PROSTITUTION
Pistes de réflexion et d’action
Marie-Andrée Roy, Vasthi
L’autre Parole entend participer au débat sur la prostitution qui anime présentement le mouvement des femmes et l’ensemble de la société. Notre point de vue et nos propositions se fondent sur les informations actuellement disponibles sur cette réalité complexe. Nous les énonçons en solidarité avec toutes celles et ceux qui œuvrent à l’établissement de rapports de respect, de justice et d’égalité entre les sexes et nous voulons poursuivre notre réflexion et nos actions en ce sens..
1- Réflexions et questions
Il est difficile de dire quel type de législation serait le meilleur pour le Canada. Faut-il aller dans le sens de l’abolition ou de la légalisation de la prostitution ? Nous ne pouvons pas répondre catégoriquement à cette question compte tenu de l’état actuel de nos connaissances. Mais nous observons une polarisation des positions entre abolitionnistes et tenants de la libéralisation qui génère des lectures réductrices et qui concentre le débat sur des aspects limités de la question, notamment juridiques, plutôt que d’ouvrir sur l’ensemble du phénomène et de son inscription dans notre culture. Toute loi contient ses effets pervers, un projet abolitionniste pouvant entraîner un déplacement du problème vers d’autres lieux ou accentuer la clandestinité des pratiques prostitutionnelles, un projet pro-libéralisation transformant éventuellement l’État en « pimp » ou encourageant les trafiquants internationaux à venir faire des profits faciles sur le territoire. Pour le moment nous choisissons de débattre largement de la prostitution et de ses différentes composantes et de soulever des questions qui nous tiennent à cœur.
Notre lecture féministe du corps, de la sexualité et des rapports hommes/femmes nous amène à refuser de considérer la prostitution comme un métier comme un autre. Si tel était le cas, nous n’aurions pas de peine à voir nos sœurs, nos filles ou nos amies exercer ce métier. La prostitution est une pratique dure, souvent dangereuse, qui implique un usage intensif et répétitif du corps et une invasion à nulle autre pareille de l’intimité. Elle constitue à nos yeux une forme d’aliénation et d’exploitation du corps et de la personne des femmes. Il ne s’agit évidemment pas de la seule forme d’exploitation des femmes dans les sociétés patriarcales, mais celle-là, comme toutes les autres formes d’exploitation, doivent être dénoncées.
Nous sommes conscientes, par ailleurs, des différentes formes de marginalisation que subissent les femmes prostituées. Il importe que nos lectures de la situation ne renforcent pas leur marginalisation. Les valeurs de solidarité féministe et de sororité nous amènent à percevoir le continuum prostitutionnel qui relient nos vies. Qui ne s’est jamais « prostitué », en paroles ou en actes, par la flatterie ou le mensonge, pour obtenir une forme ou l’autre de sécurité économique, un avantage matériel ou symbolique, un privilège ou tout simplement la sainte paix ? En élargissant la définition du concept de prostitution on s’aperçoit que l’humanité partage, plus qu’on ne le pense de prime abord, des éléments du vécu prostitutionnel. Il ne s’agit pas ici de gommer l’expérience spécifique des personnes qui offrent des services sexuels contre rémunération mais de se savoir partie prenante de l’expérience humaine de la prostitution. Il n’y a pas les prostituées d’un bord et de l’autre celles qui savent et qui jugent. Il y a des femmes en quête de leur humanité qui peuvent s’écouter et s’entraider.
