NON À L’IMPARDONNABLE !

En réfléchissant sur le pardon, émergent rapidement les questions suivantes :

Peut-on tout pardonner ?
Jusqu’où peut-on pardonner ?

Notre groupe a eu l’idée d’une mise en scène en quatre actes pour montrer une situation où le pardon ne peut avoir lieu. Le sujet du refus de l’admission des femmes à l’ordination sacerdotale nous est apparu évident pour illustrer une telle négativité. Le recours à quatre voix d’idées différentes nous permet de faire entendre le problème insoluble.

Premier acte : Le bâillon

Chrétienne ordinaire (C.O.) : Je n’en reviens pas. Quelle est la vraie raison qui fait qu’une femme ne peut pas être ordonnée diacre ou prêtre ?

Représentante duVatican (R.V.) : Tout part du Droit Canon, no 1024 — Seul un homme baptisé reçoit validement l’ordination sacrée.

Théologienne féministe (T.F.) : À partir de cette affirmation très concise, le sort des femmes est réglé pour des siècles à venir, mais pourtant…

Exégète (E.) : La source de notre engagement chrétien, c’est la Bible, et rien n’interdit l’ordination des femmes.

R.V. : Ah ! La tradition a quelque chose à dire sur le sujet, c’est là le nœud du problème.

Deuxième acte : Les argumentaires contradictoires

R.V. : Voici ce que je découvre dans nos dossiers du Vatican.

Paul Vl, 30 novembre 1975, réponse à la lettre de l’archevêque Coggan de Cantorbery, sur le ministère sacerdotal des femmes :

3. Votre Grâce est évidemment bien au courant de la position de l’Église catholique sur cette question. Celle-ci tient que l’ordination sacerdotale des femmes ne saurait être acceptée, pour des raisons tout à fait fondamentales. Ces raisons sont notamment : l’exemple, rapporté par la Sainte Écriture, du Christ qui a choisi ses Apôtres uniquement parmi les hommes ; la pratique constante de l’Église qui a imité le Christ en ne choisissant que des hommes ; et son magistère vivant qui, de manière continue, a soutenu que l’exclusion des femmes du sacerdoce est en accord avec le plan de Dieu sur l’Église.

Inter insigniores — Déclaration sur la question de l’ordination des femmes, 15 octobre 1976, Sacrée Congrégation pour la Doctrine de la foi :

Jamais l’Église catholique n’a admis que les femmes puissent recevoir validement l’ordination presbytérale ou épiscopale. Quelques sectes hérétiques des premiers siècles, surtout gnostiques, ont voulu faire exercer le ministère sacerdotal par des femmes : cette innovation a été relevée et blâmée aussitôt par les Pères, qui l’ont considérée comme irrecevable dans l’Église (7). Il est vrai qu’on trouvera dans leurs écrits l’influence indéniable de préjugés défavorables à la femme, qui cependant, il faut le noter, n’ont guère eu d’influence sur leur action pastorale et encore moins sur leur direction spirituelle.

Lettre apostolique Ordinatio sacerdotalis du pape Jean-Paul II — 22 mai 1994 – déclare que : « L’ordination sacerdotale est exclusivement réservée aux hommes et qu’il n’y a plus de raison de revenir sur la question. »

C.O. : Suite à la lettre Ordinatio sacerdotalis, je me rappelle le propos ironique et humoristique de la journaliste Ghislaine Rheault de La Presse avec son article : « Madame Pape ? Jamais ! »  J’en cite quelques extraits :

Jamais, ont donc décrété le pape et les théologiens. Même quand nos os et ceux de nos successeurs seront réduits en poussière. Cette pensée butée, figée a quelque chose d’hallucinant. Ça prend beaucoup d’orgueil et de culot, pour prétendre avoir éternellement raison, pour imprimer à ses décisions un caractère d’infaillibilité, pour anticiper les desseins de Dieu jusqu’à la fin des temps. Oui, il faut être pas mal culotté. […] Imaginez que Dieu change d’idée, qu’il soit tout à coup touché par la grâce. Imaginez que ça lui plaise d’avoir un jour pour interlocutrice sur terre, une madame Pape, divorcée et mère de douze enfants ! »

