PAS DE PAIX SANS JUSTICE

PAS DE PAIX SANS JUSTICE

Yveline Chevillard, Phoebé

Pour toujours, Dieu te donnera ce nom : « Paix-de-Justice ».

                                                                                                          Baruch 5, 4 

Mémoire

D’aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours fui tout ce qui ressemble – de près ou de loin – à la violence. Déjà, adolescente, si je regardais le soir un film comportant des scènes de violence, j’étais assurée de passer une nuit très perturbée. Plus tard, je me souviens que lorsque je regardais des dessins animés avec mes enfants, je ne supportais pas les scènes où certains personnages étaient victimes de méchanceté et de violence.

Encore aujourd’hui, les amis qui me connaissent bien me disent spontanément : tel film, ne vas pas le voir, tu n’aimeras pas cela …

Pendant la guerre au Liban l’été dernier, j’ai arrêté d’écouter les nouvelles à la télévision. Je ne pouvais plus supporter de telles horreurs.

Tout ce qui porte atteinte à l’intégrité d’autrui : la méchanceté, la haine, la violence, la sauvagerie, la brutalité, la torture, me mettent dans tous mes états. Je trouve cela insupportable, dans tous les sens du terme.

D’où je viens

Je suis née en France. J’ai quitté ma famille pour immigrer au Québec il y a 40 ans. J’y ai fondé ma propre famille et j’ai l’intention d’y finir mes jours.

Mon grand-père maternel a été mobilisé par la guerre 14-18. Il est mort en 1920 des suites de la tuberculose. Mon grand-oncle paternel a fait la guerre 14-18. Quand je l’ai connu, il était devenu sourd. Durant les repas familiaux, il était silencieux, jusqu’au moment où mon père l’interpellait. Alors il se mettait à parler pendant des heures de ses souvenirs de guerre, notamment de Verdun. Que je regrette de n’avoir pas d’enregistrement de ses récits !

En septembre 1943, Nantes est bombardée par les Alliés (Américains, Anglais, Canadiens) pour déloger les Allemands. C’est à ce moment que la maison de mes grands-parents paternels est détruite. Ils se réfugient dans un village à la campagne.

Le 16 septembre 1943, mon père frôle la mort. Il était en train de parler à un collègue lorsqu’une bombe tombe sur le magasin où il travaillait. Il ne reverra plus son collègue.

Le 23 septembre 1943 : autre alerte. Mes parents (et leur petite fille de 2 ans) se précipitent dans un abri. Quand il entend le sifflement des bombes, un homme crie à tous : « ouvrez la bouche ». C’est pour éviter l’explosion des poumons par le souffle des bombes.

Ce même jour,  mes parents et leur fille  fuient la guerre et se réfugient à Abbaretz, à 40 kms de Nantes. C’est là que j’y verrai le jour l’année suivante.

Le 15 juin 1944, les Alliés bombardent Nantes de nouveau. La cathédrale est aussi touchée. Mon père quitte précipitamment son travail et fera cette journée-là 40 kms à pied pour rejoindre ma mère et ma sœur.

Faute de nourriture adéquate (à cause des privations engendrées par la guerre), j’ai fait du rachitisme à 2 ans. Je ne marchais plus.

Durant cette guerre, Nantes a subi 28 attaques aériennes. Il y a eu plusieurs milliers de morts et de blessés.

Que disent les prophètes ?

La voie de la paix va dans le sens rappelé maintes fois par les prophètes quand ils parlent du « droit et de la justice » :  « la justice produira la paix, et le droit une sécurité perpétuelle. Mon peuple habitera un séjour de paix, des habitations sûres, des résidences tranquilles » (Isaïe 32, 17-18).

Le chemin vers la paix est difficile, car il suppose un changement du regard, un changement de tout l’être. C’est un travail permanent pour la justice et le droit.

Pour bâtir la paix, il faut combattre le mal à sa racine, extirper du cœur ce qui alimente le désir de faire le mal :  « Tu ne tueras pas » lit-on dans Exode 20,13.

La paix apportée par le Christ

Jésus a vécu dans une société où il y avait des violences extrêmes (répressions par les Romains, punitions collectives, massacres, esclavage…).

Le Christ n’impose pas sa paix. Il nous la donne. À nous de l’accueillir ou pas : « Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix »

On ne peut se contenter de protester contre les guerres, il nous faut faire advenir la paix. Jésus propose la transformation du cœur : c’est du cœur que vient le mal (Mt 15, 19-20). Il nous faut déraciner le mal en soi, mais dans l’autre aussi, d’où la pratique de la réconciliation.