Dans la prostitution il y a au moins deux acteurs et souvent trois : le client (presque exclusivement des hommes), le ou la prostituée (une femme dans 80-90 % des cas) et le proxénète. Il s’agit donc d’un rapport hommes/femmes particulier où des hommes paient, principalement des femmes, pour obtenir des services sexuels particuliers. Les projecteurs sont cependant braqués sur la prostituée et non sur le client ou le proxénète. Dans le débat actuel, plusieurs rappellent, avec raison, l’importance de faire place à la parole des prostituées. On demande aussi que soit reconnu leur droit de disposer librement de leur corps, y compris pour exercer des activités sexuelles rémunérées si elles le veulent (excluant les mineures et les personnes trafiquées qui n’ont pas la liberté nécessaire pour exercer ce droit). Il importe que ce droit soit respecté mais cela ne se pose pas de manière abstraite. C’est pourquoi il importe que notre société, qui reconnaît ce droit, soit cohérente et qu’elle se soucie de ce que les personnes aient accès aux conditions et aux ressources requises pour exercer effectivement et librement ce droit. On sait que trop souvent des problèmes de violence et de pauvreté entravent la « liberté de choix » et orientent des trajectoires de vie. Dans tous les cas, tout en reconnaissant aux prostituées le droit de disposer librement de leur corps, n’avons-nous pas la responsabilité, comme citoyennes d’une société libre et démocratique, de leur faire part de notre point de vue, d’échanger avec elles ? N’est-ce pas une façon de les respecter, de les considérer comme des personnes à part entière ? Certains ne se retranchent-ils pas trop facilement derrière l’argument du respect des libertés individuelles pour clore le débat ? Au Québec, il existe une loi portant sur le retrait préventif des travailleuses enceintes ; les fumeuses sont informées en noir sur blanc que la cigarette est nocive pour leur santé. Alors pourquoi devrions-nous taire nos opinions et nos interrogations sur la pratique de la prostitution et ses répercussions ?
Les clients se fondent dans la foule anonyme, ni vus ni connus. Ils sont les grands absents du débat. Pourtant ils sont beaucoup plus nombreux que les prostituées (20,30,50 fois plus nombreux ?) et leur « demande » crée en quelque sorte le métier. Ils « choisissent » la prostituée, précisent le service attendu et paient. Dans tous les cas, ils sont en situation de pouvoir. Quelle est la sexualité de ces hommes qui ont recours aux services des prostituées ? Des avis évoquent la misère sexuelle des clients, leur solitude, leurs difficultés à communiquer avec les femmes. Certains croient qu’il s’agit plutôt d’une pratique masculine normale ou un « mal nécessaire » dans une société libre. D’autres assimilent les clients à des exploiteurs, des dominateurs. Pourquoi les hommes ont-ils recours aux services des prostituées ? Comment justifient-ils ce genre de consommation ? Comment considèrent-ils la prostituée ? Se soucient-ils de savoir si elle exerce librement son métier ? Ces consommateurs de l’ombre préservent leur anonymat et leur pouvoir. Mais quelques-uns d’entre eux sont certainement dans les lieux décisionnels qui gèrent la prostitution. Les prostituées pourraient nous aider à répondre à plusieurs de ces questions. Et nous leur saurions gré d’apporter leur éclairage. Mais nous pensons qu’il appartient avant tout aux hommes, aux hommes clients plus particulièrement, de dire pourquoi ils recourent à ce type de services.
Qui sont les proxénètes ? Des « gens d’affaires », des protecteurs ou des exploiteurs des prostituées ? Faudrait-il les rendre visibles publiquement ? Quel traitement la justice doit-elle leur réserver ?
Un argument revient de manière récurrente : « Il s’agit du plus vieux métier du monde et ce n’est pas vous les filles qui allez changer cet état de choses. Il y a toujours eu de la prostitution et il y en aura toujours. L’important c’est de trouver les moyens pour « gérer » cela socialement et faire en sorte que les femmes qui exercent ce métier soient en sécurité et soient le moins pénalisées possible. » Notre utopie féministe ne nous permet pas d’acquiescer à cet argument, de baisser les bras et de renoncer à questionner le commerce du sexe. Les premières féministes qui se sont opposées à la violence faite aux femmes se sont faites demander de quoi elles parlaient exactement. Dans la tête de bien des gens, la violence faite aux femmes n’existait tout simplement pas ou encore, elle concernait strictement la vie privée et il valait mieux ne pas s’en mêler. Pour d’autres, la violence avait toujours existé et existerait sans doute toujours. Pourquoi se battre contre l’inéluctable ?