E. : Moi, à la suite des exégètes féministes, je remets en question le Vatican qui maintient que le Christ n’a voulu que des hommes dans la poursuite du plan de Dieu dans le monde. On oublie de nombreuses femmes qui ont suivi le Maître sur les routes de la Palestine et sûrement présentes à la Cène lors de son dernier repas pascal. Jésus ressuscité n’a-t-il pas fait de Marie-Madeleine une apôtre de choix pour annoncer sa résurrection ?

En lisant bien la Bible, on découvre que le chiffre douze évoque plus la représentation de l’universalité du Peuple de Dieu que doit signifier le choix des douze juifs non désignés comme prêtres par Jésus.

Puis, en retournant aux sources, il serait plus significatif de traduire le en prosopo grec de la deuxième lettre aux Corinthiens par les expressions « en présence de » ou « sous le regard de », car en vérité les femmes peuvent être in persona Christi tout autant que les hommes. Et, j’aurais bien d’autres exemples dénonçant l’agir du magistère rétrécissant le message de l’heureuse annonce de Jésus.

T.F. : Ne perdons pas foi en l’Esprit de Jésus ! Au XXe siècle, l’entêtement du Vatican a fait se lever de nombreuses théologiennes féministes dans le monde et au Québec. En preuve, Souffles de femmes et L’autre parole, 35 ans d’écriture et de réécriture, avaient pour effet de sortir Dieu du ghetto masculin et permettre aux femmes d’être aussi ses représentantes à la table eucharistique. En 1988, le choix théologique de la collective L’autre Parole d’écrire Dieu avec un « e » fut l’heureux risque d’une construction aux effets libérateurs pour l’existence des femmes en tenant en éveil le soupçon d’un construit patriarcal de la nature de Dieu et du sacré. La redécouverte du divin est lancée selon l’Esprit qui souffle où il veut pour la vie en surabondance.

C.O. : Moi qui aime l’histoire, je vais vous surprendre en vous apprenant quelques faits tout à fait étonnants. On a découvert au XIXe siècle, des preuves attestant que des femmes ont déjà exercé le sacerdoce dans le christianisme. Dans une épître aux évêques du sud de l’Italie qui ordonnaient des femmes, le pape Gélase Ier (492-496) dit avoir appris avec regret que « l’Église est tombée si bas qu’on encourage les femmes à servir au saint autel. » Puis, on a trouvé à divers endroits des épigraphes des Ve, VIe et VIIe siècles qui témoignent de la présence de femmes prêtres même à Hippone où saint Augustin était évêque.

Étonnant ! Dans une église de Rome perdure l’inscription Theodora Episcopa (évêque) au-dessus de la tête d’une des quatre femmes d’une illustre mosaïque. On aurait dû corriger… effacer… à Rome surtout !

Troisième acte : Des transgressions

Des ordinations clandestines

R.V. : Le 12 juin 2002, sept femmes catholiques reçoivent l’ordination sacerdotale sur le fleuve Danube, par un évêque indépendant, Romulo Braschi, membre de l’« Église catholique apostolique charismatique de Jésus Roi » (branche de l’église vieux-catholique). Les circonstances de cette ordination, et notamment le choix du consécrateur, expliquent que cet acte ait été diversement reçu au sein des groupes habituellement partisans de l’ordination des femmes.

Le 25 juillet 2005 sur le fleuve Saint-Laurent, deux de ces femmes, revendiquant la qualité d’évêque, membres de l’organisation américaine Women’ s Ordination Conference (« Conférence pour l’ordination des femmes »), elles-mêmes non reconnues par l’Église catholique, ont accompli le rituel d’ordination à la prêtrise et au diaconat sur deux Canadiennes et sept Américaines.