Il nous demande aussi d’aimer nos ennemis, d’aspirer à ressembler à son Père qui fait tomber sa pluie sur les bons et sur les méchants, et qui est miséricordieux pour chacun de ses enfants.

« Heureux les artisans de paix, ils seront appelés fils de Dieu »

Jésus a été un artisan de paix. L’amour qu’il a pratiqué prône la justice pour tous. La justice est la condition essentielle à la paix. Jésus a constamment combattu l’injustice. Il a pris le parti des marginaux, des opprimés, des « impurs », des petites gens, des femmes.

Cependant, il a aussi visité Zachée (mal vu par les Juifs) ; il se tient avec des publicains et aussi avec des pharisiens ; pas parce qu’il est en accord avec leurs comportements, mais parce qu’il pense que toute personne peut changer. Il a voulu toucher et changer leur cœur. La Justice du Christ se vit donc à la fois avec celui qui est opprimé et avec celui qui opprime. C’est la seule façon de parvenir à une paix véritable.

Jésus, lors du sermon sur la montagne, propose un autre modèle de société basé cette fois sur la paix, la justice, l’amour. Ceux qui l’écoutent retrouvent espoir en l’entendant. Jésus les nomme « bienheureux » alors que, dans la vie, on les méprise, on les exclut ! Ils se sentent reconnus pour ce qu’ils sont dans les yeux de cet homme, de ce Juif qui, décidément, sort de l’ordinaire !

Violences et injustices

En 1967, à mon arrivée au Québec, s’est déclarée la Guerre des six jours. Je ne savais pas trop quoi en penser. J’avais encore en mémoire les temps douloureux et ténébreux vécus pendant la guerre d’Algérie (1954-1962), alors que les Français ont été entraînés dans une spirale de violence et d’ambition complètement irrationnelle.

C’est réellement à l’occasion du conflit israélo-palestinien que j’ai été habitée par l’idée que pour qu’il y ait paix, il faut qu’il y ait justice. En effet, dans ce conflit, on voit d’un côté des milliers de personnes qui ont été chassées de leurs terres, et de l’autre des occupants qui veulent imposer leurs conditions par la force. Or, quand on parle de paix, il faut être deux. Le vis-à-vis doit être consentant, et ses droits et libertés ne doivent pas être brimés. Les Israéliens veulent avoir une terre et y vivre en paix : c’est tout à fait légitime. Ce que réclament les Palestiniens, c’est que justice soit faite pour eux aussi, c’est-à-dire vivre en paix et en sécurité dans leur territoire. Pourtant, on constate la position asymétrique des puissances occidentales vis-à-vis des occupés d’une part, et des occupants d’autre part qui refusent d’appliquer les résolutions de l’O.N.U.  Il s’agit d’une guerre d’occupation et non d’une guerre de religion.

Une situation d’injustice enfante une situation conflictuelle, donc de guerre. Tant que de réels pourparlers n’auront pas lieu, il sera illusoire de parler de paix. La paix ne pourra être durable que si elle est juste et négociée avec tous les protagonistes.

Être artisans et artisanes de paix

1) Dans notre Église : c’en est assez des sourires, des politesses, des contenus théologiques raccourcis. Les faits sont là : les femmes n’ont pas droit au chapitre au niveau décisionnel. L’Église se plaît à se qualifier de Corps du Christ. S’il est vrai que chaque partie du Corps est vitale, alors il est grand temps que cela se traduise dans les faits ; il est grand temps que chaque baptiséE soit reconnuE et traitéE avec égalité. Il en va de la survie de notre Église et de sa crédibilité pour les générations montantes. Il n’y aura pas de réelle paix dans notre Église tant que le dynamisme de l’évangile sera freiné par des injustices. Le temps est venu pour l’Église de se remettre en marche.

2) Dans la société : à mon sens, travailler pour la paix doit nécessairement se traduire par des luttes pour la justice. Cela peut prendre divers visages : faire pression sur nos gouvernements pour qu’ils mettent en place des politiques qui permettraient de réduire les écarts entre bien-nantis et laissés pour compte ; appuyer la campagne Un monde sans pauvreté  ; appuyer les partis qui proposent des mesures concrètes de lutte à la pauvreté ; prendre parti pour la solidarité internationale ; dénoncer les violences, …

La lutte pour la justice s’est accélérée ces dernières années dans plusieurs pays, et le Québec n’est pas en reste. Que l’on pense à la Marche mondiale des femmes en 2000, pour contrer la violence et la pauvreté ; au 2e Sommet des peuples des Amériques en avril 2001 (pour chercher des alternatives à la ZLÉA) ; au Forum social mondial en 2001 qui a permis à des personnes de tous horizons de proposer des stratégies face à la mondialisation sauvage.