Aujourd’hui, après une trentaine d’années de lutte et une marche mondiale des femmes dont c’était l’un des thèmes majeurs, la violence faite aux femmes est devenue un fait socialement inacceptable, elle fait l’objet de dénonciations dans des conventions internationales , des services ont été créés pour accueillir les femmes violentées, des pratiques de solidarité se sont multipliées et surtout, les mentalités ont changé : les femmes violentées se résignent de moins en moins à accepter leur sort et préfèrent quitter leurs conjoints violents ; certains hommes violents se remettent en question et la population en générale réprouve la violence faite aux femmes. Nous ne sommes pas parvenues à éradiquer complètement la violence mais elle a perdu son caractère de « normalité » qui venait vicier les rapports entre les hommes et les femmes. Et on continue de lutter pour changer les choses. On peut faire l’analogie avec la prostitution, le plus vieux métier du monde, dont les hommes ne sauraient se passer…
Notre questionnement à l’endroit de la prostitution est lié à notre éthique, à la compréhension que nous avons de la sexualité et de son rôle dans les rapports hommes/femmes. La sexualité appartient à ces énergies puissantes qui nous arriment à la vie et nous font rencontrer l’autre dans sa force et sa fragilité. En tant que source de gratifications, d’épanouissement et de dépassement, elle nous forge dans notre humanité. Le désir, le plaisir et la jouissance, tout cela est beau et bon et participe au sens de la vie et à la valeur inépuisable de la rencontre entre les humains. La sexualité est parfois source de blessures et de tensions mais cela ne doit pas nous empêcher de poursuivre notre quête d’affirmation et de liberté afin de vivre notre plein épanouissement humain et sexuel. Sous cet éclairage, le sexe ne saurait se monnayer, faire l’objet d’une marchandisation, d’une transaction économique. À l’ère de la mondialisation et du capitalisme effréné, on fait le pari que le sexe appartient au registre du don, de la gratuité et de l’échange. Il est un mode de rencontre et de partage entre les humains, et non pas un produit commercialisable. On aspire à un monde où le plaisir sexuel se donne et se reçoit. On aime trop le sexe pour en faire le commerce, on tient trop à des rapports humains de qualité avec les hommes pour accepter que la prostitution soit une façon parmi d’autres pour vivre sa sexualité.
La commercialisation du sexe n’est pas sans conséquences sur les personnes qui pratiquent ce métier, sur les consommateurs eux-mêmes et sur l’ensemble des rapports hommes/femmes. C’est pourquoi elle soulève de sérieux problèmes éthiques. Problèmes d’estime de soi, de reconnaissance de l’autre dans son humanité, de mystification des relations humaines (il suffit de payer pour recevoir). Quel impact la prostitution a-t-elle sur les relations qu’entretiennent les prostituées et leurs clients, avec leurs proches, leurs conjoints ou conjointes ?
Nous ne pensons pas qu’une loi peut tout régler. Mais peut-on s’en passer si on tient compte des problèmes reliés au crime organisé, au trafic des femmes et du fait que nos sociétés soient régies par des lois qui doivent assurer la paix et la sécurité publique ? Mais il serait naïf de croire qu’une législation, si bonne et si consensuelle soit-elle, puisse régler le problème de fond qu’est celui que des hommes aient recours à des services rémunérés, assurés majoritairement par des femmes, pour vivre leur sexualité. Qu’est-ce que cela signifie ? Il importe sans doute plus que jamais que nous ayons un débat de société sur la sexualité, un débat, entre hommes et femmes, sur nos façons de la vivre, sur nos difficultés à nous rencontrer et à partager ; sur le pouvoir et les différentes façon de l’exercer ;sur les inégalités qui persistent entre les sexes et leurs conséquences dans la vie des personnes et des organisations sociales. Nous sommes plus intéressées à un changement de mentalités, qu’à punir à tout prix tous les hommes qui paient pour obtenir des services sexuels. En même temps, nous ne saurions banaliser une pratique qui conforte le pouvoir masculin.
