parler du rire de Dieu.

Pour moi, le rire est associé à une personne, à un événement heureux. Dieu, j’ai de la difficulté à le représenter comme une personne. Actuellement, dans mon cheminement personnel, c’est plus un mystère. Dans le mystère, il y a l’aspect comblant, l’aspect décapant, dépaysant. En fait, je vais me référer à mon expérience pour essayer de nommer ce que cela peut signifier.

(En passant, je salue les personnes présentes au Colloque ; j’aimerais bien y être, mais je suis à l’extérieur du pays.)

Je me réfère à mon expérience de travail à l’Entraide Missionnaire. Je venais de vivre une expérience en Amérique latine il y a plusieurs années de cela. Je souhaitais repartir travailler au Nicaragua et… surprise… j’apprends que le poste de direction à l’Entraide Missionnaire était ouvert. Mes amis (je me demande si c’était mes amis finalement…) ont donné mon nom avant que j’arrive au pays. Bref, de fil en aiguille, j’ai passé l’entrevue. J’ai tout fait, dans un sens, pour ne pas l’avoir. On m’a posé des questions sur l’Église, etc. J’arrivais du Nicaragua, contexte révolutionnaire… comment l’Église était impliquée dans ce mouvement-là. J’ai dit vraiment ce que je pensais, alors je me suis dit que je n’aurais pas ce travail.

Surprise ! J’ai eu le travail ! Cela avait été très clair qu’après le temps de probation, j’acceptais pour trois ans maximum. J’y suis depuis plus de 25 ans !

Alors je me dis : il y a peut-être une forme d’humour de Dieu là-dedans !

Tu fais des projets, des plans, tu mets des balises, tu établis ton terrain de jeu, mais finalement arrivent les événements, les personnes, d’autres appels surviennent, et là je pense qu’il y avait une forme d’humour de Dieu qui défaisait ce que je faisais.

Vingt-cinq ans plus tard, je me dis : mon Dieu, cela a été une chance !

Je rêvais de travailler dans un pays et je me retrouve dans un réseau de gens qui ont de l’expérience dans différents pays. J’ai eu la chance d’aller en Amérique latine, en Afrique, au Japon, surtout la chance d’aller en Irak, ce qui a bouleversé et changé mes conceptions de la solidarité. C’est une des premières fois où je me suis retrouvée dans un contexte culturel où j’avais perdu tous mes repères : la langue, la symbolique, l’histoire, la présence militaire américaine, etc.

Ce travail m’a donné la chance d’être en réseau avec des gens de différents univers, différentes cultures, différentes religions, différentes expériences, contexte de paix, contexte de guerre, contexte de développement, contexte de mal-développement.

J’ai rencontré des gens qui te communiquent la joie de vivre, une forme d’humour aussi devant le tragique de la vie.

Alors, oui, quelque part, où est le rire de Dieu ? Je ne sais pas.

Mais serait-il dans l’énergie communiquée à travers un engagement qui donne la chance de côtoyer des gens qui sont habités par des énergies de réciprocité, de communion, de rencontres avec des gens différents, de porter l’espoir, l’espérance qu’un autre monde est possible, que les rapports sociaux peuvent se transformer ?

Je pense actuellement à tout ce qui se passe en Syrie. C’est dramatique. Au Brésil, ces jours-ci (juin 2013), il y a un mouvement populaire d’une ampleur extraordinaire, à la fois pour dénoncer la hausse des prix du transport, et pour remettre en question le peu de considération qu’il y a pour les services publics : l’éducation, la santé, le domaine de l’agriculture, etc.

On se rend compte que c’est un phénomène international. C’est vrai au Québec. On l’a vu dans les mouvements sociaux et étudiants, au printemps [2012]. On voit aussi comment on remet en question nos services publics (éducation, santé…).

Moi je dirais, en bout de piste, oui, reconnaître à travers tout ce cheminement que si Dieu existe, je pense qu’il n’existe peut-être pas sous la forme d’une personne, d’un rire, je ne sais pas, mais sous la forme d’un mystère qui nous séduit, qui nous provoque, qui nous fait avancer et nous fait dire : oui, l’humanité avance, mais à travers des reculs.