Après le 11 septembre 2001, la logique de guerre a repris du service. L’Afghanistan a été bombardé  en octobre 2001 (5000 Québécois ont protesté contre cette guerre en novembre 2001).

Puis il y a eu la naissance du Collectif Échec à la guerre en 2002. Ce Collectif s’opposait à toute agression contre le peuple irakien et demandait que le Canada ne s’engage pas dans cette guerre. Le Collectif a organisé plusieurs manifestations. Le 15 février 2003, par un temps glacial, nous étions 150 000 à s’objecter à ce qu’il y ait une nouvelle guerre en Irak.  Le 15 mars et le 22 mars, lors du déclenchement de la guerre, plus de 200 000 personnes à Montréal ont dit NON à cette guerre.

À cause de cette mobilisation (qui a eu lieu aussi dans d’autres villes du Québec et du Canada) le Canada ne s’est pas engagé dans cette guerre.

Le Collectif a ensuite élargi son mandat pour préconiser un monde de paix basé sur des rapports internationaux de justice et de solidarité. Entre autres, il demande au gouvernement canadien de ne pas participer à des guerres d’agression et de s’opposer au projet de bouclier antimissiles. Il s’allie aussi aux autres mouvements mondiaux, sans oublier les réseaux de résistance aux États-Unis et dans les pays du Sud.

Je salue aussi l’initiative de l’AQOCI qui, il y a quelques années, a lancé la campagne d’éducation et de conscientisation Comprendre et agir pour une paix juste. Ce sont des outils de ce genre qui nous permettent de conscientiser les personnes de notre entourage, à commencer par nos propres enfants !

Je salue également la ténacité et l’endurance du PAJU (Palestiniens et Juifs unis) qui, beau temps mauvais temps, depuis des années, tient une vigile silencieuse contre l’occupation de la Palestine, tous les vendredis à midi devant le consulat d’Israël (coin Peel et René-Lévesque).

Je voudrais aussi mentionner l’œuvre de paix de Muhammad Yunus, le « banquier des pauvres ». Sa lutte contre la misère commença durant la famine de 1974, au Bangladesh. Il prêta alors 27 dollars à 42 femmes afin qu’elles puissent acheter de quoi tisser. Les prêts de la Grameen Bank ont déjà bénéficié à 6,6 millions de personnes, dont 97 % de femmes, dans plus de 70 000 villages bangladais. Son modèle de micro-financement a fait école dans le monde entier. M. Yunus fait la paix véritable, celle qui se tient avec la justice et le droit.

La paix, fruit de la justice

Il y aurait encore beaucoup de choses à dire sur ce sujet ! Je pense, plus près de nous, aux problèmes avec les Premières Nations : dans leur culture, la terre est sacrée et n’est pas un bien commercial. C’est pourquoi ils n’ont pas signé de traités de paix exigeant la cessation de terres. Les négociations pour trouver un terrain d’entente sont donc longues et ardues.

Même chose au niveau des rapports patronaux/syndicaux : si une loi est imposée, ce n’est pas encore la paix !

Encore plus près de nous, pensons aux relations de couple. Pour qu’il y ait paix (et amour !) il faut le respect mutuel. L’un ne doit pas brimer les droits de l’autre, sinon on ne peut plus parler de paix.

Quand la paix devient le fruit de la justice, alors c’est qu’on a trouvé une solution satisfaisante qui permet de pouvoir vivre ensemble. La domination du fort sur le faible est alors dépassée, et les liens créés, ou recréés, engendrent un espace du vivre-ensemble, d’un être-avec, un espace où la vie et toutes ses richesses peuvent se déployer.

S’il y a de plus en plus d’ouvriers et d’ouvrières pour la paix, qui y croient, qui résistent à la fatalité, qui rêvent d’un monde plus humain, d’un pouvoir-vivre-ensemble, d’une humanité réconciliée, alors l’espérance ne sera pas morte, et Dieu y aura déjà planté sa tente !