L’OBTENTION DU DROIT DE VOTE DES FEMMES : QUELQUES RAPPELS

L’OBTENTION DU DROIT DE VOTE DES FEMMES : QUELQUES RAPPELS

Christine Lemaire – Bonnes Nouv’ailes

Lucia Feretti, dans un article au sujet de la philosophie de l’enseignement, disait mesurer la force d’un discours idéologique à son aptitude à imposer à des discours adverses les principes fondamentaux sur lesquels ils se constituent et le cadre même de leur argumentation. À ce titre, on peut qualifier de dominant le discours qui, durant la première moitié du XXe siècle, a tenu les femmes à l’écart de la démocratie. Ce discours était tenu par les pouvoirs civils autant que religieux. On parlait alors de « sphère publique » occupée par les hommes et de « sphère privée » occupée par les femmes. Celles-ci avaient pour devoir d’assurer la permanence de la foi et de la race canadiennes-françaises. C’est en vertu de ce rôle fondamental que les opposants au suffragisme s’exprimaient, mais c’est aussi afin de mieux défendre cette même « sphère privée » que les féministes chrétiennes réclamaient le droit de vote pour les femmes.

En 1919, le gouvernement fédéral et toutes les provinces – à l’exception de l’Ile du Prince Edouard et du Québec – avaient accordé le droit de vote aux femmes. À Montréal, la « Montréal Suffrage Association » présidée par Carrie Derrick, avait lutté depuis 1912 pour cette cause, surtout sur le plan fédéral. De fait, à partir du moment où la bataille fut gagnée à ce niveau, le mouvement s’essouffla et s’éteignit. En 1922, cette association est remplacée par « Le comité provincial du suffrage féminin » dirigé par Mmes Walter Lyman et Marie Lacoste Gérin-Lajoie. La même année, une délégation rencontre le premier ministre Louis-Alexandre Taschereau qui, après avoir patiemment écouté sa revendication, explique que le suffrage féminin sera probablement instauré un jour … mais jamais sous son « règne ». Celui-ci devait se terminer en 1936.

Pour Marie Gérin-Lajoie, c’est la deuxième expérience d’action conjointe avec les anglophones. La première fois, elle avait décidé de s’éloigner du « Montréal Council of Women » pour fonder la « Fédération nationale Saint-Jean-Baptiste », une association à caractère religieux, moral et nationaliste, davantage à l’image de la bourgeoisie francophone que le féminisme plus réformateur et séculier des anglophones.

Durant de nombreuses années, Marie Gérin-Lajoie avait multiplié ses interventions et ses plaidoyers en faveur du vote des femmes au Québec. En 1922, ayant compris qu’il était impossible de mobiliser ses compatriotes, massivement catholiques, tant qu’elles seraient persuadées de contrevenir à l’enseignement de l’Église, elle décide d’écrire personnellement à tous les évêques de la province, leur demandant de dire clairement si oui ou non le magistère de l’Église s’oppose au vote des femmes. Devant leurs réponses évasives ou précautionneuses, elle se rend à Rome même mais ne réussit pas à rencontrer le pape. Sa requête est remise au secrétaire particulier de Pie XI. Un long document romain laisse alors comprendre que le suffrage démocratique féminin ne s’oppose pas à la saine doctrine ni au droit divin. Marie rentre au pays toute heureuse pour découvrir l’ajout d’une phrase qui exige l’approbation de l’épiscopat local …

Après quelque temps de lutte désespérée, elle démissionne à la fois de la présidence de la Fédération et de celle du Comité provincial : les membres y sont divisées ; les plus âgées sont ébranlées par la désapprobation des évêques, les plus jeunes ragent et décident de prendre leurs distances par rapport à l’Église.

Privé de sa plus importante représentante du côté francophone, le mouvement du « Comité provincial du suffrage féminin » s’atténue. En 1927, une partie de ses effectifs se sépare pour former « l’Alliance canadienne pour le vote des femmes du Québec » sous la présidence de Idola St-Jean, davantage associée aux luttes de la classe ouvrière qu’à celles de la bourgeoisie. En 1928, Thérèse Casgrain apporte du sang neuf au Comité provincial qu’elle rebaptise « Ligue des droits de la femme ».