Je côtoie tellement de situations ou de personnes qui vivent des situations limites, dans des cas de catastrophes naturelles, ou de guerre, ou d’appauvrissement. Je pense que quelque part Dieu, aujourd’hui, doit avoir plus la tête de quelqu’un de désespéré devant le chef d’œuvre qu’il voulait qui est une humanité debout, une humanité vivante, l’abolition des frontières entre les peuples, entre les pays, alors qu’on érige des barricades même dans nos propres pays, on crée des classes, on appauvrit massivement des populations. J’ai l’impression que Dieu, si je puis me permettre, doit dire : mes amis, vous avez du travail et peut-être rit-il cyniquement de ce qu’on a mal fait, et qu’on est appelé à faire différemment ?

Moi, je porte l’utopie qu’un autre monde est possible. Ça m’habite profondément et je trouve que c’est aussi le message de l’Évangile et celui des Prophètes, pour nous tirer en avant vers la paix, vers la solidarité entre les peuples, et en même temps, je me dis : oh la, la, il reste beaucoup de travail à faire mes amis, car le chantier est immense. Y a-t-il suffisamment d’espaces de relations chaleureuses, d’espaces de gens qui créent de la solidarité, des réseaux de solidarité qui appuient des mobilisations pour plus de justice ? Je pense que ça doit être les espaces et les moments où Dieu nous fait un clin d’œil en disant : votre job n’est pas fini, continuez. Voilà, la promesse d’une terre nouvelle, ça se fait à travers la construction d’espaces, d’un monde nouveau, un monde nouveau ici d’abord. Quand on marchait avec les étudiants l’an passé, on a été quelquefois plus de 100 000, on sentait un réseau de chaleur humaine, un réseau de solidarité.

Il y a une utopie que les choses changent.

C’est sûr qu’on rêverait que tous les jours, massivement, on dise : on souhaite un monde nouveau, et on veut y travailler, et on y travaille.

Mais il y a des jours plus ombrageux qu’ensoleillés. On a connu cela ce printemps-ci. On connaît des jours plus sombres au plan économique, au plan mobilisation sociale, au plan espérance dans une Église qui ne change pas.

Moi je pense que Dieu, quand il regarde notre Église, il doit pleurer. Il doit dire : cela ne ressemble absolument pas à ce que j’ai souhaité : une société inclusive où les femmes ont leur place, ont leur parole ; où les jeunes ont leur place et leur parole.

Sortir de tout ce qui est figé.

Il me semble que tout ça est à l’encontre de ce que Dieu est. Dieu mystère, vivant, pour plus de vie, plus de liberté, plus de solidarité entre les humains. Et c’est ce qu’il souhaite pour les humains. Peut-être aussi pour quelques-unes de nos institutions, dont l’Église, et c’est peut-être là que le grand vent passe le moins vite…

Je vous souhaite un bon colloque à tout le monde.

Vivian Labrie

Une idée m’est venue, suite à votre demande pour trouver une histoire en lien avec le texte où vous dites : « ce qui réjouit Dieu, c’est quand des femmes se mettent ensemble pour faire valoir leurs droits, pour vivre autrement ; c’est la résistance des femmes quand tout semble bouché ; c’est prendre des chemins incertains, déconstruire des idées ». J’ai pensé à l’histoire des deux valises.

Je pense que c’est en 2008 que c’est arrivé et je vous explique le contexte.

J’étais membre (et je le suis encore pour quelque temps) du comité de direction du Centre d’études sur la pauvreté et l’exclusion. C’est un Centre qui a été mis en place après l’adoption de la Loi visant à lutter contre la pauvreté et l’exclusion sociale. Le Centre avait pour mission de choisir les indicateurs permettant de suivre les « progrès » du Québec, voir si on avance ou si on recule par rapport à la lutte contre la pauvreté au Québec.

L’une des mesures considérées était celle du panier de consommation et regardait ce que cela coûte pour vivre. Il y avait 5 sections dans le panier : la nourriture, les vêtements, le logement, le transport, et une section « autres points ». Il y avait des chercheurs canadiens qui avaient déterminé le contenu des différentes parties du panier, ainsi que le montant qui devait être consacré à la nourriture, aux vêtements, etc.

