Quand parle le cardinal

Quand parle « le cardinal »

L’Actualité du mois d’août 1979 publiait une entrevue avec « le cardinal » Paul-Emile Léger. Parmi les questions posées il y en avait une sur les femmes :

L’Actualité : L’Eglise n’a-t-elle pas trop longtemps limité le rôle des femmes ?

P.-E. Léger : Si vous lisez l’histoire de l’Eglise est-ce que vous n’admirez pas ce qu’elle a fait pour la femme ? Thérèse d’Avila était un docteur de l’Eglise. Catherine de Sienne a sauvé l.’Eglise. Est-ce que-ce ne sont pas les filles de 1’Eglise qui, justement, ont déterminé leur rôle ? Les hommes ont des problèmes aussi. L’émancipation de l’homme a dû se .faire. On insiste trop sur le fait que la femme a dû se libérer. Il y a longtemps que l’Eglise ne fait pas de différence. Saint Paul disait : « Il n’y a ni homme ni femme, il n »Y a ni Grecs ni Juifs ». Ce sont ·les femmes elles-mêmes qui se sont imposé des règles et des normes. Ce ne sont ni les hommes ni l’Eglise. Au Cameroun, en ce moment, je suis avec des petites novices. Jamais elles ne se présenteront devant vous si elles n’ont pas leur foulard sur la tête. C’est leur culture, ce sont leurs coutumes .•.

L’Actualité, août 1979,  p.S.

J’aimerais ici faire un bref commentaire sur ces propos. Pas tant par esprit de malice ou pour marchander sur les propos de ce vieil homme, mais plutôt pour démontrer comment les discours des hommes d’Eglise sont truffés d’embûches pour les femmes.

On peut constater dès la première ligne que le répondant est convaincu que l’Eglise a fait beaucoup pour « la femme ». Elle a certes glorifié « la femme » mais quels sont les acquis des femmes dans cette Eglise. La réponse risque d’être fort mince. En situant l’Eglise sur le terrain de celle qui a fait beaucoup pour « la femme », il évite en même temps à celle-ci de faire son « mea culpa » et d’identifier sa contribution à l’oppression des femmes.

C’est sous le couvert de la non différence que les hommes d’Eglise ne cachent. On  affirme très sérieusement que l’Eglise ne fait pas de différence. Il n’y a ni homme ni femme dit-on. Alors que c’est justement sur la différence que se fonde ls discrimination de l’Eglise pour refuser aux femmes un statut d’égalité dans l’Eglise. C’est parce que nous ne sommes pas des hommes qu’on ne peut accéder au sacerdoce et à l’ensemble des fonctions hiérarchiques dans l’Eglise. Si nous ne sommes pas friandes des honneurs et des privilèges rattachés aux hautes fonctions ecclésiastiques, on en a plus qu’assez que 1a hiérarchie masculine prétende tracer pour nous la bonne voie des moeurs et de la morales.

Quand l’interviewé parle des femmes 11 dit entre autre qu’elles sont des « filles » et il les qualifie de « petites » dans le cas des novices. Filles et petites, deux termes qui nous en disent long sur la perception qu’a cet homme des femmes. Quand on dit que Thérèse d’Avila et Catherine de Sienne sont des « filles », on sous-entend 1’ex11ltence d’un père, ce. père qui est l’imposante hiérarchie masculine et qui a finalement autorité sur ses filles, si grandes soient-elles. Est­il nécessaire de rappeler que cette fameuse hiérarchie est composée d’hommes célibataires, qui n’exercent justement pas leur fécondité, qui ne vivent pas de paternité au sens strict du terme. On comprend aisément qu’au niveau symbolique il soit important pour eux de se donner des fils et des .filles. On peut croire également que dans la relation père-fille, la femme apparaît moins menaçante que dans une relation où la femme serait partenaire à part égale. Probablement que ces hommes d’Eglise se sentiraient mal à l’aise dans une articulation où on_ parlerait d’eux comme des fils des Mères de l’Eglise. Le siège paternel est plus confortable•••

Le cardinal qualifie les femmes qui sont novices au Cameroun de « petites ». A ce que je sache ces femmes doivent être des adultes, mais le langage utilisé nous fait presque croire qu’elles sont de petites enfants. Mais après tout, les femmes dans l’Eglise ne sont-elles pas toujours considérées comme des mineures ?

J’aime beaucoup Thérèse d’Avila et Catherine de Sienne. Mais j’ai 1’impression qu’on se sert-d’elles comme des alibis. Bien s1lr qu’il y en a eu des grandes femmes dans 1’Egl.ise. Et on prend à témoin ces deux femmes du 16e et 14e siècles. Et aujourd’hui ai-je envie de demander. De .p1us est-il nécessaire de rappeler que Thérèse d’Avila a dû attendre 1970 pour être reconnue « docteur de 1’Eglise ».

On prétend _que .ce sont les femmes elles-mêmes qui se sont imposé des règles, des normes. Cette analyse de la situation mésestime le poids d’une culture et d’une société patriarcales sur ces femmes. Comme si les femmes masochiquement s’étaient imposé des regles.des normes qui vont à l’encontre de leur autonomie et de leur liberté. Qui a interdit aux femmes l’accès au sacerdoce ? Les femmes au cours de l’histoire se sont vu interdire des lieux, des privilèges réservés aux hommes. Comme les noirs se sont vu interdire des lieux, des privilèges réservés aux blancs. Et si ces femmes acceptent aujourd’hui ces règles et ces normes c’est qu’elles ont justement intériorisé leur, oppression. Plusieurs ont appris à vivre comme femmes soumises, sans droit. Elles ont oublié ou elles n’arrivent pas à croire qu’elles ont droit, elles aussi à l’autonomie et à la liberté.

Mais la conscience des femmes se réveille. Et le discours des hommes d’Eglise ne sera plus exempt du soupçon des femmes.

Marie-Andrée Roy