À une époque où on avance rapidement le « il n’y a rien là », où on suspecte de pudibonderie, toute personne qui ose remettre en question la consommation des « produits » du sexe qui se retrouvent en vente libre sur le marché, où on se retranche rapidement derrière l’argument du respect de la liberté individuelle, il faudrait sans doute avoir le courage de se poser certaines questions. À qui profite cette « industrie » de plus en plus présente et diversifiée ? Certainement pas aux travailleuses du sexe. Quel prix paient ces femmes au plan de leur santé physique et morale pour exercer ce métier ? Pourquoi nombre d’hommes ont-ils recours à des services sexuels rémunérés ?
On sait aussi que le débat sur la prostitution ne peut pas se faire en vase clos. Une solution « locale » ou « nationale » peut certes aider mais elle ne suffit pas. Avec la mondialisation de l’économie et des communications, nous sommes de plus en plus interdépendants et nous devons réfléchir globalement la situation .
11-Recommandations
. 1- Une situation qu’il importe de mieux documenter
La réalité de la prostitution et des services sexuels rémunérés est complexe et en constante transformation :
De plus en plus d’adolescentes (13-14 ans) se retrouvent dans les rouages de la prostitution et la demande de la clientèle en ce sens est croissante.
Nous avons une connaissance très limitée de l’expérience vécue par les femmes et les hommes qui offrent des services sexuels, de l’impact de l’exercice de leur métier sur leur vie professionnelle et affective et nous ignorons à peu près tout de leur situation une fois qu’elles ou ils cessent leurs activités dans ce domaine.
Dans le contexte de la mondialisation , on observe une accentuation du trafic des femmes du Sud vers le Nord et de l’Est vers l’Ouest où chaque année des centaines de milliers de femmes sont contraintes à la prostitution et vivent une situation qui peut être assimilée à de l’esclavage.
Le crime organisé, tant ici qu’ailleurs, tire des bénéfices considérables de l’exploitation des différents services sexuels rémunérés mais nous avons une connaissance déficiente des pratiques mafieuses et criminelles.
L’offre des « produits du sexe » tend à se diversifier : en plus de la prostitution de rue et de celle de luxe, il existe des services d’escortes, des salons de massage, des téléphones érotiques, des sex-shops avec leur panoplie de gadgets, des spectacles érotiques et des danses à $10.00, des revues, des cinémas et des vidéos pornos, des services sur internet qui semblent connaître actuellement une croissance considérable avec des jeux, des services interactifs en ligne. Il importe de faire le point sur le « marché » du sexe et de cerner la tendance vers laquelle évolue ce marché.
Notre connaissance de la clientèle des services sexuels, de ses représentations, de ses valeurs de même que l’évolution de ses pratiques de consommation demeure largement déficiente.
Les législations dans différents pays sont en voie de transformation : l’Allemagne, l’Australie, les Pays-Bas ont adopté des lois qui vont dans le sens de la libéralisation de la prostitution tandis que la Suède pénalise le client mais offre des services de soutien aux prostituées. Quel est l’impact de ces différentes législations sur la prostitution et les comportements sociaux ?
Quel est l’impact de la culture du sexe sur les valeurs et les représentations de la société ? Il semble exister une demande croissante de produits et services de plus en plus « hard » . Est-ce exact ? Quel est l’impact de la consommation de services sexuels tarifés sur les relations entre les hommes et les femmes ?
Il y aurait encore bien des questions à soulever et plusieurs autres zones d’ombre à signaler. Retenons simplement que la situation est complexe et que nous en avons une connaissance déficiente.