Nous avions des bonnes discussions dans notre Comité. Les chercheurs avaient proposé ce qui constituerait un seuil de faible revenu et que, par conséquent, on ne serait plus à faible revenu après. Cependant, moi, cela me questionnait beaucoup parce que ce qui était prévu était très bas.

À mon avis, cela couvrait à peine les besoins essentiels. Je l’avais déjà vérifié avec des personnes en situation de pauvreté. On ne pouvait pas prendre cette mesure comme une mesure qui signifierait la sortie de la pauvreté.

À peu près à la même période, des religieuses d’une communauté de Québec m’ont demandé de venir animer une session sur la pauvreté pour sensibiliser les femmes de leurs groupes à cette question. Plusieurs étaient déjà sensibilisées, d’autres pas. On a cherché une façon de faire cette sensibilisation, et comme j’étais dans cette réflexion-là avec le Centre d’études, j’ai partagé mes préoccupations avec elles. On a pensé que ce serait intéressant de présenter quelque chose de concret et de voir ce qu’elles pourraient en dire.

On a regardé les morceaux du panier. Comme les religieuses dans leur communauté n’ont pas un revenu personnel, on a choisi de prendre la partie du panier qui touchait le plus les religieuses, à savoir les vêtements. Les religieuses ont été dans leur vestiaire avec le relevé des vêtements inscrits sur la liste et elles ont réalisé que la liste était limitée. Exemple : Il y avait une paire de chaussures athlétiques, une paire de chaussures de ville, une paire de sandales, des bottes d’hiver pour 3 ans, des bottes de caoutchouc pour 4 ans, quelques paires de bas, un pyjama, un maillot de bain pour 2 ans, une veste pour 2 ans, un imperméable pour 2 ans, puis pour les femmes, on a ajouté 3 soutiens-gorge, sous-vêtements. Tout ce qui était inscrit rentrait dans deux petites valises. On voyait bien que ce n’était pas beaucoup de vêtements.

Alors, pour la journée d’animation, on est arrivé avec les valises et on en a présenté le contenu en même temps que l’animation. Les religieuses (qui ont fait vœu de pauvreté) ont considéré que le contenu des valises était insuffisant.

Alors on a convenu de deux choses :

Les religieuses écriraient une lettre.

Et j’amènerais les valises à la prochaine réunion du Comité.

Ce que j’ai fait !

J’étais un peu intimidée, car c’était un coup d’audace : présenter le contenu des deux valises à la prochaine réunion du Comité, ainsi que la lettre des religieuses dans laquelle elles disaient ce qu’elles pensaient.

Lors de la réunion, au point concernant les mesures du panier de consommation, j’ai sorti les valises puis j’ai montré ce qu’il y avait dedans, ainsi que la lettre des religieuses. Cela a saisi tout le monde. Jusque là, les gens disaient : « mais les scientifiques nous ont dit que c’était suffisant et qu’on doit se fier à cela ; ils ont fait les vérifications nécessaires, ils se sont informés dans le milieu ». Mais je leur ai dit : regardez par vous-mêmes. Et ils ont constaté que c’était très peu. Puis ils ont lu la lettre des religieuses, et ce n’est pas rien, considérant le vœu de pauvreté qu’elles ont fait.

Cela montrait bien que ce qu’il y avait dans cette partie du panier, comme dans les autres, était à peine suffisant pour couvrir les besoins essentiels. Les religieuses avaient dit : ça prend au moins un manteau pour chaque saison, un rechange plus chic pour les occasions de fête, des mitaines, etc.

Si ce qui réjouit Dieu, c’est quand des femmes se mettent ensemble pour faire valoir leurs droits, pour vivre autrement, je me suis dit que ce serait une bonne histoire à raconter et probablement qu’à ce moment-là, Dieu a dû rire un bon coup.

Élisabeth Garant

« Dieu m’a fait rire. Je ferai rire qui l’apprendra. » (Genèse 21,6)

Il n’y a pas souvent d’éclats de rire dans la Bible… On y retrouve plus souvent le jeu, la devinette, un humour subtil tel qu’on le reconnaît encore aujourd’hui chez de nombreux héritiers de la tradition juive. C’est d’ailleurs souvent le ton de Jésus lorsqu’il instruit ses disciples ou lorsqu’il confronte les pharisiens.