À partir de 1927, les deux groupes se rendirent chaque année au parlement provincial afin de réclamer le droit de vote pour les femmes. Chaque année, ce « pèlerinage » fut rapporté par la presse catholique avec un mépris et une virulence qui, selon les historiennes d’aujourd’hui, ont grandement contribué à éloigner un grand nombre de femmes de cette lutte. Ainsi, les pouvoirs civils et religieux avaient d’autant plus le loisir de condamner l’entreprise, qu’on la percevait comme la cause d’une poignée de femmes issues des milieux urbains et donc mal influencées par le « modernisme » qui y règne. Les femmes rurales, quant à elles, se battaient généralement contre le suffragisme en employant les mêmes arguments que les autorités religieuses.

En 1938, durant le premier mandat de Maurice Duplessis, les libéraux se réunissent en convention pour choisir le successeur de L.-A. Taschereau. À cette époque, Thérèse Casgrain est vice-présidente des ; « Femmes libérales du Canada » et son mari, Pierre Casgrain, est vice-président aux Communes ; Mme Casgrain réussit à faire accepter 40 déléguées au congrès. Celles-ci font inscrire au programme du parti l’obtention du suffrage féminin. Adélard Godbout est élu à la tête des Libéraux et remporte les élections de 1940. Lors de son discours du trône, il exprime clairement son intention de remplir ses promesses. Le 2 mars, le Cardinal Villeneuve tente une dernière offensive contre le droit de vote féminin en publiant ce communiqué :

« Nous ne sommes pas favorables au suffrage politique féminin :

1. Parce qu’il va à l’encontre de l’unité et de la hiérarchie familiale ;

2. Parce que son exercice expose la femme à toutes les passions et à toutes les aventures de l’électoralisme ;

3. Parce qu’en fait, il nous apparaît que les femmes dans la province ne le désirent pas ;

4. Parce que les réformes sociales, économiques, hygiéniques, etc. que l’on avance pour préconiser le droit de suffrage chez les femmes, peuvent être aussi bien obtenues grâce à l’Influence des organisations féminines en marge de la politique. 

Nous croyons exprimer ici le sentiment commun des évêques de la province.

J.-M. Rodrigue Cardinal Villeneuve o.m.i.,

Archevêque de Québec »

Pour lui, l’opposition au vote des femmes est une affaire non de principe, mais d’opportunité.

« Il peut se faire que dans certains pays d’Europe des hommes d’Église aient été en faveur du suffrage féminin. Cela tient à ce que les problèmes à résoudre y revêtent un caractère confessionnel plutôt que politique. Il se peut qu’un jour ou l’autre le suffrage féminin devienne désirable. Présentement, je n’en vois pas la nécessité. »

Pour contourner cette opposition de poids, Godbout menace le cardinal Villeneuve de démissionner et de laisser sa place à T.-D. Bouchard, reconnu pour son anticléricalisme. Le cardinal fit alors taire la presse catholique et le 25 avril 1940, le droit de vote des femmes était sanctionné. En chambre, on avait présenté les femmes comme « en général plus instruites que les hommes, par conséquent mieux préparées à juger nos problèmes sociaux », et « ayant à souffrir les inconvénients de la vie moderne avec les hommes, (pouvant) avec eux jouir des mêmes droits. »

Par la suite, le mouvement féministe s’est quelque peu essoufflé, n’ayant plus de réclamations concrètes à défendre. Les femmes ont dû changer les bases mêmes de leur discours avant de relancer le débat. Notons en terminant que le dernier droit de vote que les Québécoises ont obtenu est le droit paroissial qui permet aux femmes de se faire entendre dans les assemblées de la paroisse et au banc des marguillers. Ce fut en 1965.

Sources bibliographiques :

Collectif Clio. Histoire des femmes au Québec depuis quatre siècles. Montréal, Éd. Quinze, 1982, pp.325-350,

Ferretti, Lucia. « La philosophie de l’enseignement », dans Dumont, Micheline et Nadia

Fahmy-Erd. Les couventlnes, l’éducation des filles au Québec dans les congrégations religieuses enseignantes 1840-1960. Montréal, Boréal, 1986, pp. 146-147.

Fournier, Francine. « Les femmes et la vie politique au Québec » dans Fahmy-Erd Nadia et Micheline Dumont, Travailleuses et féministes. Les femmes dans la société québécoise. Montréal, Boréal Express, 1983, pp.337-358.

Hamelin, Jean. Histoire du catholicisme québécois, volume 3 : le XXe siècle, tome 2 : De 1940 à nos jours. Montréal, Boréal Express, 1984, pp.30-31.