Le Conseil du statut de la femme a eu le mérite de publier ce printemps une recherche fort bien documentée qui fait le point sur l’état actuel des connaissances : La prostitution : profession ou exploitation. Une réflexion à poursuivre. Cette recherche a permis de faire avancer de manière significative notre réflexion. Il importe maintenant qu’une vaste étude nationale soit menée pour que nous obtenions réponses à nos questions et que nous ayons une compréhension plus précise de la réalité des métiers du sexe et de leur impact sur notre société et les rapports sociaux de sexe. Une telle étude devrait être commandée et financée par les gouvernements en place et être menée par une équipe pluridisciplinaire afin de cerner les aspects psychosociologiques, légaux, économiques, médicaux, criminologiques, éthiques et politiques de la prostitution et des services sexuels rémunérés. Elle devrait faire appel aux connaissances et aux analyses développées au sein du mouvement des femmes. Elle devrait également entendre les divers points de vue des femmes et des hommes qui assurent des services sexuels rémunérés. Elle n’aurait pas simplement pour but d’éclairer notre réflexion sur le type de loi qui serait le plus à même de répondre aux besoins des sociétés québécoise et canadienne en matière de gestion de la prostitution. Elle devrait également permettre de soutenir un débat de société sur la signification de la consommation des services sexuels et de la place des métiers du sexe dans notre société, sur les rapports sociaux de sexe et le rôle que joue la sexualité dans ces rapports.
2- Le sexe et la religion
En tant que chrétiennes et féministes, on ne peut passer sous silence le rôle qu’a joué et que joue toujours la religion catholique dans la compréhension de la sexualité humaine et de la place du sexe dans la vie des personnes. On ne connaît pas grand chose du point de vue de Jésus sur la sexualité mais on sait qu’il a préféré accueillir la femme prostituée plutôt que la condamner. Par ailleurs l’Église, au cours de l’histoire, a été beaucoup plus prolixe et le pape actuel n’a de cesse d’intervenir sur les questions de sexualité. Ces interventions vont dans le sens d’une méfiance généralisée à l’endroit de la sexualité et de ses manifestations et d’une incapacité d’intégrer la sexualité à la vie des personnes, y compris à leur vie spirituelle. En proposant toujours aux femmes le modèle de la Vierge Marie, le pape ne les incite certainement pas à développer une sexualité joyeuse, gourmande et épanouie ! Quel effet ce type de discours a-t-il pu avoir ou a-t-il encore sur la vie sexuelle des femmes et sur leurs relations avec les hommes ? Le modèle binaire d’Ève et de Marie, de la putain et de la vierge, enferme les femmes dans des choix impossibles qui minent la représentation qu’elles ont d’elles-mêmes comme sujets sexués. L’archétype de la putain n’a pu que contribuer à une plus grande marginalisation des femmes prostituées dans nos sociétés et à légitimer l’opprobre que leur servent les « purs ».Le refus du condom constitue un geste irresponsable à une époque où sévit le sida. Bref le dogmatisme sexiste et anti-sexe de l’Église catholique cause un tort considérable aux relations hommes/femmes et à l’affirmation d’une sexualité intégrée et responsable. Et pour tout dire, nous comptons peu sur la possibilité d’un changement rapide de discours des autorités ecclésiales sur le sujet. C’est pourquoi nous nous prenons à souhaiter qu’elles se taisent sur cette question.
Des services à développer, des actions prioritaires à mettre de l’avant
Il nous semble urgent de développer ou d’intensifier certains services existants pour soutenir les femmes et les hommes qui se retrouvent en situation de prostitution. Il est de la responsabilité de l’État d’investir les sommes requises pour que les services adéquats soient mis en place par le Ministère de la Santé et des service sociaux et il est de la responsabilité du mouvement des femmes de s’impliquer dans le développement de tels services.
Un service spécial pour les 12-18 ans
Les clients réclament de plus en plus de très jeunes femmes pour vivre leurs fantaisies sexuelles. Il semble que l’âge d’entrée dans la prostitution tend à s’abaisser et qu’elles sont de plus en plus nombreuses à être initiées au métier à l’âge de 14-15 ans. Cette initiation est souvent vécue sous la tutelle d’un jeune pimp dont elles sont amoureuses. Les fillettes, les adolescentes et toutes les jeunes femmes constituent à nos yeux une catégorie sociale particulièrement vulnérable et les répercutions de la pratique de la prostitution risquent d’être pour elles particulièrement néfastes. C’est pourquoi il importe que l’on renforce, de manière significative, les interventions spécifiques auprès de ce groupe d’âge et que des ressources soient constamment disponibles pour leur apporter le support requis.