« Dieu m’a fait rire ». Le rire de Sara est bien là, inscrit même à deux reprises dans le livre de la Genèse. D’abord au moment où celle-ci apprend qu’elle donnera naissance à un fils alors qu’elle a atteint un âge avancé et, à nouveau, à la naissance de celui-ci. Le rire de Dieu se révèle aussi à travers Sara et c’est le sens du nom qui est donné à ce fils que Sara et Abraham n’espéraient plus : Isaac qui veut dire « Dieu rit ». Ce texte biblique n’est pourtant pas marginal. Il est au contraire mis au fondement de toute notre tradition de foi. Nous sommes donc bien loin du Dieu sévère, rigide, intransigeant et même menaçant qui a longtemps été privilégié au service du désir de contrôle et de pouvoir de certains. Le rire qui est présent dans ces passages de la Bible a quelque chose de subversif. Le rire ouvre des possibilités de vie et c’est par lui que Dieu se manifeste.

Le rire de Dieu dans l’épisode de Sara met en valeur l’accueil de l’inattendu et permet d’espérer la réalisation de ce qui est impensable et improbable. Sara glousse à l’annonce de la prophétie dont elle est l’objet ; elle manifeste une certaine incrédulité en s’interrogeant sur la façon dont tout cela allait advenir. Mais elle reste disponible, elle fait confiance et elle laisse de la place pour le mystère qui ne s’explique jamais complètement. Cette foi de Sara me fait beaucoup de bien. Elle dit quelque chose d’une foi en chemin. Elle me fait approfondir ma foi comme une quête et ouvre la possibilité de comprendre et de vivre autrement ma démarche spirituelle.

« Je ferai rire qui l’apprendra ». Le rire de Sara n’est pas seulement une expérience humaine et spirituelle personnelle. Il s’agit d’une expérience que d’autres aussi à leur tour peuvent vivre. Un Dieu qui nous surprend et qui sait rire est cette réalité transcendante que Sara veut faire connaître aux héritières que nous sommes. Le rire met en relation avec d’autres et c’est au cœur de ces relations que Dieu surgit, se rend présent au monde. Le rire change les dynamiques entre les personnes, entre les groupes, au sein des collectivités. Le rire donne de l’énergie quand on est fatigué et abattu. Le rire ouvre du neuf. Dieu aime le rire et, surtout, tous nos pieds de nez à la morosité ambiante qui plonge dans la désespérance, empêche de voir l’horizon, rend le projet impossible.

 Le rire de Sara arrive au cœur d’une vie difficile qui a son lot de souffrances, d’effacement, d’humiliation et de misère comme on peut imaginer la vie d’une femme stérile de son époque. Peut-être parce qu’elle vit tout cela, elle a acquis une attitude capable d’accueillir la moindre petite occasion de faire un pied de nez à la réalité. C’est aussi l’expérience de nombreuses personnes encore aujourd’hui et de peuples entiers que nous maintenons dans des situations infrahumaines. Le rire est la résistance que ces personnes et ces peuples mettent en œuvre encore aujourd’hui. C’est la conviction que j’ai acquise de mes nombreuses fréquentations avec le peuple haïtien. Confronté à une grande souffrance et pris dans une misère insoutenable, ce peuple rit, il se moque, il caricature le pouvoir pour ouvrir des brèches dans la réalité afin d’espérer l’impossible…

J’aime croire que la capacité de Sara de faire de temps en temps des pieds de nez à la réalité lui a permis de vivre si longtemps en préservant son audace. Il me semble que de rire de Dieu comme elle l’a fait est audacieux pour une femme de son époque. D’une certaine façon, elle met Dieu au défi tout en acceptant d’entendre ce qui semble incongru, impensable et impossible. Le rire de Sara me fait penser à toutes les stratégies que les femmes adoptent pour faire des pieds de nez à la réalité, pour contester le patriarcat, pour faire advenir de nouvelles réalités. Il me semble que Dieu doit parfois avoir un petit rire en coin ou même de bons éclats de rire quand les femmes forcent les hommes à considérer différemment les choses que ce soit en politique, dans les milieux de travail ou dans l’Église. Ces pieds de nez ne sont-ils pas un peu la caractéristique de vous toutes, femmes de L’autre Parole ? Dieu doit avoir un rire affectueux quand il vous voit partager et célébrer votre foi en toute cohérence…