Passant des paroles aux actes, les évêques Gisela Forster et Marie-Christine Mayr-Lumetzberger ont ordonné quatre femmes prêtres et cinq femmes diacres à l’occasion d’une cérémonie calquée sur le modèle catholique romain dont elles se réclament.

Ces ordinations ne sont pas valides, souligne Mgr Anthony Meagher (archevêque de Kingston — Ontario, Canada), car « les personnes qui proposent de conférer ces “ordinations” n’ont pas l’autorité de le faire et les personnes voulant être “ordonnées” ne sont pas éligibles ». Le geste de ces femmes entraîne l’excommunication latae sententiae, c’est-à-dire que leur excommunication découle directement de leur consentement à l’ordination et que le Vatican n’a pas besoin de la prononcer pour qu’elle soit effective.

Le Vatican a édicté un décret annonçant une excommunication immédiate et automatique des femmes prêtres ainsi que des évêques les ayant ordonnées.

E. : En dépit de l’excommunication, en octobre 2010, Linda Spear fut la première québécoise catholique ordonnée prêtre à l’église Grace anglicane de Sutton. Un geste prophétique qu’elle a posé en obéissant à son appel pour mettre en lumière le manque d’égalité entre les hommes et les femmes au sein de l’Église catholique. Des devancières l’ont précédée : rappelons que Marie Bouclin  a été ordonnée prêtre à Toronto en 2007 et élue évêque en 2011 ; elle est devenue l’évêque pour les femmes catholiques du Canada.

T.F. : Au Québec, Dieue continue d’appeler des femmes aux ministères ordonnés. La recherche de Pauline Jacob, publiée en 2007, repose sur le témoignage et le discernement vocationnel de 15 femmes avec grades universitaires de six diocèses catholiques, porteuses de l’appel à la prêtrise. Des appels reconnus par 73 témoins. Certaines se réunissent et vivent des célébrations « Faites ceci en mémoire de moi » dans le secret parce que la souffrance est trop grande.

L’une d’elles affirme : « Le refus obstiné de l’Église me fait beaucoup souffrir. Je me sens violentée dans la dignité de mon être parce que je peux pas aller au bout de mon appel. […] Je me révolte devant les aberrations de l’Église, ses contradictions, ses hypocrisies, son pouvoir patriarcal surtout face aux femmes. »

Le Père Roy Bourgeois, menacé d’excommunication pour son appui au sacerdoce des femmes écrivait au pape en novembre 2008 : « Qui sommes-nous, les hommes, pour dire aux femmes : “Notre appel est valide, mais pas le vôtre.” Qui sommes-nous pour trafiquer l’appel de Dieu ? Le sexisme autant que le racisme est un péché. »

Quatrième acte : Un pardon par défaut

T.F. : Réponse de Jésus : « Pardonnez-leur, ils n’ont pas compris. »

Question de justice on ne peut pardonner : c’est injuste.

Chacune à tour de rôle prononce une invitation au pardon :

Pardonne-leur, Seigneur, quand ils croient que seul le Magistère peut discerner ce qui doit demeurer immuable.

Seigneur, pardonne-leur de perpétuer une théologie du corps des femmes les liant totalement et uniquement à la maternité, une théologie basée sur une conception du déterminisme corporel de l’être féminin.

Seigneur, pardonne-leur de prêter au Christ des intentions fondant l’exclusion des femmes dans les ministères de l’Église.

Seigneur, pardonne-leur de considérer les femmes comme inaptes à représenter le Christ.

Seigneur, pardonne-leur d’utiliser les textes bibliques pour confirmer une conception aprioriste de la femme, de sa nature et de sa vocation.

Ensemble : Pardon, Seigneur, pour les tenants de l’idéologie et de l’hégémonie patriarcales au service de leur pouvoir.