À l’écoute des prostituées et des travailleuses du sexe
Une des difficultés majeures vécues par les prostituées et les personnes qui assurent des services sexuels rémunérés c’est leur marginalisation par rapport au reste de la société et des autres femmes notamment. Il existe déjà des services d’écoute et de support mais sont-ils suffisants ? Ne serait-il pas important que l’on développe davantage de ressources d’accueil, d’écoute et de dialogue ? Il ne s’agit pas de changer ces personnes ou de les détourner de leur pratique mais de les accueillir dans leur expérience de vie et de leur assurer un contact amical et chaleureux. La pratique de Marie Labrecque au cours des années 70, sur la rue St-Denis à Montréal, pourrait sans doute nous inspirer.
Davantage de ressources pour celles qui veulent sortir de la prostitution
Sortir de la prostitution s’avère fort difficile, les obstacles à franchir sont nombreux et il semble que les ressources en ce sens soient déficientes. Après dix ans de prostitution, comment explique-t-on une « absence prolongée » du marché du travail sur son c.v. ? Les problèmes de toxicomanie et d’alcoolisme sont fréquents mais les services de désintoxication sont insuffisants et la métadone manque pour les personnes en sevrage de drogue. L’éducation a bien des fois été écourtée et une formation est souvent requise pour obtenir un emploi intéressant. Le réseau des relations familiales et amicales s’est étiolé au fil des ans et est à recomposer. La santé en a parfois pris un dur coup et elle est à refaire. Bref, tout est à rebâtir et ça demande un courage fou aux personnes pour s’en sortir. Dans une perspective de solidarité sociale et féministe, ne faudrait-il pas renforcer de manière significative les ressources disponibles pour permettre un nouveau départ dans la vie ? Et si l’argument de solidarité ne convainc pas, celui de l’investissement rentable peut-il aller chercher l’adhésion des esprits comptables ? Investir à fond deux ou trois ans dans une personne pour qu’elle retrouve sa pleine autonomie n’est-ce pas plus rentable que de la laisser vivoter des années durant sur l’aide sociale ?
Des réflexions à poursuivre
Il importe que nous poursuivions notre réflexion sur la sexualité et le plaisir et que nous trouvions des façons pour établir un dialogue franc et ouvert avec la communauté des hommes. Il faut dire que les chrétiennes et les féministes sont facilement suspectées de censure, de volonté de contrôle sur la sexualité des hommes et d’être plus enclines à dénoncer la prostitution qu’à tenir un discours sur le plaisir et l’érotisme. Notre défi consiste à concilier dignité et respect avec sexe et jouissance. Dans nos vies personnelles cela correspond souvent à la réalité mais le discours public n’a pas nécessairement suivi. À nous de le concrétiser.
Une interpellation lancée aux hommes
Traiter du problème de la prostitution, transformer les mentalités ne relèvent pas que du mouvement des femmes et nous ne pouvons pas y parvenir seules. Il importe que nous interpellions les hommes et que nous fassions un bout de chemin ensemble pour débattre du problème et explorer des pistes pour un changement d’attitudes et de mentalité à l’endroit de la prostitution.
En conclusion
Nous pouvons résumer nos positions de la manière suivante :
Avec les prostituées et les personnes qui assurent des services sexuels rémunérés : se solidariser plutôt que de juger ; écouter, dialoguer et interpeller franchement plutôt que de marginaliser ; contribuer à offrir des ressources pour s’en sortir plutôt que de pénaliser.
Avec les clients : avant tout recours à la loi, essayer d’abord de convaincre et de transformer les mentalités plutôt que de censurer et punir.
Avec les trafiquants et les clients en quête de juvéniles : demeurer intraitables et faire appliquer la loi intégralement.