Lorraine Guay

Le rire de Dieu, c’est bizarre, je me suis dit qu’on pourrait faire cela à l’envers et qu’on pourrait rire de Dieu. À ce moment-là, je me suis dit : non, on va commencer par imaginer un rire de Dieu qui est le rire d’un Dieu qui n’est pas au-dessus de tout, qui ne gère pas l’univers comme un Dieu qui rit quand ça va bien et, quand il ne rit pas, ça va aller mal. On n’est pas du tout dans cette conception-là de Dieu. Ce n’est pas, pour moi, une catégorie politique.

Mais il reste qu’il y a des événements qui font rire et d’autres qui font pleurer. Dans le monde actuel, on peut rire jaune, et Dieu lui aussi doit rire jaune de temps en temps parce qu’il y a des situations tellement aberrantes qu’on laisse aller, des situations d’injustice, des situations d’abus envers les femmes. Là, ce n’est absolument pas drôle du tout et on ne peut pas rire du tout de ces situations-là. Au contraire, je pense qu’il faut les déplorer. Il faut agir en conséquence. On peut alors parler de rire jaune.

Je pense que Dieu doit sûrement rire jaune de temps en temps face à ces situations-là de violence, d’injustice, d’abus terribles. Je pense à ce que font les croyants, aux divisions entre religions monothéistes (judaïsme, christianisme, monde musulman). Après quelques centaines d’années, au lieu de continuer à se batailler les uns contre les autres, les tentatives d’œcuménisme devraient se développer pour en arriver à quelque chose qui serait de la coexistence pacifique et un accompagnement mutuel au sein de ces religions-là. Chaque religion en elle-même comporte aussi ses moments de tension, de violence, de division entre les gens, entre des factions au sein de ces religions-là, sauf sur la question des femmes. Sur ce sujet, elles s’entendent toutes et agissent toutes de la même façon : abus, injustices, une conception infériorisante de la femme. Là, toutes les religions s’entendent là-dessus et, je pense que Dieu doit rire jaune par rapport à ces situations-là.

Il y a encore d’autres situations assez pénibles qui nous font nous demander : avons-nous des raisons de rire ? Je dirais oui, parce que, pour moi, le rire est plutôt une posture à la fois philosophique et politique, dans le sens d’être lucide par rapport au monde dans lequel on est, être lucide par rapport aux injustices, aux abus, à l’absence de droits, aux inégalités, à la pauvreté qui se maintient, à la violence, aux guerres, etc.

Donc rire, c’est être lucide par rapport à l’ensemble de cette situation-là, regarder le monde tel qu’il est, et s’aider ensemble à le comprendre. Je rejoins ici Fernand Dumont qui disait que la condition humaine c’est l’interrogation ; il faut constamment être à la recherche, en quête de ce qui se passe, comprendre ce qui se passe, sans perdre l’espérance, sans tomber dans le cynisme, dans le pessimisme. Teilhard de Chardin disait : nous ne sommes pas définitivement tristes dans le monde dans lequel on est. C’est difficile, mais le fait de le regarder dans les yeux nous éloigne de l’attitude de cynisme et de pessimisme éternels.

Le refus de perdre l’espérance amène forcément à vouloir agir sur ces situations-là. C’est à nous, hommes et femmes de ce monde, de mettre en place des actions pour transformer ce monde-là. Pour moi, cela fait partie de ce qu’on peut appeler le rire de Dieu. Ça fait partie des responsabilités de nos générations. C’est notre contribution pour transformer ce monde-là, pour le rendre plus habitable pour tout le monde, et cela se fait avec les croyants et les incroyants. Fernand Dumont disait que l’incroyance est en nous comme la perpétuelle contestation de notre croyance, et on pourrait dire l’inverse aussi, pour les non-croyants, la croyance est en nous comme la perpétuelle contestation de notre incroyance. Il y a une espèce de rencontre entre croyants et incroyants qui peut se faire si on adopte cette posture de lucidité par rapport au monde, ce refus du cynisme et du pessimisme, et de l’action pour les transformer. Il y a là quelque chose de très éclairant.

Voilà ce que ça m’a inspiré, et cela m’a fait rire un peu.